Le monde occidental devrait avoir honte de sa collusion avec des tortionnaires
mardi 24 mars 2009 - 06h:59
Robert Fisk
J’ai invité Abdullah Almalki pour un petit-déjeuner à Ottawa mais il a seulement pris un café. Et tandis que je dévorais mon petit-déjeuner typiquement anglais à l’hôtel Château Laurier (apprécié de Churchill et de Karsh et renommée d’Ottawa), il a lentement bu à sa tasse, l’esprit encombré de beaucoup de choses.
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Espionné par les services secrets canadiens puis ensuite torturé en Syrie tandis que les autorités canadiennes ne levaient pas le petit doigt pour lui — si ce n’est envoyer à ses pervers tortionnaires les questions à poser — il a eu beaucoup à penser à ce propos. Il est une copie conforme de Binyam Mohamed, cet habitant la Grande-Bretagne qui a le pénis sectionné tandis que les Britanniques envoyaient les questions à ses tortionnaires marocains.
Dans le cas d’Abdullah Almalki, celui-ci n’a pas été pas transféré. Il a simplement pris un vol pour Damas pour voir sa famille syrienne, puis emmené de force au quartier général de la police secrète de la ville et ensuite battu jusqu’à soumission, ce qui n’est guère différent d’un cas bien plus célèbre, celui de Maher Arar, citoyen canadien transféré à Damas par les Américains tandis que les autorités des Etats-Unis envoyaient les questions à ses pervers tortionnaires syriens. Arar a obtenu des excuses de la part des sénateurs des Etats-Unis — mais cependant pas du héros de guerre George Bush (les champs de batailles étaient les cieux au-dessus du Texas durant le conflit du Vietnam) — et une compensation de la part du gouvernement canadien.
Les détails de chaque cas sont tout autant choquants les uns que les autres. Tim Hancock d’Amnesty International a livré une information semblable à propos de Khaled Al-Maqtari, un ressortissant yéménite qui a été apparemment menacé de viol et battu à coups de chaînes par ses tortionnaires américains. Les nations occidentales ont simplement aidé ce genre de pervers en leur fournissant des pages entières de questions tandis que leurs citoyens ou résidents agonisaient, regrettant d’être nés.
Dans le cas d’Abdullah Almalki, quatre interrogations par « le service secret » canadien (son acronyme - CSIS - inspire plus de rire que de crainte) ont précédé la faillite de son affaire et son départ du Canada puis son installation en Malaisie. Lui et son épouse avaient monté à Ottawa une affaire d’exportation de composants électroniques qui avait attiré les soupçons du CSIS. Selon celui-ci, ils envoyaient peut-être des fonds ou des composants à des « terroristes » (les guillemets sont naturellement obligatoires puisque le CSIS ne s’inquiétait pas des « terroristes » qui dirigent les services secrets syriens et qui ont plus tard torturé Abdullah Almalki pour le compte du Canada).
Pendant des mois, il a été retenu dans un cul de basse-fosse des services secrets à Damas et fouetté avec des câbles d’acier, les Syriens agissant sur la base d’une lettre canadienne qui leur avait été envoyée (datée du 4 octobre 2001) et qui disait que la police montée royale canadienne [RCMP] pensait que M. Almalki était en association avec Al-Qa’ida et engagé dans des activités représentant « une menace imminente » pour la sécurité publique au Canada. Les lecteurs qui doutent de la réalité de cette lettre indigne envoyée à la dictature syrienne peuvent vérifier à la page 400 du rapport d’Iacobucci qui a été rédigé avec l’aide du gouvernement après la libération d’Almalki. Le RCMP — les célèbres Mounties — a également envoyé des courriers aux responsables des bureaux canadiens de liaison à Islamabad, à Rome, à Delhi, à Washington, à Londres, à Berlin et à Paris, présentant Almalki comme un « membre important » d’Al-Qa’ida. Pour plus d’information, vous devez lire le brillant compte-rendu de Kerry Pither, « Jours sombres : l’histoire de quatre Canadiens torturés au nom de la lutte contre le terrorisme », qui est scandaleusement indisponible en Grande-Bretagne.
Le but en relevant ces comptes-rendus terribles n’est pas d’uriner sur les Canadiens. Le Canada est une grande et véritable démocratie, quoique alourdie par trop de correction politique [politiquement correct]. Je me souviens d’un officier au service d’immigration à l’aéroport de Toronto expliquant à un visiteur asiatique qu’il ne devait pas tolérer d’être interrogé par la police sans la présence d’un avocat et qu’il était libre de dire ce qu’il voulait et de se déplacer là où il le voulait au Canada. Je me suis dit que c’était le meilleur gars dans des services d’immigration du monde. Les hommes et les femmes des services d’immigration à l’aéroport d’Heathrow ne correspondent pas à ce standard.
Non, je ne pense pas que le Canada en tant que nation soit à blâmer de tout cela. Mais l’Ouest oui. Car ce sont nos responsables dans les gouvernements et nos hommes de main dans les services secrets qui se sont ligués avec tous ces pervers autour de la planète. En effet, même lorsque Almalki a été libéré de sa prison syrienne, les fonctionnaires de l’ambassade canadienne à Damas ne lui ont pas permis de rester dans leur bâtiment en lui ordonnant de sortir à la fermeture de l’ambassade à 16 heures. L’un d’entre eux aurait dit à Almalki que le Canada accordait des passeports aux familles des dirigeants syriens. Ceci explique-t-il cela ?
Je sais que les Syriens se sont récemment plaints avec force auprès des Américains aussi bien que des Canadiens. Tout d’abord l’Ouest leur envoie à Damas ses prisonniers à torturer puis se plaint ensuite que la Syrie ne respecte pas les droits de l’homme ! Les choses se passent ainsi. Bashar Al-Assad a mis un coup d’arrêt à beaucoup de tortures en Syrie et maintenant que le Président Obama envoie ses cohortes courtiser les Syriens, ceux-ci ne seront vraisemblablement plus invités à faire les sales boulots de l’Amérique (ou du Canada).
Mais je veux savoir pourquoi ceux qui se sont rendus complices dans la torture d’Almalki — les auteurs de la lettre, ceux qui ont établi la liste des questions — ne pourraient pas être traduits devant un tribunal. Ils sont au minimum complices d’abus du point de vue des droits de l’homme. C’est le cas des Britanniques qui sont allés interroger les hommes soumis à la torture à Guantanamo.
C’est encore plus le cas des Américains pervers qui ont eux-mêmes directement pratiqué la torture en Afghanistan et en Irak — et oui... j’ai noté que notre cher président Obama autorise que se poursuive la détention illégale de prisonniers à Bagram en Afghanistan. Mais qu’attendre d’autre d’un homme dont la secrétaire d’état, madame Hillary, loin d’aller rendre visite aux Palestiniens dont les maisons allaient être démolies par les Israéliens dans Jérusalem et dénoncer ce crime, a juste déclaré que les démolitions de maisons étaient « inutiles ».
Ainsi on torture depuis longtemps des prisonniers. Abdullah Almalki m’a emmené à l’aéroport d’Ottawa, sous la neige, après notre déjeuner, avouant qu’il encore était trop affecté mentalement par ses mois de torture en Syrie pour trouver un travail.Le CSIS ne le prend plus en filature plus comme il m’a dit que c’était le cas avant qu’il ait quitté le Canada pour l’Asie puis l’enfer de la Syrie. Personne n’a suivi notre voiture. Personne ne dit plus plus qu’Almalki est coupable. D’un autre côté, personne ne dira qu’il est innocent. Mais il y a un grand nombre de gens dans les gouvernements occidentaux qui devraient être dans le box des accusés. Ils ne le seront jamais, cela va de soi. Et, oh oui ! juste au cas où vous l’auriez raté, le premier ministre canadien Stephen Harper a très récemment admis que les troupes canadiennes en Afghanistan n’y remporteront pas de victoire militaire là. Prenez juste le temps d’y penser. Toute cette torture... Pour en arriver là.
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14 mars 2009 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : Claude Zurbach