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Peur de dormir, peur de se réveiller

jeudi 15 janvier 2009 - 06h:26

Omer Mohammed

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Alors que les troupes israéliennes pénétraient plus avant dans Gaza, Mohammed Omer, un journaliste gazaoui blessé par la police d’Israël l’an dernier, et actuellement hospitalisé à Amsterdam, joignait par téléphone certains de ses contacts, ainsi que des amis à Gaza.

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Alors que les FDI poursuivent leurs attaques aériennes, les familles fuient le camp de réfugiés de Jabalia. (New Statesman)

"Nous dormons la peur au ventre et nous nous réveillons dans l’horreur", s’écrie Zahrah Salem, la voix tremblante et bouleversée. Cette femme de 64 ans, qui a 4 enfants et 15 petits enfants, se console en se disant qu’au moins, toute sa famille est encore vivante. Cependant, autour de chez elle à Deir al-Balah, la mort plane chez ses voisins. Les avions de guerre israéliens continuent de bombarder la ville et l’offensive terrestre a commencé. En dépit de tout ce qui se passe autour d’elle, elle s’accroche à l’espoir que les efforts diplomatiques du président français, Nicolas Sarkozy porteront leurs fruits et que les bombardements cesseront. (NDT : nul n’est Prophète en son pays.)

"Je fais plus confiance à ce Français qu’aux dirigeants arabes", me dit-elle au téléphone. "J’espère qu’il va faire cesser cette guerre".

Un de ses fils est moins optimiste, disant que personne n’a intérêt à ce que cessent les attaques israéliennes, pas même les pays arabes.

"Je n’ai jamais pensé que le fait de voter pour le Hamas aurait provoqué tout ça", me dit-elle, "si j’avais su, je n’aurais voté pour personne !".

Zahrah Salem est relativement à l’aise financièrement, comparé au reste de la population à Gaza, mais cela ne lui sert pas à grand chose.

"Les magasins sont fermés, nous avons peur de circuler dans les rues, et maintenant, nous n’avons plus ni eau courante, ni électricité". Beaucoup de maisons de son quartier ont été la cible de missiles. Il y a des tentes de deuil partout dans les rues, en lieu et place de palissades.

"J’ai peur d’aller faire des visites pour aller présenter mes condoléances" dit elle. "Les avions de guerre israéliens frappent partout."

Son petit fils de dix ans, Hamid, vient souvent se réfugier contre nous, et il nous supplie de ne pas le laisser dormir seul. La famille laisse les fenêtres ouvertes la nuit, même si les maisons du quartier dégagent une fumée irrespirable en brûlant. Il vaut mieux ça, m’explique-elle, que de se retrouver sous une pluie de bouts de verre coupants comme des rasoirs quand les vibrations provoquées par les bombes font exploser les vitres.

"Nous nous rassemblons tous dans la même pièce", poursuit-elle, "S’il faut que nous mourions, autant tous mourir ensemble et ne pas laisser les enfants tout seuls dans la souffrance".

Abu Ghassan, 42 ans, me parle depuis le camp de réfugiés de Bureij. J’entends en fond sonore les sirènes des ambulances et le bruit des bombes. "J’ai du mal à comprendre à quoi sert cette guerre", dit il. "Lancer des roquettes sur les mosquées ? Les écoles, les universités et les maisons de la population civile ? C’est de la folie ! La majorité des morts sont des civils, et pas ceux qui tirent les roquettes ... [parmi eux il y a ...], une femme enceinte et ses 4 enfants ... Tout cela a été confirmé par les services médicaux palestiniens". Pour aller chercher du pain pour nourrir ses enfants, Abu Ghassan doit ruser pour sortir furtivement de chez lui. Mais les boulangeries sont fermées, et il reconnaît qu’il lui faut considérer les enjeux : soit il permet à ses enfants de manger, soit il risque de revenir chez lui dans un linceul.

A l’hôpital d’al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, Ahmed Abdelrahman, un infirmier, explique : "On nous rapporte des restes humains : des bras, des jambes, des doigts. Il est difficile de retrouver à qui ces parties du corps appartiennent". A nouveau, j’entends en fond sonore les sirènes des ambulances. "On nous a tiré dessus quand nous évacuions les blessés. Là, maintenant, il y a eu déjà 8 appels en provenance de Gaza-est de personnes qui perdent leur sang, dont deux femmes ; mais en tant qu’ambulanciers, nous sommes la cible des tirs d’Israël [quand nous tentons de porter secours aux blessés]".

Et avec le manque crucial de médicaments, ceux qui ont la chance de pouvoir parvenir jusqu’à l’hôpital sont loin d’être sûrs de s’en sortir. Israël limite toujours l’entrée de médicaments et de nourriture dans la Bande de Gaza, même si, du côté égyptien, le gouvernement a autorisé plusieurs fois ces jours-ci l’ouverture de la frontière à Rafah quelques minutes pour permettre l’entrée limitée d’une aide.

Le docteur Muawiya Hassanein, responsable du service d’urgences à l’hôpital d’al-Shifa me confirme que pendant qu’il me parlait au téléphone, au moins 11 ambulances avaient été détruites et douze employés des services d’urgence avaient été tués pendant leur service et 32 autres avaient été blessés.

A la télévision publique israélienne, un porte-parole de l’armée a déclaré : "Nos soldats connaissent les moindres recoins où se cachent ceux que nous recherchons".

Alors que la batterie de son téléphone portable signale qu’elle est pratiquement déchargée, Zahrah rajoute rapidement qu’elle a entendu que la Maison Blanche était profondément affectée par la "disparition" d’India (plus connu sous le nom de Willie), le chat de la famille Bush, mais pas, apparemment, par la mort des enfants tués à Gaza. Résumant sa frustration, elle me dit rapidement : "Au moins, pourront-ils se consoler en sachant que le chat est mort le ventre plein. Il n’est pas mort sans rien dans le ventre comme les enfants de Gaza".


Mohammed Omer a reçu le prix Martha Gellhorn Prize en 2008

14 janvier 2009 - Newstatesman - traduction emcee pour Le Grand Soir


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