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La moralité du chef d’état-major

vendredi 21 août 2009 - 08h:08

Gideon Levy
Ha’aretz

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Laisser un enfant conduire un véhicule tout terrain des FDI ? Interdit. Tuer des enfants qui portent un drapeau blanc ? Permis. Laisser votre épouse conduire une voiture de l’armée ? Interdit. Tuer des femmes ? Permis. Tel est le message.

Le général Gabi Ashkenazi est un modèle de morale et d’éthique à la tête d’une organisation qui n’est pas moins morale ou éthique. La semaine dernière, il est sorti de son silence et a prouvé sa sensibilité aiguë aux questions de conscience : « Nous n’avons pas un gramme de tolérance, » a déclaré le chef d’état-major, d’une voix forte et claire, en évoquant ceux qui avaient bizuté des soldats. Et aussi, « Cet incident doit nous rappeler le niveau élevé de morale qui est attendu de nous, » a-t-il déclaré d’une voix claire et concise, en parlant cette fois de l’affaire du général de brigade Imad Fares.

Toutefois, le même jour où le chef d’état-major - qui se vante de son « niveau éthique élevé » - faisait cette déclaration, un rapport d’Human Rights Watch (USA) était rendu public. Il indiquait que pendant l’opération Plomb durci, les forces de défense israéliennes avaient tué 11 civils - dont 5 femmes et 4 enfants - qui brandissaient des drapeaux blancs, acte qui représente un crime de guerre caractérisé. Ceci aurait dû choquer bien davantage mais nous n’avons pas entendu un seul mot à ce sujet de la part du chef d’état-major. Pour ça, il avait des kilos de tolérance.

Les FDI sous les ordres d’Ashkenazi, qui a exigé que l’armée « passe au peigne métallique chaque section et chaque escouade » en réaction à l’incident du bizutage, n’ont fait faire aucune enquête sur les meurtres des porteurs de drapeau blanc. Tout d’un coup, les FDI - dont un porte-parole, le général Avi Benayahu, a lancé une campagne honteuse pour discréditer le groupe défenseur des droits humains, Briser le Silence, pour avoir osé recueillir des témoignages choquants de soldats - les FDI apportent leur soutien à des investigations dans toute les tentes. « Nous devrions encourager les révélations, » déclare sans crainte le chef d’état-major enquêteur, alors que les FDI étouffent toute possibilité de révélations qui pourraient laisser soupçonner des crimes de guerre.

Si seulement notre camp était propre, propre de ceux qui disent du mal de nos soldats, purgé de ces petits menteurs. Laisser un enfant conduire un véhicule tout terrain des FDI ? Interdit. Tuer des enfants qui portent un drapeau blanc ? Permis. Laisser votre épouse conduire une voiture de l’armée ? Interdit. Tuer des femmes ? Permis. Les menus détails administratifs - une épouse conduisant la voiture de son époux, un fils conduisant un VTT et un bizutage de nouvelles recrues - sont des questions graves. Assassiner à tort des civils est autorisé. Tel est le message.

Si maltraiter les soldats est interdit et maltraiter les Palestiniens est permis, alors nous parlons de deux sortes de morale. Le résultat, c’est le deux poids deux mesures et la déshumanisation. Quand Ashkenazi dit, « En tant qu’officiers, nous sommes jugés sur notre capacité à être des exemples personnels dignes, » il parle de ces questions sans importance, comme la farce du général Fares (à laquelle nous pouvons maintenant ajouter cette affaire grotesque de carte de crédit volée). Il ne se réfère nullement aux questions d’éthique ou aux problèmes de conscience. L’extrême soin apporté à de telles questions futiles donne une merveilleuse feuille de vigne aux FDI car elle leur permet de prouver leur « moralité » et de se blanchir de toutes les allégations de crimes de guerre.

Fares, comme le général de brigade Moshe (Chico) Tamir avant lui, a commis une faute mineure. Tamir - c’est lui le coup du VTT - a été impliqué dans des faits plus graves, notamment le meurtre dévoyé de civils à Jénine et à Gaza, des actes pour lesquels nul n’a pensé à le rétrograder. Lorsque les FDI se mettent à réagir avec une telle force contre deux officiers de qualité - eh, sont-ils vraiment de qualité : tous nos officiers de combat sont automatiquement étiquetés avec ce label -, elles essaient de faire le flou sur leurs véritables crimes et ceux de leurs collègues.

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Le général Ashkenazi est fait de téflon ; rien n’accroche sur lui, pas même après l’agression déchaînée sur Gaza et les meurtres de masse de civils.

Le bureau des porte-parole des FDI publie occasionnellement des déclarations officielles qui ne collent pas toujours avec la vérité, mais pour cela nous pardonnerons. Le major Avital Leibovich, porte-parole des FDI, a déclaré à Al Jazeera (anglais) jeudi, que les FDI ne tirent pas sur les enfants. Alors, comment des centaines d’enfants ont-ils pu mourir pendant l’opération Plomb durci ? Serait-ce le fait de la providence ? Personne n’a soulevé d’objections devant cette propagande mensongère. Mais quand Fares ment sur la question fatidique de savoir qui conduisait sa voiture, son sort est scellé. Nous n’avons pas encore vu un seul officier limogé à cause de meurtres dévoyés de Palestiniens à Gaza, mais quand il s’agit de mentir à une entreprise de crédit-bail auto, là c’est une autre question. Ce sont sur ces normes que la moralité est jugée dans l’armée la plus morale au monde. Aucune autre organisation en Israël ne parle aussi souvent de « moralité » tout en commettant autant d’actes aussi manifestement amoraux.

L’ancien chef d’état-major, Dan Halutz, avait vu sa réputation entachée avec sa « légère secousse dans l’aile », quand on lui avait demandé ce qu’il ressentait après avoir largué une bombe de son avion. Et il ne parlait que d’une bombe. Il a prétendu qu’il avait été mal compris. Ashkenazi est fait de téflon ; rien n’accroche sur lui, pas même après l’agression déchaînée sur Gaza et les meurtres de masse de civils, sous d’innombrables bombes. Maintenant, il peut aussi être perçu comme un chef d’état-major sensible, comme nous n’en n’avons pas vu quand il s’agissait de moralité. Oh, comme il a été choqué d’entendre les serviettes humides cingler le dos des soldats bizutés...


Sur les auteurs des crimes de guerre israéliens contre Gaza durant la dernière agression, vous pouvez lire : Noms et photos de criminels de guerre israéliens à Gaza de Kawter Salam (février 2009).


Du même auteur :

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Gideon Levy écrit régulièrement dans le quotidien israélien Ha’aretz ; il peut être contacté par courriel : levy@haaretz.co.il.

16 août 2009 - Ha’aretz - traduction : JPP


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