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Congrès du Fatah 2009 : fumée, jeux de miroirs et amertume

samedi 8 août 2009 - 07h:28

Sousan Hammad - The Electronic Intifada

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Bethléem a connu quelques jours peu habituels. Terminé, son charme suranné. La police palestinienne fait des heures supplémentaires et les petits cafés de la ville sont animés par des hommes en complet fumant cigare, pour la sixième assemblée générale du Fatah. Le mouvement Fatah, laïque, a été fondé dans les années cinquante et se trouve depuis à l’avant-plan du mouvement national palestinien.

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Mahmoud Abbas (au centre) s’adresse aux délégués au congrès du Fatah à Bethléem (Haytham Othman/MaanImages)

Pour beaucoup des 2.000 responsables du Fatah exilés de Palestine depuis des lustres, c’est une première visite. La dernière conférence générale de ce genre a eu lieu il y a plus de 20 ans à Tunis, mais le congrès de cette année, qui doit réélire les 21 membres du comité central de l’organisation, arrive à un moment crucial de la lutte palestinienne.

Avec l’acte de violence récent (encore un) d’Israël - la spoliation et l’expulsion de deux familles de leur maison de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est - le leader de l’Autorité Palestinienne (AP) Mahmoud Abbas et ses cohortes du Fatah doivent travailler contre l’impudente attitude, sans le moindre compromis, du Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou.

Mais il y a une chose pour laquelle on peut se fier au Fatah, c’est la puissance exemplaire de sa capacité d’intimidation - dans ce cas avec les attributs du totalitarisme tel que défini par le parti unique et la suppression de toute opposition.

A Bethléem donc, la cérémonie d’ouverture du congrès a commencé. Des affiches de martyrs et d’innombrables calicots tentant de rendre visible un esprit de résistance couvrent les murs de la salle de conférence : certains avec des slogans appelant les Palestiniens au retour, d’autres insistant sur le combat armé et l’indépendance.

L’hymne du Fatah retentit et la foule solennelle se tient debout, les bras mollement pendants. Quelques secondes plus tard, les délégués sont pris par un spectacle de chants et d’applaudissements quand Abbas, dont le mandat présidentiel expire en janvier prochain, apparaît sur la scène. Comme il attendait son tour pour lire ce qui ressemblait aux incontournables 60 pages de discours, un homme déambulait autour de la salle pour distribuer des keffiehs (le traditionnel foulard à damier) bon marché marqués Fatah aux délégués et aux journalistes. Il insistait pour que chacun le porte pour les caméras.

Le spectacle se poursuit avec un discours mélodramatique par l’ex-premier ministre Ahmed Korei, qui possède une part des Ciments al-Qods, société qui a vendu du ciment à Israël pour la construction du Mur illégal en Cisjordanie. Réveillant l’angoisse du passé, Korei a rappelé le souvenir du défunt dirigeant et fondateur du Fatah, Yasser Arafat, et demandé une minute de silence pour les martyrs du Fatah en Palestine.

Abbas prend les commandes sur scène, décrivant Bethléem comme le lieu de naissance assiégé de Jésus. Les délégués de Syrie, du Liban, d’Allemagne et d’autre lieux écoutent Abbas parler de tous les défis auxquels fait face le Fatah, notamment une attaque en règle contre l’impudence du Hamas qui n’a pas autorisé les responsables du Hamas à quitter Gaza. Comme Abbas parlait de Gaza, un délégué s’est levé de sa chaise, criant et scandant d’une voix menaçante « Mort au Hamas ! » Personne n’a paru dérangé par la haine exprimée par cet homme. Abbas a poursuivi son discours, survolant l’historique de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) depuis sa naissance en 1964 jusqu’à aujourd’hui, pendant deux heures d’affilée.

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Des milliers de délégués du Fatah venus du monde entier siègent dans la halle du congrès (Haytham Othman/MaanImages)

La vieille garde nationaliste n’a pu tenir en place pendant une heure de discours. Les gens entraient et sortaient dans les couloirs, sous l’auvent extérieur, pour retrouver leurs vieux camarades. Au milieu du charabia politique, un clone de Kadhafi blindé de lunettes de soleil arriva avec un retard très chic, tandis que les téléphones cellulaires sonnaient et que des nuages de fumée de cigarettes auréolaient les têtes des délégués assis à écouter une histoire qu’ils connaissaient déjà et que leurs vies traversaient.

Il était bien difficile de ne pas entendre le ton d’auto-congratulation appuyée d’Abbas dégoulinant des hauts-parleurs alors qu’il parlait de l’importance d’améliorer les mesures de sécurité en Palestine. Il parla des nouvelles lois que la police palestinienne a renforcées dans le but de « discipliner les Palestiniens » ainsi que d’une enquête sur la mort d’Arafat - bien sûr sans mentionner les récentes allégations du Secrétaire général et chef du département politique de l’OLP, Farouk Kaddoumi, selon lesquelles Abbas lui-même aurait collaboré avec Israël pour causer la mort du défunt président.

Il interpella Kaddoumi indirectement, disant que ceux qui veulent dénoncer la mort d’Arafat devraient avoir honte d’eux-mêmes. Mais aucune mention ne fut faite malgré la décision draconienne d’Abbas de fermer temporairement les bureaux cisjordaniens d’Al-Jazeera pour avoir diffusé des interviews où Kaddoumi portait ses accusations incendiaires.

Beaucoup de jeunes et de vieux restèrent cyniques quant à la possibilité de surmonter les conflits internes de l’organisation, disant qu’ils connaissaient tout cela depuis longtemps. Apparemment le seul vrai croyant était Gibril Rajoub, ex-haut responsable à la sécurité du Fatah et ancien chef de l’une des nombreuses forces de sécurité de l’AP, qui est considéré comme un des successeurs possibles d’Abbas. Rajoub a déclaré à la horde de journalistes qui lui tendaient leurs micros que le congrès était « une renaissance » qui allait revitaliser le Fatah.

Mais il suffisait de sortir pour voir la ségrégation régnant parmi les délégués. Les aînés de la diaspora, en uniformes kaki rappelant leurs jours révolutionnaires, se rassemblaient en fumant des cigarettes et buvant du Nescafé, tout en exprimant leur gratitude d’être revenus en Palestine avec les permis d’une semaine octroyés par Israël. Ensuite il y a la jeune garde : anciens combattants comme Zakaria Zubeidi, l’ancien leader des Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, mais aussi le signataire d’un accord d’amnistie avec Israël. Il déborde d’optimisme devant la presse sur l’urgence de la pacification avec Israël.

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La police de l’Autorité de Ramallah en tenue anti-émeute aux abords du congrès de Bethléem (Sousan Hammad)

Comme le disait un responsable du Fatah désireux de garder l’anonymat : « il y a deux avions dans ce mouvement : un avion de dahlanistes [Mohammed Dahlan et ses troupes] - qui n’ont que paix et pragmatisme à la bouche, et un autre avion de résistants - ceux qui veulent maintenir en vie la lutte armée. Mais il y a tant de corruption de la part de ceux qui tiennent des hautes positions que je ne pense pas que nous puissions nous rencontrer ... c’est entre eux et nous ».

Peu importe que la Cisjordanie et Gaza deviennent de plus en plus dépendantes des organisations d’aide occidentales pour développer leur villes et leurs villages, Abbas a insisté pour montrer aux délégués de l’exil le « succès » de l’AP. Malgré l’absence d’Etat palestinien, Abbas a dit combien il avait amélioré la sécurité d’Etat. A ces mots, Mohamed Edwan (haut responsable des relations avec la presse, qui par hasard était assis à côté de moi) a branlé du chef, en disant « C’est un état policier, pas un état en sécurité ».

Il est déjà difficile de percevoir le but de telles cérémonies, mais quand le propre communicateur d’Abbas rejette ce qu’il qualifie de mensonge, comment pouvons-nous attendre que le comité central, l’ordre du jour politique et les organismes prenant les décisions électorales agissent à l’unisson avec les membres du parti, moins encore que les dirigeants politiques d’autres factions, voire d’Israël ? Tels sont les feux de joie auxquels le Fatah est confronté lors du congrès.

* Sousan Hammad est une journaliste basée dans la ville cisjordanienne de Ramallah.
Pour la joindre : sousan.hammad@gmail.com

Du même auteur :

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6 août 2009 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Marie Meert


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