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L’économie souterraine de la bande de Gaza

mercredi 24 décembre 2008 - 19h:12

Juan Miguel Muñoz - El Païs

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Les tunnels ne sont toutefois qu’un pis-aller qui allège le poids d’une situation dramatique. Ils ne servent qu’à de petites choses, écrit Juan Miguel Muñoz.

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Un Palestinien fait passer un tout jeune veau en contrebande par un tunnel - Photo : Reuters

Le nouveau marché grouille de monde sur la place de la Estrella à Rafah, ville frontière de Gaza avec l’Égypte. Le blocus et la répression israélienne sur le territoire palestinien prend chaque jour plus d’ampleur et parler d’économie productive dans la bande est une boutade. Ainsi, la contrebande, légalisée et sous les yeux de tout le monde, s’épanouit de manière exubérante sous terre. « Nous avons juste inauguré un tunnel », commente en souriant Ayman Shurafa dans une tente qui sert de cafétéria.

Ayman est un forgeron converti en taupe. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, il a déjà creusé plus de 20 tunnels conduisant en Egypte. « Il y en a au moins 1500 », assure t-il. Parallèle à la frontière, la rangée de tentes blanches qui garde l’entrée des tunnels court sur trois kilomètres. C’est le pôle économique de la bande de Gaza, le lieu où les hommes viennent de tous les coins de l’enclave à la recherche du seul travail attrayant.

L’autorisation de la municipalité, contrôlée par le Hamas, est une condition essentielle. La taxe de 10 000 shekels (2000 euros) que versent les propriétaires des tunnels permet à la municipalité de fournir l’énergie nécessaire pour que les générateurs d’électricité fassent fonctionner les poulies, et les wagonnets utilisés pour le transport de marchandises. Dans quelques-uns des tunnels ils ont installé des tuyauteries pour le carburant. La nuit ils travaillent aux pièces : bouteilles de gaz, boissons, nourriture, habillement, chaussures, appareils électriques, motos. Les produits arabes et chinois remplacent dans la bande de Gaza ceux emballés dans des cartons aux inscriptions en hébreu.

Il faut savoir qu’Israël interdit la fourniture de manuels scolaires, de stylos, d’instruments de musique, d’aiguilles et de fil à coudre, d’équipement ménager ou de matériel sanitaire.

Bien que la trêve se soit arrêtée à la suite d’une attaque militaire israélienne le 4 novembre dernier, depuis septembre (alors qu’aucune roquette n’avait été tirée depuis la bande de Gaza) le gouvernement d’Ehud Olmert a resserré l’étau. Même l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés s’est vu opposer un veto à la fourniture de ce matériel. Les entrepreneurs de la bande ont oublié quand est passé le dernier chargement de ciment ou de métaux.

Beaucoup de gens investissent et deviennent riches aujourd’hui à Rafah. « La construction d’un tunnel coûte environ 50 000 euros. Il faut entre 30 et 40 jours pour forer entre 200 et 300 mètres, mais le plus long que je connaisse fait 1400 mètres de long », explique Shurafa. À l’entrée de l’un de ces étroits tunnels, regarder vers le bas donne le vertige. Certains ont des traverses en bois pour assurer une certaine sécurité, parce que 60 jeunes ont trouvé la mort dans des affaissements en 2008. Beaucoup de ces tunnels descendent à 25 mètres sans problème. Ils rient du danger.

Tous les 500 mètres, collées à la paroi de la frontière égyptienne, des cabanes de polices ont été installées. Les soldats contrôlent minutieusement la circulation des marchandises. Les drogues et les armes sont interdites. Le Hamas a construit ses propres tunnels pour rassembler les armes et les explosifs. « Personne ne se risque à briser la règle. Nous avons à signer un document dans lequel nous nous engageons à ne pas amener de substances illégales », affirme le forgeron.

Du côté égyptien c’est le contraire. « La bouche des tunnels », ajoute-t-il Shurafa, « sont à l’intérieur des maisons. Les policiers ferment les yeux parce qu’ils perçoivent de l’argent. Mon contact me dit que le prix des marchandises comprend les pots-de-vin à l’agent. Un tiers est pour la police ».

Le blocus israélien a rendu fous les prix, mais grâce aux tunnels certains produits ont retrouvé un prix abordable. Le tabac est passé de 20 shekels à cinq shekels. Et l’essence est à 3,20 shekels le litre au lieu de six il y a quelques mois. Si en septembre le blocus israélien a vidé les rues de leurs véhicules, aujourd’hui les policiers sont retournés à la gestion des embouteillages.

Les tunnels ne sont, toutefois, qu’un pis-aller qui allège le poids d’une situation dramatique. Ils servent à de petites choses. La seule centrale électrique de Gaza exige une infrastructure et une fourniture abondante interdites par Israël. Hier après-midi elle a cessé de fonctionner et 800 000 des 1,5 million de Palestiniens qui vivent dans la bande de Gaza ont été privés d’électricité.

C’est chose courante dans ce territoire malmené, où les prix montent en flèche ou s’écroulent en quelques heures, dans lequel les produits abondent ou disparaissent dans la journée, dans lequel s’imposent l’improvisation et l’angoisse.

Du même auteur :

- Israël : la barque travailliste fait eau de toutes parts - 13 décembre 2008
- Racisme et violence anti-arabes dans Hébron - 7 décembre 2008
- Le nouveau visage de Jénine - 28 novembre 2008
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- L’armée israélienne rompt la trêve en assassinant 7 militants dans Gaza - 9 novembre 2008
- Un prix Nobel de la Paix sur un bateau indomptable - 7 novembre 2008

15 décembre 2008 - El Païs - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.elpais.com/articulo/inte...
Traduction de l’espagnol : Charlotte


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