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Naseer Shamma : le magicien du luth

lundi 13 juillet 2009 - 07h:20

Monica G. Prieto

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Rencontre avec l’Irakien Naseer Shamma, le meilleur interprète contemporain de luth.

Je ne sais pas à quelle fréquence le monde découvre un génie, mais il est très facile de les distinguer. Naseer Shamma est l’un d’eux. Considéré comme le meilleur interprète contemporain de luth, l’instrument par excellence de la musique arabe classique, ses concerts sont devenus des événements dans tout le Moyen-Orient, où cet artiste tire des notes de son instrument qui font monter les larmes aux yeux des spectateurs.

Son don : interpréter d’une manière si belle que beaucoup appellent la magie, créer des images dans l’esprit des spectateurs, sans dire un mot, allier technique traditionnelle et composition moderne et s’exprimer avec des notes comme d’autres s’expriment avec des phrases.

À 43 ans, Naseer transmet une sérénité hors du commun, qui ne doit en aucun cas être confondue avec le bonheur. Ce qui lui plairait serait de revenir arracher les larmes de l’auditoire de l’Irak, son pays d’origine et le lieu où il a appris à aimer le luth, mais se défend de revenir tant que l’ancienne Mésopotamie restera occupée.

« Bien sûr j’aimerais jouer de nouveau à Bagdad. Mon pays conserve l’amour et le respect de la culture, mais, tant que les Américains seront là je n’y retournerai pas. C’est ma façon de montrer mon désaccord avec l’emploi de la force pour obtenir des intérêts. Quand tu emploies la force, tu cesses d’utiliser l’esprit. »

On ne peut pas reprocher précisément à Shamma de sympathiser avec le régime déchu de Saddam Hussein, qui a failli l’exécuter en 1991. Né dans la ville d’Al Kout, à 170 km au sud de Bagdad, en 1963, Naseer a découvert sa vocation à l’âge de cinq ans. « J’ai su tout de suite que mon avenir était lié au luth », raconte t-il au quotidien espagnol Elmundo.es après son dernier concert donné au Palais de l’UNESCO à Beyrouth, au nom des réfugiés palestiniens. « J’ai essayé plusieurs instruments, mais il m’apparut très clair que le luth était le meilleur pour moi. A six ans, j’ai commencé à donner des cours de luth. »

Ses enseignants ont été les meilleurs, et parmi eux Munir Bashir, l’un des plus grands maîtres du luth de tous les temps. A 11 ans, un Naseer préadolescent s’est révélé lors de son premier concert comme un enfant prodige de la musique. De là, l’École de Musique et des Beaux-Arts de Bagdad, « où mes professeurs ont été les stars irakiennes. » Les six années d’études requis pour l’obtention du diplôme ont été réduites, sans effort, à deux seulement.

Au fil des ans, sa passion pour l’instrument l’a conduit bien au-delà de la composition et de l’interprétation. Après la découverte d’un manuscrit du IXe siècle, attribué au philosophe et artiste afghan Al-Farabi, sur lequel apparaît le dessin détaillé d’un luth à huit cordes au lieu des six classiques, Shamma reconstruit ce prototype et se spécialise dans un instrument aussi archaïque que novateur. Le nouveau luth élargissait ses capacités et procurait des tonalités différentes idéales pour les thèmes complexes écrits par Naseer, où l’amour, l’histoire et la douleur se fondent et s’articulent.

Plaintes

Selon Naseer, l’Irak de la dictature était un endroit propice pour développer des compétences artistiques. « Saddam était un dictateur, mais avec lui l’enseignement était excellent. Les écoles enseignaient la musique à partir de six ans. Le niveau des universités d’alors est incomparable avec celui de l’Irak actuel », regrette-t-il. Mais l’ouverture du tyran envers les artistes et envers Naseer en particulier va bientôt s’estomper pour le musicien qui finit par dénoncer des crimes. Dans les années 80 et 90, il a été de plus en plus militant. « Dans les concerts, en présentant mes morceaux je parlais avec le public de thèmes très sensibles. J’appelais le peuple à s’opposer aux crimes contre les chiites et les Kurdes. Au cours d’un concert en faveur de l’Intifada palestinienne, le régime a ordonné mon arrestation. »

C’était en 1991. Naseer a passé 172 jours en prison, où il a appris sa condamnation à mort. Les organisations culturelles de l’Irak, du Moyen-Orient et de la moitié du monde ont supplié la clémence au dictateur pour sauver la vie de l’enfant prodige de la musique Irakienne. Le jour même où il devait être pendu, il a été gracié. « La condition a été que je fasse le service militaire dans une unité de commandos. Mais en 1991, servir comme soldat impliquait de combattre dans la guerre du Golfe. » Un des officiers l’a reconnu et l’a protégé. « Je n’ai pas eu à combattre, mais seulement à survivre aux bombardements des États-Unis et de leurs alliés », explique-t-il. Ca n’a pas été le pire : sa s ?ur, enceinte de neuf mois, est décédée dans un accident de la circulation que l’artiste a sans aucun doute attribué au régime. « Les accidents provoqués étaient une façon d’effrayer les dissidents. J’ai moi-même survécu à une autre tentative en 1993. »

Fuite de Bagdad

Cette année-là, son principal protecteur à Bagdad lui a dit qu’il ne pouvait pas continuer à risquer sa tête pour lui. Naseer a quitté l’Irak pour revenir qu’à une seule occasion, mais aussi pour ne pas arrêter de travailler pour son pays natal. Après s’être installé en Tunisie, il a parcouru le monde en donnant des concerts pour récolter des fonds pour les enfants irakiens et envoyer des chargements de médicaments. Il y est retourné seulement en 1997, pour une semaine, accompagné de 40 médecins égyptiens qui ont opéré les victimes de la guerre et de l’embargo.

Un an plus tard, Naseer s’est installé au Caire pour ouvrir une école de musique unique en son genre : Beit Al Oud, La maison du luth, où quelques 400 jeunes du monde entier ont été formés au cours de cette décennie à des techniques traditionnelles et aussi modernes de luth. L’équivalent de Jordi Savall de la musique arabe traditionnelle est enseigné individuellement afin que la beauté de la musique se traduise à d’autres aspects. « Les étudiants quittent les cours avec un équilibre et une beauté intérieure qu’ils n’avaient pas lors de leur admission à l’école », révèle t-il. « La musique peut casser les barrières et les contraintes idéologiques, elle dissout la fermeture d’esprit, mais sert également d’instrument de résistance contre l’injustice. » Dans le but de promouvoir cette idéologie, Shamma a créé un orchestre appelé « Les meilleurs sons du monde » dans lequel 20 jeunes talents de 20 pays, religions et races différentes formés dans son école parcourent le monde.

Il estime que sa véritable mission est de « mettre un musicien dans chaque maison. » Ou au moins la faire aimer par le plus grand nombre possible de personnes. Pour ce faire, Naseer Shamma a déjà ouvert plusieurs annexes de sa maison du Luth (Alger, Abu Dhabi, Soudan, Doha) et envisage d’installer la prochaine à Murcie, où il a déjà choisi les bâtiments qui abriteront les étudiants les plus chanceux. C’est le meilleur exemple de sa relation avec l’Espagne, où il agit depuis les années 90 et où il envisage de revenir le 17, puisqu’il sera sur la scène de Malagà.

Et tandis qu’il planifie un été rempli de concerts, une partie de son esprit est toujours dans son pays. « Les événements en Irak affectent ma musique et ma vie », poursuit-il. « Ma musique a tendance à ressembler à la situation dans le pays. A chaque bombe je pense aux nombreux enfants orphelins, à toutes les veuves qui ont besoin d’aide. Je compose avec ça dans la tête et ça agit également sur l’esprit, étant donné qu’une partie de la recette des concerts est reversée aux ONG qui travaillent en Irak. J’ai 2000 enfants qui ont besoin d’une chirurgie cardiaque, et je n’ai pu payer que 150 interventions », regrette-t-il.

Extrait musical sur YouTube (Naseer Shamma - Hilal-alsaba)

30 juin 2009 - El Mundo - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.elmundo.es/elmundo/2009/...
Traduction de l’espagnol : Charlotte


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