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« Le Hamas a gagné en légitimité »

vendredi 23 janvier 2009 - 09h:16

JF Legrain-F Koller-JP Perrin/Le Temps

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Jean-François Legrain est chercheur au CNRS, à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée

Le Temps : Le Hamas sort-il renforcé de cette guerre ou s’est-il aliéné les Palestiniens pour avoir poussé les Israéliens au crime ?

Jean-François Legrain : Cette guerre a créé un ciment autour du Hamas car l’agresseur est bien identifié et les Palestiniens se sentent une fois de plus les victimes. Cette violence est le prolongement d’années de blocus et de boycott. Mahmoud Abbas a commencé par critiquer le mouvement islamiste, puis il s’est tu car ses conseillers ont bien compris qu’il y avait un profond soutien populaire pour le Hamas. Si les gens n’ont pas davantage manifesté leur soutien en Cisjordanie, c’est que la police du Fatah est intervenue.

- En quoi le Hamas est-il gagant ?

- Il a gagné en légitimité. C’est la première fois depuis le début du combat palestinien que le Fatah ou l’OLP sont absents de la « résistance nationale », absents pour la défense de la population palestinienne même si les brigades Ezzedine Al-Aqsa, sous contrôle du Fatah, étaient aussi actives à Gaza.

- Il y a des Gazaouis qui ne se privent pas de condamner le Hamas.

- Oui, et il ne faut pas les sous-estimer. Mais il est faux de dire, comme le font certains dirigeants israéliens et européens, que l’action de Tsahal représente la libération d’un peuple sous le joug du Hamas. Quand on prend des bombes sur la tête, ces réactions sont normales. Mais sur le long terme, le Hamas fait un gain. Je ne crois pas à une troisième Intifada malgré les appels du Hamas. La population est trop lasse, elle aspire à la tranquillité. Mais d’ici à dix ans, si rien ne bouge, les jeunes qui ont vécu cette guerre formeront la nouvelle résistance.

- Mahmoud Abbas est-il fini ?

- Non, tant qu’il bénéficie du soutien inconditionnel de la communauté internationale. L’attitude de Barack Obama laisse mal augurer d’un changement. Mais aux yeux des Palestiniens, il n’a plus d’avenir. Il est au mieux un faible, au pire un collabo d’Israël. Il n’est plus formellement président de l’Autorité palestinienne depuis le 9janvier, fin de son mandat. Le problème est que le Fatah est incapable de se réformer et de présenter un successeur crédible. La communauté internationale ne l’a toujours pas compris. Or pour la résolution du conflit, il faudra bien dialoguer, y compris avec le Hamas.

Ils criaient : "On va tous vous tuer, allez à la mort !" »

Retour sur le massacre de la famille Samouni

Jean-Pierre Perrin, envoyé spécial à Zeitoun

Les adolescents racontent le mieux ce qui s’est passé les 4 et 5 janvier à Zeitoun, une petite ville proche de Gaza-City et de la frontière avec Israël. Les filles comme Almaza Samouni, 13 ans, qui a perdu sa mère, Leïla, ses quatre frères, Ismaïl, Isaac, Nassar et Mohammed, et plusieurs cousins et cousines. Ou Kanaan Attia Samouni, 12 ans, qui a vu un soldat israélien tirer quasiment à bout portant sur son père devant la porte de sa maison, puis sur son petit frère Ahmed, tué d’une balle dans la tête.

« Ne tirez pas ! »

Au total, les Samouni, une famille d’agriculteurs plutôt aisés, perdront 22 des leurs dans ce que les organisations humanitaires considèrent comme un « crime de guerre délibéré ». Parmi eux, neuf enfants et sept femmes. Sept autres parents plus éloignés, dont trois enfants et deux vieillards, seront aussi tués. Si l’on fait le bilan des victimes, ce sont plus de 70 personnes qui ont trouvé la mort ou ont été blessées. Le bilan fourni jeudi par Amnesty International, qui enquête actuellement à Gaza, est encore plus lourd : 40 tués, dont 33 pour la famille Samouni.

La longue avenue Saladin, qui mène au hameau, apparaît déjà comme la prémonition du désastre. Un tsunami semble avoir remonté la rue, détruisant sur plusieurs kilomètres maisons, mosquées, ateliers, usines, vergers. Au hameau, deux maisons sont très abîmées mais debout, quelques autres par terre. La mosquée a rendu l’âme. L’endroit pue la charogne. Des centaines de volailles, mais aussi des vaches, des ânes et chèvres, gisent sur le sol. On piétine l’intimité des maisons : le linge, les vêtements, les tenues nuptiales, les photos de famille, les livres d’enfants, les meubles, tout a été jeté à la rue et mêlé à l’ordure. A l’intérieur d’une des demeures survivantes, où les soldats s’étaient installés, tout a été souillé.

Le 4 janvier, vers 6 heures, une unité israélienne prend possession du hameau. La famille Attia Samouni est alors réunie autour du thé. Quand le père, Attia, 45 ans, entend les soldats s’approcher, il sort sur le pas de la porte en criant « S’il vous plaît, ne tirez pas, il y a des enfants. » Il tombe aussitôt foudroyé. « J’ai vu celui qui a tiré. C’était un soldat africain [ndlr : d’origine éthiopienne]. Mon père avait les bras levés », raconte Kanaan. Des « bombes de feu » (sans doute des grenades fumigènes) sont ensuite lancées dans la pièce où s’était installée la famille, en tout 18 personnes. Les explosions referment la porte, fracassée la seconde suivante par des rafales. Il y a aussi du sang, celui d’Ahmed, 4 ans, tué par au moins une balle. Sa mère, Zahwa, qui tient un bébé de 10 jours, est aussi touchée mais assez légèrement. Puis, les soldats leur ordonnent de sortir et d’aller jusqu’à la route. « Ils criaient : "n va tous vous tuer, allez à la mort ?" Avant, ils nous ont obligés à enlever nos vêtements. Comme si des enfants pouvaient cacher des armes. » La maison des Attia sera ensuite détruite au bulldozer.

A l’intérieur, c’est l’horreur

Quand on demande à Almaza, l’orpheline de 13 ans, où est sa maison, elle répond « mais vous marchez dessus ». Un engin a tellement aplati la demeure qu’on ne la distingue plus de l’amoncellement de caillasses et de fange qui s’étend alentour. Almaza a fait partie du groupe de 90 personnes que les soldats ont rassemblées et poussées vers un entrepôt. Ils y resteront vingt-quatre heures. « Il n’y avait rien à manger, rien à boire, pas de lait pour les bébés. » Alors, le lundi 5 janvier, vers 6h30 du matin, quelques personnes bravent l’interdiction pour essayer de trouver quelques provisions. A peine ont-elles ouvert la porte qu’un missile est tiré sur la maison, suivi d’un deuxième une minute plus tard, puis d’un troisième. A l’intérieur, c’est l’horreur. Du sang et de la fumée partout. Derrière un drap blanc, les survivants parviennent à sortir. Parmi eux, Waed Samouni, un père de six enfants, blessé à la tête, dont les parents ont été tués. S’il parvient à s’enfuir avec quatre de ses fils, il est obligé d’abandonner sa fille Aza, 3 ans, et Omar, 4 ans, dans l’entrepôt détruit. « Omar est resté deux jours à côté de sa petite s ?ur morte. Quand on l’a retrouvé, il ne voulait pas partir sans elle. »

Car ce n’est que le 7 janvier que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) parviendra à secourir les blessés, l’armée israélienne empêchant ses ambulances d’accéder à Zeitoun. L’interdiction provoquera la colère de Pierre Wettach, chef de la délégation du CICR, qui, fait exceptionnel, sort de sa réserve : « Les militaires israéliens n’ont pas fait en sorte que le CICR ou le Croissant-Rouge puissent leur venir en aide, ni respecté leur obligation de prendre en charge les blessés, comme le prescrit le droit international humanitaire. » Les survivants enfin évacués, l’entrepôt sera rasé. Avec les cadavres à l’intérieur. Almaza, elle, vient chaque jour errer sur les ruines : « Quand je serai grande, je rejoindrai la résistance. »

23 janvier 2009 - Le Temps


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