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Israël : « Un soldat mort vaut mieux qu’un soldat captif »

mercredi 16 décembre 2009 - 16h:36

Jonathan Cook

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Le tir mortel de soldats israéliens sur un civil israélien, en début de cette semaine, alors qu’il tentait d’escalader une barrière vers la bande de Gaza, entre dans le cadre d’une procédure draconienne que l’armée était censée avoir abandonné progressivement depuis plusieurs années.

Les médias israéliens ont rapporté que Yakir Ben-Melech, 34 ans, avait perdu tout son sang après avoir été abattu selon la « procédure Hannibal », une procédure qui vise à empêcher que des Israéliens soient capturés vivants par des forces ennemies.

Un critique, Uri Avnery, ancien législateur israélien et dirigeant de Gush Shalom, un petit groupe pacifiste radical, a résumé ainsi la procédure : « Libérer le soldat en l’exécutant ».

La directive controversée, qui fut autrefois l’un des secrets militaires les mieux gardés, a été écrite il y a plus de 20 ans après que le gouvernement israélien se soit trouvé mis sous la pression nationale pour qu’il libère des centaines de prisonniers ennemis en échange de trois soldats capturés.

Israël est actuellement précisément engagé dans de telles négociations pour Gilad Shalit, un soldat retenu prisonnier par le Hamas dans la bande de Gaza depuis plus de trois ans. Selon certaines informations, il se pourrait qu’il soit libéré très prochainement dans le cadre d’une transaction par laquelle seraient également libérées plusieurs centaines de Palestiniens des prisons israéliennes.

Israël était censé avoir mis fin à la procédure Hannibal après le retrait de son armée d’occupation du Sud du Liban en mai 2000.

Cependant, il existe des preuves convaincantes qu’il a continué de l’appliquer, particulièrement lors des évènements qui déclenchèrent l’attaque d’Israël contre le Liban, en été 2006, et à nouveau l’an dernier, dans son assaut contre Gaza.

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Les troupes d’occupation à Erez, passage au nord de la bande de Gaza
(AP)

Ben-Melech, qui était soigné dans une clinique psychiatrique proche d’Ashkelon, a essayé d’entrer dans Gaza au petit matin, lundi, dans ce que sa famille interprète comme une tentative de sauver Shalit. D’après l’armée, ses gardes ont effectué plusieurs tirs de sommation alors qu’il courrait vers Gaza avant de lui tirer dans les jambes.

Plusieurs journalistes militaires israéliens, apparemment briefés par l’armée, ont fait savoir que la procédure Hannibal était invoquée dans le cas Ben-Melech.

L’utilisation de la procédure a également été confirmée par Zvika Fogel, ancien chef adjoint au Commandement militaire Sud, qui comprend Gaza. Il a déclaré sur la station radio Reshet B : « La procédure Hannibal est sans aucun doute la bonne procédure. Nous ne pouvons nous permettre aujourd’hui de donner une âme s ?ur à Gilad Shalit.  »

Cependant, et apparemment comme un signe de l’extrême sensibilité qui continue à toucher cette question, les éditions de langue anglaise des quotidiens israéliens n’ont pas parlé de la procédure. The Jerusalem Post, seul grand quotidien d’Israël à tirer en anglais, a supprimé sur son site web une référence à la procédure qui était évoquée dans un article précédent, et le porte-parole de l’armée a évité de répondre aux questions qui portaient sur la procédure qui avait été suivie pour tirer sur Ben-Melech.

Des explications ultérieures de l’armée ont mis l’accent à la place sur la menace que posait prétendument Ben-Melec. Un officiel a déclaré à Ynet, le site web d’informations le plus important d’Israël : « Les gardes (frontière) n’avaient aucun moyen de savoir qui il était, et ils ont craint que sa tentative d’infiltration ne fasse partie d’une attaque terroriste de plus grande échelle. »

La belle-s ?ur de Ben-Melech, Ilanit, a réagi en disant que le compte rendu fait par l’armée n’avait aucun sens. «  Il courait dans la direction de Gaza, et non vers les soldats, alors pourquoi avoir tiré sur lui ?  »

La procédure Hannibal n’a été révélée qu’en 2003 et par accident, grâce à une bourde de la censure militaire israélienne qui a laissé passer une référence dans un article du quotidien Ha’aretz.

Dans un article qui a suivi, ce quotidien nous apprenait que la directive avait été élaborée en 1986 à la suite d’un accord où Israël avait dû libérer plus de 1 100 Palestiniens en échange de 3 Israéliens. Gabi Ashkenazi, l’actuel chef d’état-major, faisait partie de ceux qui ont conçu la procédure.

L’ordre, décrit comme le plus controversé de l’histoire de l’armée israélienne, stipule qu’ « un soldat mort vaut mieux qu’un soldat captif », selon Ha’aretz. La directive a parait-il fait scandale dans l’armée à l’époque, certains commandants et rabbins la considérant comme immorale, bien qu’aucune mention n’en ait été faite publiquement pendant de nombreuses années.

Elle a été officiellement utilisée en octobre 2000, cinq mois après le retrait des forces israéliennes du Sud Liban, quand le Hezbollah captura trois soldats le long de la frontière. Des hélicoptères d’attaque ont alors tiré sur un véhicule à l’intérieur duquel on croyait que se trouvaient les soldats israéliens.

Les corps des soldats ont été rendus par le Hezbollah, avec celui d’un homme d’affaires israélien capturé 4 années plus tôt, dans le cadre d’un accord qui incluait la libération de 400 Palestiniens et de 35 Arabes d’autres nationalités.

La procédure, selon Ha’aretz, a été révoquée en 2002, mais des soldats ont informé le quotidien qu’on leur avait demandé de l’appliquer en dépit de son abrogation officielle.

Il y a un certain nombre d’indications, en plus du tir sur Ben-Melech, qui montrent que la procédure est toujours en vigueur.

Il semble qu’elle ait été invoquée aussi après la capture, par le Hezbollah, de deux soldats israéliens à la frontière libanaise en été 2006, incident qui a déclenché l’attaque d’un mois d’Israël sur le Liban.

Eitan Baron a écrit sur un blog que son frère Yaniv, tankiste de 19 ans, avait été envoyé en mission à la poursuite du groupe du Hezbollah qui tenait les deux soldats, en application de la procédure Hannibal.

Yanif Baron et les quatre autres membres de l’équipage du char d’assaut sont morts quand le char a sauté sur une mine et qu’ils furent abattus par le Hezbollah, dans ce qui était manifestement une embuscade.

Selon Baron, le commandant du bataillon de Yaniv a dit à sa famille après sa mort que la procédure avait été invoquée. « Ils (l’équipage du tank) étaient familiarisés avec la procédure, et sans s’interroger davantage, ils ont engagé la poursuite, » écrit Baron.

De nouvelles révélations à propos de la procédure ont été dévoilées en janvier dernier, lors de l’assaut israélien contre Gaza, quand la presse israélienne rapporta qu’on disait aux soldats israéliens envoyés à l’intérieur de la bande de Gaza qu’il leur fallait éviter à tout prix de se faire capturer.

La chaîne de télévision israélienne, Channel 10, a cité un officier du Bataillon 501, de la brigade Golani, qui a affirmé : « Aucun soldat du Bataillon 501 ne doit être enlevé, à aucun prix, et dans aucune situation, même si cela implique qu’il se fasse sauter à la grenade, avec tous ceux qui risquent de se faire prendre (sic) avec lui  ».

Un officier des Brigades Givati, également cité, a également invoquait la procédure Hannibal, ajoutant : « Nous n’aurons à aucun prix deux Gilad Shalit ».

Lors de l’assaut, le Hamas a prétendu qu’il avait capturé des soldats à deux reprises, mais que l’armée israélienne avait abattu à la fois les combattants du Hamas et ses propres soldats dans des frappes aériennes. Trois soldats israéliens auraient été tués par des tirs amis.

Un certain nombre de Palestiniens, dont des enfants, ont subi des tirs de l’armée israélienne alors qu’il s’étaient approchés du périmètre de la barrière qui entoure Gaza. L’année dernière, Israël a annoncé qu’il tirerait sur tout Palestinien qui entrerait dans une zone s’étendant sur plusieurs centaines de mètres, côté palestinien de la barrière.

Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books).

Son site : http://www.jkcook.net/
Son courriel : jcook@thenational.ae

Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont été présentés le 4 mars 2009.

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Une version de cet article a d’abord été publiée dans The National, à Abu Dhabi.

10 décembre 2009 - The Electronic Intifada - Traduction : JPP


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