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Karen Abu Zayd : « Malheureusement, l’UNRWA est toujours nécessaire »

lundi 21 décembre 2009 - 05h:42

Dina Ezzat - Al-Ahram/Weekly

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Alors que Karen Abu Zayd approche de la fin de son mandat de commissaire générale de l’UNRWA, elle parle à Dina Ezzat de son engagement d’une une vie à combattre l’injustice.

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Karen Abu Zayd, le 10 décembre, à Sheikh Jarrah, dénonçant les démolitions de maisons palestiniennes par les forces d’occupation israéliennes
(AP)

A la fin de ce mois, Karen Abu Zayd arrive à la fin de son mandat de commissaire générale à l’Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui s’occupe du sort de plus de quatre millions de réfugiés palestiniens.

Au Caire, cette semaine, Abu Zayd a lancé un appel d’urgence pour une aide financière afin que puisse fonctionner l’UNRWA, appel lancé depuis le siège de la Ligue arabe dont le secrétaire général, Amr Moussa, a rendu hommage à ce qu’il a appelé le travail « remarquable » d’Abu Zayd pour agir en faveur des droits des réfugiés palestiniens.

Pour Abu Zayd, ce dernier appel, qui devra être suivi d’autres appels de son successeur, est « un ultime appel de mise en garde », au nom des réfugiés.

Par ce cri, elle demande un peu plus de 323 millions de dollars pourr répondre aux besoins immédiats des réfugiés dans les Territoires palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie. Ces besoins essentiels concernent l’alimentaire, la santé et l’élimination des dangers environnementaux.

L’UNRWA, dit Abu Zayd, connaît de graves contraintes financières qui sapent ses capacités dans une période exceptionnellement difficile, avec des réfugiés palestiniens, surtout à Gaza, qui souffrent des bouclages draconiens qu’Israël impose à une bande de Gaza de plus en plus pauvre.

« Il faut qu’il y ait un assouplissement dans les bouclages, » soutient Abu Zayd.

De par son travail à l’UNRWA, Abu Zayd s’est occupée des besoins des réfugiés palestiniens dans les Territoires palestiniens occupés, comme dans les pays arabes voisins, notamment le Liban, la Jordanie et la Syrie.

S’adressant à Al-Ahram Weekly, dans son bureau modestement meublé de l’UNRWA, à Garden City, au Caire, Abu Zayd rappelle avec affection ses premiers mois comme commissaire générale de l’UNRWA, se revoyant arriver à Rafah juste à la fin d’une agression israélienne qui avait démoli des maisons palestiniennes.

« Je me souviendrai toujours d’une dame qui m’a appelée, du milieu des décombres de sa maison, pour me montrer ce que le raid israélien avait fait, » raconte Abu Zayd.

Pour Abu Zayd, ce furent parmi les moments les plus difficiles de sa carrière : avoir à témoigner de la souffrance des réfugiés qu’on privait, en tout premier lieu, du peu qu’ils possédaient.

Pourtant, « d’une certaine manière, mes meilleurs moments de commissaire générale de l’UNRWA furent aussi des moments merveilleux, » dit Abu Zayd, ajoutant que c’étaient des moments comme ceux-là, où une réfugiée garde toujours en elle la volonté de montrer sa tragédie personnelle dans le détail, qui montraient « la vraie force du peuple palestinien » vivant sous occupation dans les camps de réfugiés.

C’est aussi à cette époque, et avec le déclanchement de la Deuxième Intifada, qu’Abu Zayd a pris son mandat, succédant à un autre commissaire général de l’UNRWA éminent, Peter Hansen.

Abu Zayd remonte à des années en arrière, des années marquées par un travail difficile, de médiation entre les Palestiniens et le gouvernement israélien, nouant des contacts avec des gouvernements et d’autres parties dans le monde afin d’obtenir des fonds pour répondre aux besoins des réfugiés qui « souffrent depuis six décennies, dans la dignité, du fait d’une incapacité à résoudre le conflit israélo-palestinien. »

Pendant ses années à la direction de l’UNRWA, Abu Zayd n’a jamais failli à critiquer en termes soigneusement formulés les violations israéliennes du droit international envers les réfugiés palestiniens.

Très récemment, elle a pris position contre les démolitions par Israël des maisons palestiniennes dans Jérusalem-Est occupée. Debout devant l’une des maisons ciblées à Sheikh Jarrah, Abu Zayd a déclaré qu’ « à ce jour, quatre des 28 familles avaient perdu leurs maisons à Sheikh Jarrah, ce qui touche plus de 55 personnes, dont 20 enfants ».

« A ce moment, huit autre familles sont directement menacées d’expulsion forcée après avoir reçu des avis d’avoir à évacuer leurs maisons, ce qui affecte potentiellement jusqu’à 120 autres personnes. »

Elle ajoute qu’à chacun de ces incidents, « des colons israéliens les ont remplacées dans leurs maisons, sous la protection et avec l’aide des autorités israéliennes. Mais les chiffres à eux seuls ne sauraient traduire la souffrance humaine et le traumatisme qui caractérisent ces expulsions par la force. »

Néanmoins, les paroles d’Abu Zayd sont trop souvent tombées dans les oreilles qui ne voulaient pas entendre de la communauté internationale. Elle n’a jamais été non plus à court de critiques quant au rôle que celle-ci a joué, prolongeant les souffrances de millions de réfugiés palestiniens depuis la Nakba en 1948.

La communauté internationale, dit-elle, n’a pas fait ce qu’il fallait pour trouver un juste règlement au conflit, et notamment pour résoudre le problème des réfugiés palestiniens dans le respect des résolutions concernées des Nations-Unies, qui prévoient le rapatriement ou l’indemnisation.

Elle blâme également la communauté internationale pour n’avoir pas été capable de faire pression sur le gouvernement israélien afin que les matériaux de construction soient autorisés à entrer dans Gaza, pour mener à bien la reconstruction désespérément indispensable de la bande de Gaza après les dégâts subis pendant les trois semaines d’agression israélienne.

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Le même jour, avec une famille palestinienne.
(AP)

Abu Zayd reste sceptique sur les possibilités des habitants de la bande de Gaza de pouvoir retrouver quelque chose qui ressemble à une vie normale dans un avenir proche, étant donné le blocus israélien, l’insuffisance de l’aide humanitaire et, comme elle le dit en utilisant des mots soigneusement choisis, « les conditions inéquitables imposées par le Quartet qui laissent la place à bien des points d’interrogation quant à leur compatibilité avec le droit international.  »

Abu Zaid critique les accusations de terrorisme portées contre ceux qui vivent à Gaza pour marquer une opposition au contrôle du Hamas sur la bande de Gaza depuis juin 2007. « Malheureusement, une fois que vous avez qualifié quelqu’un de "terroriste", vous ne pouvez rien faire sans une large observation du droit international, » dit-elle.

Ce qui aggrave encore les souffrances de Gaza, précise Abu Zayd en pesant ses mots, c’est le fait que la frontière de Rafah qui relie Gaza à l’Egypte « n’a pas toujours été une bonne frontière, » ajoutant que les autorités égyptiennes « avaient été particulièrement bonnes cette année ».

Pourtant, elle ne cache pas son inquiétude quant à l’impact possible du « mur » qu’elle dit en cours de construction par les autorités égyptiennes sur la frontière avec Gaza, « en partie souterrain et en partie en surface », et qui sera combiné avec des détecteurs sensibles pour bloquer le creusement de ces tunnels que les Palestiniens utilisent pour entrer en contrebande des « produits de base, dont la nourriture et les médicaments, » dans la bande de Gaza assiégée.

Elle dit avoir exprimé ses préoccupations auprès des officiels égyptiens qu’elle a rencontrés pendant sa visite de quatre jours au Caire. « Ils se sont voulus rassurants, disant que ce serait un mur de seulement 10 kilomètres » sur les un peu plus de 14 km de frontière entre l’Egypte et Gaza.

Pour Abu Zayd, le mur pourrait réduire les flux de marchandises vers Gaza. Même si certains des tunnels ont été creusés très profonds, ils peuvent encore être détectés et comblés. Ceci, dit-elle, serait problématique car si le monde veut la fin de la contrebande dans Gaza, alors il doit trouver la façon d’obtenir d’Israël la fin du blocus et de permettre l’accès à une aide humanitaire désespérément indispensable.

Abu Zayd n’accable pas les autorités égyptiennes. « Elles ont aussi leur problèmes, et il est juste de dire qu’elles ne peuvent être tenues de prendre des responsabilités » qu’Israël devrait assumer de toute façon, en tant que puissance occupante.

«  De même que la communauté internationale a un rôle à jouer là-bas également » insiste Abu Zayd.

Ayant grandi à Chicago aux Etats-Unis et mariée à un Soudanais, Abu Zayd envisage maintenant son nouvel avenir après une grande partie de sa vie passée à travailler pour les réfugiés de différentes parties du monde. Elle est au bord des larmes quand elle parle de ses jours passés dans les Territoires palestiniens occupés et des Palestiniens. Pour elle, les Territoires « étaient sa maison », et les Palestiniens, sa famille.

Aujourd’hui, Abu Zayd s’en va, attristée à bien des égards de ne plus être là pour aider ceux qui ont tant besoin d’aide, et triste aussi, parce que « après 60 ans, l’UNRWA est toujours nécessaire. »

Abu Zayd s’est sentie très honorée par de nombreuses organisations qui reconnaissaient le travail qu’elle avait fourni, faisant face à des défis politiques et financiers sans fin.

Pour Abu Zayd, cependant, l’hommage le plus émouvant est venu des mains frêles, tremblantes de vieilles dames palestiniennes, et des sourires lumineux d’enfants palestiniens, la troisième génération de réfugiés.

Se sent-elle satisfaite de sa carrière dans l’aide humanitaire ?

« Un collègue de l’UNRWA m’a envoyé un courriel d’adieu, où il me dit, "Vous avez échoué avec mérite". Je pense que c’est là l’exacte vérité, » répond Abu Zayd, avec un triste sourire.

Des diplomates arabes qui ont rencontré Abu Zayd reconnaissent qu’elle a fait tout ce qui lui était possible de faire, et plus encore, pour alléger les souffrances des réfugiés palestiniens, se prononçant toujours courageusement en faveur de leurs droits.

Ils avouent néanmoins également que les tentatives appliquées et les engagements sincères de cette dame convaincue ne pouvaient à eux seuls suffire pour soulager le mal qu’Israël inflige sans la moindre pitié au peuple palestinien.

Al-Ahram/Weekly - Publication du 17 au 23 décembre 2009 N° 977 - traduction : JPP


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