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Guerre américaine par procuration à Gaza

mercredi 7 février 2007 - 23h:32

Ali Abunimah - The Electronic Intifada

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Ces derniers jours, les brutalités incessantes et meurtrières de l’occupation israélienne ont été éclipsées par le carnage de Gaza où des dizaines de Palestiniens ont été tués dans ce qu’on appelle communément « combats entre factions » opposant les forces loyales au président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, et à sa faction du Fatah, d’un côté, et les forces loyales au gouvernement dirigé par le Hamas, de l’autre.

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Policiers du Hamas - Gaza City

Les ondes radio ont été saturées d’appels angoissés venus de tous les secteurs de la société palestinienne - partis politiques, organisations non gouvernementales, chefs religieux chrétiens et musulmans - pour que cessent les combats et qu’on revienne au dialogue.

Peut-être par peur d’exacerber une situation déjà cruelle, peu de ces voix s’en sont prises directement au moteur de cette violence.

Dans les esprits enfiévrés des idéologues de l’administration Bush, la Palestine est devenue un nouveau front dans ce qu’ils conçoivent comme une nouvelle Guerre Froide contre l’ « islamo-fascisme ». Ils tiennent l’Iran pour la cible principale et des batailles sont menées par procuration contre un ennemi imaginaire, depuis l’Afghanistan et le Pakistan, en passant par l’Irak, jusqu’à la Palestine, le Liban, la Somalie et au-delà, partout où l’on peut trouver des Arabes et des musulmans. Dans chaque cas, des conflits locaux, avec leur histoire spécifique, sont exacerbés et rangés dans cette grande perspective narrative.

Mahmoud Abbas et le seigneur de la guerre Mohamed Dahlan à Gaza sont devenus les complaisants fondés de pouvoir au niveau de la concession palestinienne de ce vaste projet, ainsi qu’en attestent leur tactique et leurs déclarations d’allégeance.

Le dernier cycle de combats a débuté vendredi 1er février, lorsque les forces du Ministère palestinien de l’Intérieur, que dirige le gouvernement Hamas, ont tenté d’interdire l’entrée à Gaza d’un convoi de camions en provenance d’Israël. De hauts fonctionnaires ont prétendu que les camions transportaient des armes destinées à la Garde présidentielle, la milice fidèle à Abbas.

Des personnalités du Fatah, s’exprimant sur les ondes du service en arabe de la BBC, ont opposé un démenti véhément à ces allégations, faisant des déclarations contradictoires quant au chargement des camions, l’un disant qu’ils transportaient « de la nourriture et des médicaments pour le peuple palestinien », un autre « des tentes et de l’équipement », un troisième encore « des générateurs électriques et des pièces de rechange ». Il n’y avait pas deux démentis concordants.

Pourtant, le fait que la Garde présidentielle reçoive des armes via Israël est connu de tous les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie et il en a été ouvertement question, durant des mois, dans les médias israéliens. Depuis octobre, huit cargaisons de fusils AK-47, de mitrailleuses et de plusieurs millions de cartouches sont entrées à Gaza, venant d’Israël, par les passages de Nahal Oz et Kerem Shalom, aux dires d’un officier de haut rang de la Force 17, une milice du Fatah, qui a communiqué cette information au journaliste Khaled Amayreh, en poste à Hébron. Toutes ces armes ne vont pas exclusivement à la Garde présidentielle ; beaucoup sont vendues au plus offrant.

Et il y a quelques jours à peine, le Président Bush a annoncé que dans un avenir proche, il transférerait 86 millions de dollars afin de renforcer Abbas.

Dans le but de changer de sujet, et de passer de ce scandale d’une « présidence » palestinienne recevant des armes US, via Israël, pour les employer contre le peuple palestinien, la Garde présidentielle a lancé une contre-attaque contre l’Université Islamique de Gaza, bombardant, brûlant et démolissant des parties de celle-ci. Des fonctionnaires d’Abbas ont déclaré que leurs forces avaient arrêté sept experts en armes iraniens travaillant pour le Hamas, et ils ont taxé les dirigeants du Hamas d’ « extrémistes » et de « putschistes ». Le Fatah et une radio locale appuyée par le Fatah ont même accusé le Hamas d’avoir lui-même incendié l’Université Islamique afin de noircir la « glorieuse image » du Fatah. Les allégations à propos des Iraniens n’ont été prises au sérieux par personne, mais elles ont révélé à quel point les fonctionnaires d’Abbas ont adopté la perspective israélienne et américaine.


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Vue de l’université islamique, après une attaque de membres du Fatah, à Gaza City,
le 2 février 2007

Au cours de diverses manifestations, les loyalistes de Dahlan ont crié « Shiites, Shiites » aux sympathisants du Hamas. C’était peut-être censé attirer l’attention sur l’appui iranien au Hamas (mouvement qui, comme le reste de la communauté palestinienne musulmane, est sunnite) mais cette détestable provocation sectaire, inconnue jusqu’ici dans la société palestinienne, sert (pour le moment) l’agenda stratégique plus large des sponsors d’Abbas et Dahlan.

Après la défaite israélienne face au Hezbollah, l’été dernier, le mouvement shiite libanais, appuyé par l’Iran, a gagné un énorme prestige parmi les peuples de la région, en particulier chez les Palestiniens, en tant que mouvement arabe nationaliste et pan-islamique, tenant tête à l’agression israélienne, en contraste avec des gouvernements sans mordant, impopulaires et corrompus. D’où la promotion active de la peur sunnite à l’égard du frère shiite, destinée à limiter l’influence de l’Iran - et à resservir une bonne vieille dose de « diviser pour régner ». (Dans cette perspective, le carnage en Irak et l’outrage de la brutale pendaison d’un Saddam identifié aux sunnites, par une milice identifiée aux chiites, étaient un véritable bonus.)

Abbas fait enfin ce qu’Arafat a toujours été poussé à faire, tandis qu’Israël et les USA observent joyeusement. Comme l’expliquait Haaretz, Israël n’a éprouvé aucun besoin de lancer une opération de représailles de grande envergure contre Gaza, suite à l’attentat d’Eilat du 29 janvier : « Lorsque Fatah et Hamas réussissent si bien à s’entretuer, pourquoi Israël interviendrait-il et les inciterait-il à resserrer les rangs contre l’ennemi commun ? »

Tandis que les combats faisaient rage à Gaza, le porte-parole de la politique américaine, ce qu’on appelle le Quartet (constitué de représentants des Etats-Unis, de l’Union Européenne, des Nations Unies et de la Russie), s’est réuni pour discuter du « processus de paix » depuis longtemps défunt. Cet organe a exprimé sa « profonde préoccupation au sujet de la violence parmi les Palestiniens » et a appelé au « respect de la loi et de l’ordre ». Répétant l’approche américaine de la guerre du Liban de l’été dernier, le Quartet n’a ostensiblement pas appelé à un cessez-le-feu.

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Vue d’une petite partie des destructions dans l’université islamique, après une attaque des milices du Fatah, à Gaza City, le 2 février 2007

Il a néanmoins appelé à « l’unité palestinienne derrière un gouvernement engagé dans la non-violence, dans la reconnaissance d’Israël et l’acceptation des obligations de la Feuille de Route », tout en demeurant totalement silencieux sur le nettoyage ethnique lent et continu des Palestiniens par Israël, en particulier l’annonce faite la semaine dernière par le Premier Ministre israélien, Ehoud Olmert, qu’Israël étendait le mur de séparation illégal en Cisjordanie, plus à l’Est afin d’annexer plusieurs grandes colonies réservées aux juifs. Cette mesure ajoutera vingt mille Palestiniens aux centaines de milliers d’autres qui sont déjà isolés dans ces ghettos emmurés que l’ancien président américain Carter a comparés à l’ « apartheid ».

Le Quartet a même fait bon accueil à l’armement de la Garde présidentielle par les USA, encore que le double langage diplomatique ait trouvé l’euphémisme convenable pour en parler comme des « efforts d’amélioration du secteur palestinien de la sécurité, visant donc à aider à faire avancer la loi et l’ordre pour le peuple palestinien ».

Si peu encourageantes que soient les choses, des fissures commencent à apparaître. Bien que la propagande états-unienne assure qu’armer la milice d’Abbas est en partie une réponse à l’influence iranienne croissante, le Comité du Développement International du Parlement britannique a conclu, la semaine dernière, que c’étaient les sanctions occidentales et les mesures d’isolement qui avaient conduit le Hamas à rechercher le soutien iranien. Le Comité a condamné le refus du gouvernement du Royaume Uni de discuter avec le Hamas, le pressant de le faire comme il l’a fait avec l’IRA, et le pressant d’envisager des sanctions de l’Union Européenne à l’égard d’Israël, comme la suspension de l’Accord d’Association qui octroie à l’Etat juif des privilèges commerciaux.

La propagande israélienne et américaine, adoptée maintenant aussi par l’Union Européenne, tente d’obscurcir cette compréhension fondamentale que la Palestine est un combat pour la libération d’un peuple colonisé. La politique qui consiste à aider un groupe de collaborateurs à lutter par procuration, au nom de l’empire, du colonisateur et de l’occupant, ne fera qu’aggraver l’effusion de sang. Mais, au bout du compte, elle échouera en Palestine comme elle a échoué en Irlande du Nord, en Afrique du Sud et Centrale et en Amérique du Sud, et comme elle est en train d’échouer en Irak.












Ali Abunimah est co-fondateur de ?The Electonic Intifada’ et l’auteur de « One Country - A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse » (Metropolitan Books, 2006)

Ali Abunimah, The Electronic Intifada - The American proxy war in Gaza, le 3 février 2007
Traduit de l’anglais par Michel Ghys

Du même auteur : Une opinion palestinienne sur le livre de Jimmy Carter


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