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La guerre, la négation et l’identité musulmane sous un jour nouveau

vendredi 23 octobre 2009 - 06h:24

Ramzi Baroud

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Il faut des générations pour qu’une véritable confiance s’enracine, et le compte à rebours ne peut commencer tant qu’un soldat US est stationné dans un pays musulman pour y faire la guerre et l’occuper.

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L’animosité et le racisme existaient bien avant que la politique étrangère US ne soit la règle.




Une journaliste musulmane commence un article par ceci, « Qui dit que la campagne pour les droits des animaux a commencé en Occident... ». Et elle poursuit en affirmant que c’est l’Islam qui a apporté le traité original pour un traitement sans cruauté des animaux. Son argument était mal conçu, insuffisamment étayé, alors que le fond de son idée était dans une certaine mesure, juste. La tradition islamique a en effet jeté les bases, avec des limites claires, de ce que doit être un traitement sans méchanceté des animaux.

Mais pourquoi l’auteure, comme tant d’autres, a-t-elle choisi de transformer ce qui aurait dû être un argument constructif, en une diatribe ? Etait-il nécessaire de s’en prendre au discours occidental, en recourant à la classification jamais prévisible de « nous et eux », au lieu d’essayer de trouver une cause commune ?

La même remarque peut être faite à propos d’autres débats, qu’ils aient trait aux droits de l’homme (en particuliers des femmes), à l’environnement, au droit du travail, ou à beaucoup d’autres questions.

A sa décharge, Amirah Sulaiman suivait simplement un schéma existant, fréquemment utilisé pour déterminer une évolution culturelle et religieuse, au détriment d’une autre.

Mais c’est aussi plus que cela, il s’agit encore d’un mécanisme de défense, d’un rappel obsédant que le prétendu choc des civilisations, bien plus imaginé et politisé que réel, pénètre de nombreux aspects de la perception que nous avons de nous-mêmes et des autres.

Chez les intellectuels musulmans, comme dans les sociétés, ce paradigme est omniprésent.

L’animosité culturelle, la défensive collective, le racisme (et l’orientalisme), entre autres tendances culturelles primordiales existaient bien avant que la politique étrangère discréditée des Etats-Unis au Moyen-Orient ne devienne la règle, bien avant les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et les guerres contre l’Iraq et l’Afghanistan. Mais ces évènements ont conforté les discordes existant des deux côtés, avec des musulmans qui se cristallisent comme victime collective et les USA, d’un point de vue musulman, considérés comme une représentation grossière mais vraie de l’Occident.

Naturellement, les musulmans et l’Islam sont eux-mêmes représentés de façon menaçante aux Etats-Unis, et donc par les médias, la culture et le psychisme « occidentaux » : un homme barbu qui brandit un poignard, qui abuse des femmes, qui fait exploser les infidèles dès qu’il a un moment. Aussi cocasse que j’ai voulu l’écrire ici, il est vraiment inquiétant qu’une telle représentation existe dans l’esprit de beaucoup.

Il serait profondément injuste et grandement inexact de comparer la déformation « occidentale » de l’Islam et des musulmans, avec la déformation par ceux-ci de l’Occident. L’approche de l’Occident a caricaturé la représentation de l’Islam avec une mentalité Fox News de pays arrogants, militairement puissants et économiquement stables. Le point de vue occidental est largement hégémonique et sa solution habituelle pour conduire les guerres à leur terme consiste en des renforts militaires et en une augmentation de l’aide militaire (avec l’Iraq, l’Afghanistan, et le Pakistan comme exemples en vigueur).

L’identité collective musulmane cependant est très fragmentée, entre des gouvernements qui ne représentent qu’eux-mêmes et des peuples confrontés à une multitude de formes d’oppression : la dictature politique dans le pays, la répression de l’extérieur (guerre, interventions étrangères, etc.), l’incertitude économique (alimentée par les inégalités et aggravée par une mondialisation qui s’infiltre), et l’extrémisme.

La soi-disant guerre contre le terrorisme, pour des raisons évidentes, a cristallisé cette fragmentation. D’une part, elle a renforcé le sentiment croissant chez beaucoup de musulmans de la victimisation ; une notion qui résulte elle-même tant de la soumission que de l’extrémisme. D’autre part, elle a inspiré une nouvelle réflexion, positive par moments, un oubli de soi-même pour d’autres : elle a animé un sens affirmatif d’identité et de fierté parmi une génération désespérée afin de s’identifier selon ses propres priorités et sur son propre terrain, tandis que d’un autre côté, elle a conduit à un mouvement (mineur) de migration intellectuelle, recherchant avec l’ « Occident » à s’évader de la réalité oppressive dont, bien sûr, l’ « Occident » était tout autant responsable.

Mais ce n’est pas la guerre seule (et en elle-même) qui a façonné les perceptions musulmanes de l’ « Occident » ; c’est l’insistance des Etats-Unis (et dans une moindre mesure, de la Grande-Bretagne) plutôt que leur guerre qui a pris fait et cause pour un discours essentiellement occidental sur la démocratie et les droits de l’homme. De telles discussions ont eu lieu dans un climat déjà hostile : incessants grommellements médiatiques et universitaires sur les défauts de l’Islam, et une aile droite qui se renforce, avec des tendances racistes en différents pays occidentaux visant les immigrants et les minorités, pour beaucoup musulmans.
Quand de telles intrusions politiques, militaires et intellectuelles sont soutenues par des déclarations telles que celles du sous-secrétaire adjoint US à la Défense pour les renseignements, le lieutenant général William G. Boykin (aujourd’hui en retraite), alors l’histoire se corse, et la polarisation collective des deux sociétés grandit. Boykin, auteur de Never Surrender : A Soldier’s Journey to the Crossroads of Fait hand Freedom”, [Ne jamais capituler : itinéraire d’un soldat au carrefour de la foi et de la liberté], est devenu célèbre pour sa citation infâme, d’il y a plusieurs années, en parlant d’un militant musulman à Mogadiscio : « Je savais mon Dieu plus grand que le sien. Je savais que mon Dieu était un Dieu véritable et le sien une idole. »

Ceci n’est qu’une citation, bien sûr, dans une mer de propos doctrinaires qui ont marqué de nombreux officiels et experts en communication pendant l’Administration Bush. De telles voix sont maintenant quelque peu en sourdine, bien qu’il soit difficile de croire que l’arrivée du Président Barack Obama puisse faire bouger une culture dans son intégralité.

Il faut des générations pour qu’une véritable confiance s’enracine, et le compte à rebours ne peut commencer tant qu’un soldat US est stationné dans un pays musulman pour y faire la guerre et l’occuper.

Encore une fois, il y a plus que tout cela. Inverser les dogmes intellectuels et les réalisations collectives est un processus si alambiqué ; il demande du temps, de l’action et de la bonne volonté.

Dans le même temps, les musulmans qui tiennent à vivre dans l’ombre de l’ « Occident » comme des passionnés sans réserve ou des détracteurs obsédés doivent revoir leur propre discours. Comme pour les autres, ils ne doivent pas permettre à la seule guerre, aux abonnés de la culture médiatique de MTV, à la mondialisation hégémonique et aux propos racistes d’un politicien ou d’un nouvel adepte évangéliste, d’entacher leur opinion d’ensemble de ce qui est essentiellement unique, différent et à bien des égards des civilisations impressionnantes qui ont fait beaucoup de bien. En effet, il y a des Boykin, mais il y a aussi des millions d’autres qui sont épris de paix, des gens ordinaires, dont certains sont des défenseurs ardents des droits humains, qui mènent campagne contre la guerre, notamment des milliers qui ont brisé à maintes reprises le siège de Gaza, et auparavant, celui de l’Iraq. Les musulmans aussi doivent laisser tomber leurs caricatures qui les ramènent à être des ennemis, juxtaposant la vertu essentielle des musulmans et la dépravation essentielle de l’ « Occident ». Non seulement de telles réductions sont inexactes et autodestructrices, mais elles brisent aussi les alliances possibles entre les forces du bien dans ce monde, à un moment où elles sont essentielles.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est écrivain et publie pour PalestineChronicle. Ses écrits sont publiés par de nombreux journaux, quotidiens et anthologies à travers le monde. Son dernier livre : La Seconde Intifada : une chronique du combat du peuple (Pluto Press, Londres) et son prochain : Mon Père était un combattant de la liberté : l’histoire non dite de Gaza (Pluto Press, London).

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21 octobre 2009 - Palestine Chronicle
- traduction : JPP


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