Après s’y être longtemps cramponnés, les officiels palestiniens voient les fondements de la solution à deux Etats s’estomper sous leurs yeux.
- Obama et Netanyahu s’entretiennent après leur rencontre à la Maison-Blanche
le 18 mai 2009 - (photo L. Jakson/White House)
Le chef du Conseil national israélien de la Sécurité, Uzi Arad, et son équipe ont travaillé d’arrache-pied pendant trois semaines pour élaborer les positions que le Premier ministre israélien, Binyamin Netanyahu, allait proposer au président US, Barack Obama. Arad, qui a été le chef de la division recherche du Mossad, est l’assistant le plus proche de Netanyahu. Depuis 1996, Netanyahu a adopté ses choix politiques pour les relations israélo-arabes et plus spécialement pour les relations avec les Palestiniens.
Arad a clarifié en termes résolus les positions que Netanyahu proposerait à Obama, mettant en avant que dans les circonstances présentes, Israël ne pouvait approuver une vision à deux Etats comme solution au conflit entre Israël et le peuple palestinien. L’établissement d’un Etat palestinien serait considéré comme une menace existentielle pour Israël puisque le Hamas aurait la possibilité d’en prendre le contrôle. Selon Arad, Netanyahu va s’attacher à tenter de convaincre Obama qu’il est nécessaire de s’intéresser moins à la question palestinienne et qu’il faut par contre concentrer ses efforts sur le programme nucléaire de l’Iran. Les Etats arabes les plus « modérés », prétend-il, commencent à être convaincus que la menace iranienne est le plus grand défi posé à la région.
Arad indique qu’Israël propose maintenant à l’administration Obama d’ ?uvrer à l’élaboration d’une nouvelle « feuille de route » pour arriver à une paix régionale. Israël propose de constituer des équipes communes pour formuler la nouvelle « feuille » avec des conditions spécifiques, la plus importante étant qu’Israël est l’Etat du peuple juif, et qu’il faut préparer les Etats arabes à des relations normalisées avec Israël. Dans le même temps cependant, Israël refuse de s’engager à arrêter la construction des colonies en Cisjordanie, arguant que cette construction répond à un besoin en logements du fait de la croissance naturelle de la population des colons.
Netanyahu est parti de Tel-Aviv avec, aux oreilles, les menaces des membres du Likoud. La plupart des représentants du Likoud (Netanyahu est le chef du Likoud) ont en effet menacé de ne pas respecter la discipline du parti et de ne pas voter les décisions du gouvernement si Netanyahu acceptait un tant soit peu l’idée d’un Etat palestinien.
La création d’un Etat palestinien
Les médias israéliens ont fait remarquer que la visite de Netanyahu à Washington coïncidait avec un accroissement d’un intérêt en Israël [pour les deux Etats] - du fait que l’administration Obama a adopté la proposition de l’ancienne ministre des Affaires étrangères israéliennes Tzipi Livni pour que le monde arabe prenne une série de mesures pour convaincre l’opinion publique israélienne de soutenir la vision à deux Etats. Selon le plan Livni, les régimes arabes - même ceux qui n’ont aucune relation avec Israël - doivent sans équivoque soutenir les négociations entre l’Autorité palestinienne (AP) et Israël et ne pas intervenir pour les contrecarrer. Livni appelait aussi les Arabes à soutenir l’AP du président Mahmoud Abbas tout en resserrant l’étau sur le Hamas et son régime, ainsi qu’à normaliser leurs relations avec Tel-Aviv aussi rapidement que possible.
Les porte-parole de l’AP ont montré quelque gêne suite à des fuites confirmant que l’administration US avait assuré à Netanyahu qu’il ne subirait aucune pression durant la rencontre. Le secrétaire du Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Abed Rabbo, a demandé à l’administration Obama d’adopter une position ferme sur l’avenir du processus de négociations entre Israël et l’AP, insistant sur le fait que l’AP rejetait les conditions imposées par Netanyahu pour reprendre ces discussions. Abed Rabbo estime que ces conditions visent à « éluder la question centrale qui est la fin de l’occupation et la création d’un Etat palestinien indépendant. Il n’est pas nécessaire d’aller au fond des détails avancés par Netanyahu, car tout est trompeur et sans intérêt. » Abed Rabbo a demandé à l’administration US de fixer un calendrier pour la mise en ?uvre du plan de paix arabe. « Ce qui est important, c’est de quelle fermeté fera preuve l’administration américaine dans le travail de mise en oeuvre d’un tel plan, et quelles mesures elle compte prendre pour engager un processus de paix sérieux, » a-t-il déclaré.
Certains observateurs ont mis en garde l’AP de ne pas tabler sur la vision à deux Etats comme la meilleure façon de faire avancer la cause palestinienne. Nehad Al-Sheikh Khalil, éminent politologue, soutient que la vision à deux Etats se heurte à l’engagement pris par les Etats-Unis - rhétorique publique à part - qui visait à faire de la création d’un Etat palestinien une tâche quasi impossible. Al-Sheikh Khalil rappelle que cet engagement a été pris dans une lettre de garanties que l’ancien président US, George W. Bush, a remise à l’ancien Premier ministre israélien, Ariel Sharon, le 14 mai 2004. Ces garanties affirment l’accord US pour le refus israélien du droit au retour des réfugiés palestiniens et du retour aux frontières du 4 juin 1967. Elles incluent également la reconnaissance US de l’évolution démographique en cours en Cisjordanie et à Jérusalem. Al-Sheikh Khalil insiste encore sur l’acceptation par l’administration US actuelle de l’interprétation que fait Israël de la « feuille de route », en particulier sur les exigences de sécurité imputées à l’AP à Ramallah pour la répression et l’éradication de la résistance palestinienne.
En dépit d’éloges inhabituels de la part des organismes de sécurité israéliens aux efforts des organismes de sécurité du gouvernement palestinien de Salam Fayyad à réprimer et à sanctionner la résistance, le gouvernement de droite a présenté de nouvelles règles que l’AP doit respecter. La plupart de ces règles sont avancées par le ministre des Affaires étrangères, Avidgor Lieberban, qui exige pour engager les négociations avec l’AP que celle-ci se prépare à reprendre le contrôle de la bande de Gaza et à désarmer le Hamas. « Autrement dit, il stipule le déclanchement d’une nouvelle guerre civile entre Palestiniens qui anéantirait tout pour un mirage, » déclare Al-Sheikh Khalil à Al-Ahram Weekly.
Al-Sheikh Khalil insiste sur le fait que la reconnaissance claire par les USA du caractère juif d’Israël signifie que tout règlement politique futur avec les Palestiniens devra préserver une majorité juive démographique écrasante et que se trouve encouragée la poursuite de l’immigration des juifs en Palestine. Ce qui implique de s’opposer au droit au retour des réfugiés palestiniens et de se libérer du poids démographique des « Palestiniens de 1948 » (les Israéliens arabes) par leur expulsion d’Israël, ou leur transfert. Al-Sheikh Khalil s’interroge, « A la conférence d’Annapolis [27 novembre 2007], l’administration US avait promis de soutenir la création d’un Etat palestinien pour 2008 et évidemment cela ne s’est pas produit. Alors, si l’administration Bush n’a pas respecté sa promesse sous le gouvernement Olmert, qui était classé comme « modéré », comment l’administration Obama pourra-t-elle réussir à faire progresser dans le sens de deux Etats sous un gouvernement d’extrême droite (de Netanyahu) ? »
Le programme nucléaire iranien et les relations avec la Syrie
Mais les discussions Obama/Netanyahu ne se sont pas seulement concentrées sur la marche à suivre pour les Palestiniens et les Israéliens. Elles sont allées bien plus loin, jusqu’aux positions concernant le programme nucléaire iranien et les relations avec la Syrie. Même si les détails n’en seront probablement pas révélés, le général Yakuv Ami Darur, ancien chef de la division recherche des renseignements de l’armée israélienne, pense qu’Israël se trouve face à des choix critiques.
Le premier touche à la démarche politique adoptée depuis la prise de fonctions du président Obama, spécialement avec son orientation vers le dialogue et des négociations sans préalable avec l’Iran. Darur prévient, les Iraniens ne jouent pas fair-play et travaillent lentement pour gagner du temps, et ainsi éviter le dialogue avec Washington jusqu’à ce qu’il ait fabriqué sa première bombe nucléaire.
Dans un article publié dans le journal Israel Today, Darur indique que le second choix pour Israël ou les USA concerne l’attaque du projet nucléaire iranien de façon à forcer Téhéran à l’arrêter. « Il est clair qu’Israël doit se préparer à attaquer seul les installations nucléaires iraniennes, en dépit du prix élevé à payer, en construisant une force capable d’exécuter une telle attaque, » dit-il. « Bien sûr, la décision de mettre ce plan à exécution ne pourra être prise que lorsqu’il sera sûr que les efforts politiques auront échoué. » Pourtant, Darur insiste sur la nécessité pour Israël de se préparer à l’éventualité de leur échec à interdire à l’Iran tout développement d’armes nucléaires, et selon lui Israël doit être en mesure de diriger une contre-attaque deux fois plus puissante contre l’Iran, « Il doit être clair pour les décideurs de Téhéran qu’il ne restera pas assez d’Iraniens en Iran pour faire le bilan des destructions et des morts, et pour prendre le deuil si Israël devait attaquer ».
Sur les relations Israël/Syrie, l’analyste politique Shimeon Shaeffer prévoit que Netanyahu va être obligé de discuter de la reprise des négociations lors de sa rencontre avec Obama. Dans un article publié dans le Yediot Aharonot, Shaeffer souligne qu’ « Israël a réalisé que la nouvelle administration US - contrairement à la précédente - avait un besoin urgent d’un gouvernement syrien coopérant pleinement sur le dossier de l’Iraq, spécialement en raison de l’insistance d’Obama pour respecter sa promesse d’un retrait des forces américaines d’Iraq, et ceci bien que les Syriens continuent d’autoriser le passage des membres d’Al Qaïda qui vont en Iraq combattre les Américains. » Et d’ajouter, « L’appareil de sécurité israélien croit que si Israël veut des relations étroites avec l’administration Obama, il lui faudra prendre l’initiative de la reprise des négociations avec la Syrie, sinon elle viendra des Américains. [Le président syrien Bashar] Al-Assad sait que seuls les Etats-Unis ont la capacité d’obliger Israël à payer le prix de la paix telle qu’il l’a conçoit : le retour du plateau du Golan et des prisonniers syriens. »
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Al-Ahram weekly 21 - 27 May 2009
Issue No. 948 - traduction : JPP