Afghanistan : un nouveau cauchemar commence
mercredi 25 février 2009 - 17h:35
Ramzy Baroud
La majeure partie de l’Afghanistan est devenue un champ de bataille entre un occupant illégitime et des milices afghanes considérées par un nombre de plus en plus important d’Afghans comme une légitime force de résistance, écrit Ramzy Baroud.
- Hélicoptère américain sur l’Afghanistan, 17 février 2009 - Comme toutes les armées d’invasion dans le passé, les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN seront tôt ou tard chassés d’Afghanistan. Mais après combien de souffrances pour le peuple afghan ?
Lorsque l’envoyé des Etats-Unis en Afghanistan, Richard Holbrooke, a rencontré le 14 février Hamid Karzai, le président afghan « démocratiquement » mis en place, il a peut-être pris connaissance de l’importance historique du jour qui suivait. En effet le 15 février est le jour de commémoration de la fin de la sanglante campagne russe contre l’Afghanistan (d’août 1978 à février 1989).
Mais il est peu probable qu’Holbrooke assimile l’importance de cette leçon historique. Lui-même et le nouveau président américain Barack Obama sont convaincus que ce qui fait défaut pour gagner la guerre en Afghanistan est un plus grand engagement — comme le doublement des troupes — des dépenses militaires croissantes, et gagner les coeurs et les esprits en investissant plus dans le développement du pays. Cette combinaison, comme en est persuadé le gouvernement des États-Unis, dissuaderait par la suite les Afghans de soutenir les Talibans, les milices tribales, les nationalistes pachtounes et d’autres groupes.
Ces derniers mènent une lutte de guérilla dans diverses parties du pays, le plus souvent dans le sud, pour chasser le gouvernement Karzai et les forces d’occupation étrangères. Alors que Kaboul était considérée comme une « oasis de calme » — selon les récits de Jonathan Steele [journaliste au Guardian] — pendant l’époque soviétique, elle est tout sauf proche de cette description sous la conduite des Etats-unis et de leurs alliés de l’OTAN qui ont pourtant eu largement le temps, huit longues années, pour affermir leur contrôle, mais qui ont échoué.
En fait, juste comme Holbrooke s’asseyait dans le palais présidentiel fortement gardé de Karzai, des bombes en bord de routes explosaient à travers le pays, à Khost, à Kandahar et ailleurs. Plusieurs policiers ont été tués, s’ajoutant aux centaines de soldats et d’officiers qui meurent tous les ans alors qu’ils défendent désespérément les quelques symboles de l’autorité du gouvernement central. Hormis son fragile contrôle de Kaboul et de quelques capitales de province, le gouvernement central lutte pour garder le peu de crédibilité dont il dispose encore.
Ceci transforme la majeure partie du pays en un champ de bataille entre les milices afghanes considérées par un nombre de plus en plus important d’Afghans comme une légitime force de résistance contre une occupation illégitime : les forces de l’OTAN et des Etats-Unis.
À la différence de la guerre impopulaire contre l’Irak, la guerre en Afghanistan a été largement considérée aux Etats-Unis comme une guerre morale, basée sur la logique suivant laquelle al-Qaeda étant responsable des attaques terroristes du 11 septembre et cette organisation étant hébergée par un gouvernement taliban tout aussi militant, les deux groupes doivent payer. Jusqu’à aujourd’hui, le peuple d’Afghanistan a payé plusieurs fois le prix escompté. Des milliers d’Afghans ont été tués et une génération entière a été marquée par une nouvelle guerre civile, et maintenant par une nouvelle occupation militaire étrangère.
Tandis que la majorité des consommateurs de nouvelles sont inondés de communiqués officiels et de rapports épisodiques sur les défis attendant les USA en Afghanistan pour imposer la démocratie, la liberté et « les intérêts nationaux », les médias continuent à réduire la bataille pour l’Afghanistan au combat contre la corruption locale, pour les droits de l’homme et l’égalité entre les sexes.
Peu de choses sont dites sur les vraies raisons à l’origine de cette guerre, si ce n’est cette rhétorique apparemment pénible — plus appropriée aux discussions académiques et nullement intéressante — à propos de grandes manoeuvres pour contrôler les zones continentales eurasiennes et qui remontent à la rivalité au cours du 19ème siècle entre les empires britanniques et russes.
Mais il est peut-être approprié de relever que les tentatives désespérées pour contrôler l’Afghanistan ont lamentablement échoué dans le passé. Si Holbrooke souhaite étudier l’Histoire avec plus de profondeur, il devrait savoir que l’Empire Britannique qui alors dominait l’Inde, a été également défait en Afghanistan en 1842 puis à nouveau en 1878. Quant aux dirigeants soviétiques, ils ont cherché une victoire rapide alors qu’ils occupaient Kaboul en décembre 1979, mais uniquement pour se retrouver entraînés dans une guerre plus sanglante qui leur a coûté 15 000 tués (il va de soi que les centaines de milliers de morts afghans sont souvent non mentionnés) et une défaite indiscutable.
Mais d’un autre côté, Holbrooke devrait connaître les détails de la dernière période parce que après tout, c’était son pays qui a armé et financièrement soutenu les forces moujahidines en Afghanistan dans la crainte que l’objectif final des Soviétiques durant la guerre froide ne soit de contester la domination des Etats-Unis dans la région, et par la suite au Moyen-Orient. Après le renversement du Shah d’Iran, stratégiquement désastreux pour les Etats-Unis, la principale superpuissance dans le monde ne pouvait prendre aucun risque.
Mais depuis lors, l’Afghanistan a grandi en importance du point de vue stratégique et politique à cause de sa proximité avec des foyers de tension et certaines puissances régionales, dans une zone stratégique du point de vue énergétique, dont le contrôle est impératif pour l’exploitation des hydrocarbures de cette région de l’Asie centrale.
« Je n’ai pas le souvenir d’un moment où nous avons vu aussi soudainement émerger une région pour devenir si importante stratégiquement que la région de la Caspienne, » avait dit l’ancien vice-président Dick Cheney dans un discours devant des nababs du pétrole en 1998.
La même année, John Maresca, vice-président des relations internationales d’Unocal Corporation avait fait une communication devant un comité de la Chambre [des Représentants] en février 2008 sur les façons de transférer le pétrole de cette région (estimé entre 110 à 243 milliards de barils de brut, représentant une valeur allant jusqu’à 4 trillions de dollars) : « (Une) option est d’établir un sud un pipeline de l’Asie centrale à l’Océan Indien. Une route vers le sud croiserait de façon évidente l’Iran, mais ceci est interdit aux compagnies américaines en raison de la loi sur les sanctions [contre l’Iran]. Le seul autre itinéraire possible est à travers l’Afghanistan. »
Le succès militaire en Afghanistan n’est tout simplement pas possible, pour de nombreuses raisons logistiques, historiques et pratiques. Mais l’échec aura aussi un prix, au moins pour ceux qui tireraient directement bénéfice d’une soumission de la nation rebelle.
L’ex-président Bush et ses alliés n’ont pas transformé l’Afghanistan en une démocratie sur le mode américain, facilement exploitable pour un usage stratégique et économique. En poussant à une solution militaire en Afghanistan, Obama non seulement prépare une nouvelle expérience impériale en faillite pour les Etats-Unis — comme en Irak — mais s’obstine à ajouter le nom de son pays à ceux de la Grande-Bretagne et de la Russie, lesquelles disposaient de meilleures chances de succès mais ont été carrément défaites.
« C’est comme combattre le sable. Aucune force dans le monde ne peut prendre le dessus sur les Afghans, » expliquait à l’agence Reuters Oleg Kubanov, un ancien officier russe en Afghanistan. « C’est leur Terre Sainte ; il leur importe peu que vous soyez russe ou américain. Pour eux nous sommes tous des soldats. »
Il serait opportun qu’Holbrooke prenne quelques heures de son programme chargé dans la région pour tourner ses regards vers l’histoire de l’Afghanistan, parce qu’il en a vraiment besoin.
* Ramzy Baroud est écrivain et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com ». Ses écrits ont été publiés dans de nombreux journaux, magazines et anthologies dans le monde entier.
Son dernier livre est « The Second Palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » (Pluto Press, London).
Site Internet :
www.ramzybaroud.net
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16 février 2009 - Transmis par l’auteur
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach