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Vin amer pour les Bédouins d’Israël

jeudi 25 mai 2006 - 20h:43

Neve Gordon - The Nation

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"...pendant des années ils ont dû marcher 15 kilomètres avec leurs chameaux et leurs ânes simplement pour amener de l’eau au village. Et pourtant, continua Abu Sheita, dans le village juif voisin, des tuyaux amenaient directement l’eau à chaque évier..."

La pièce était comme un sauna à cause du soleil brûlant qui tapait sur le toit en zinc et du manque de ventilateurs ou d’air conditionné pour adoucir la chaleur du désert. Tout le monde parlait de la « Route du Vin », le projet israélien visant à installer une série de fermes et de caves à vin destinées à attirer les touristes dans le Néguev : la dernière insulte vis-à-vis de sa population bédouine (1) marginalisée.

« Il est grand temps de trouver une stratégie » a dit une personne. « Mais il n’y a aucun moyen de s’y opposer » a dit un autre. La discussion échauffée a continué plusieurs minutes jusqu’au moment où les gens ont commencé à s’asseoir sur les nattes et sur les coussins qui décoraient le sol en béton.

L’organisateur de la réunion, un coordinateur du « Negev Coexistence Forum for Civil Equality (2) » a demandé à nos hôtes de parler. L’un après l’autre, les Bédouins se sont levés et ont raconté leurs histoires personnelles. Ils nous ont tous parlé des abus encouragés par l’Etat et réalisés contre leur communauté. Injustices après injustices produisant un récit impitoyable d’expulsion, de violence, de répression et de déception.

Ali Abu Sheita a raconté comment ses parents ont été arrachés de leur terre tribale et transférés dans une région stérile où pendant des années ils ont dû marcher 15 kilomètres avec leurs chameaux et leurs ânes simplement pour amener de l’eau au village. Et pourtant, continua Abu Sheita, dans le village juif voisin, des tuyaux amenaient directement l’eau à chaque évier. Halil al-Aseiby montra les pylônes haute tension juste à l’extérieur de la cabane, faisant ressortir la règle qui interdit aux « Bédouins non reconnus » de raccorder leurs maisons au réseau électrique. « Même les personnes qui doivent garder réfrigérés leurs médicaments qui sauvent la vie ne font pas exception » dit-il. Un autre homme montra tout à coup un ordre de démolition qui avait été collé sur son cabanon « illégal » le 25 avril. « Des bulldozers peuvent arriver à tout moment » dit-il.

Les Bédouins sont des citoyens israéliens tout comme moi ; leur seul crime est qu’ils ne sont pas juifs.

Les Bédouins sont les habitants indigènes du désert aride israélien du Néguev. Avant l’établissement de l’Etat d’Israël, 60 000 Bédouins environ vivaient dans la région mais suite à la guerre de 1948, seuls approximativement 11 000 sont restés. Les autres ont fuit ou ont été expulsés en Jordanie et en Egypte. Sous les directives du Premier ministre israélien, David Ben-Gurion, ceux qui étaient restés en Israël ont été déracinés des terres sur lesquelles ils avaient vécus et ont été concentrés dans la partie nord-est du Néguev, une région en grande partie aride connue comme « zone de clôture » alors que la partie ouest du Néguev, plus fertile, a été réservée à l’installation juive.

A travers les années 50 jusqu’aux années du milieu de 1960, une portion considérable de leurs terres ancestrales ont été confisquées et enregistrées comme terres d’Etat. Dans les années 70, environ la moitié de la population bédouine a été déplacée encore une fois par le gouvernement israélien, et cette fois-ci dans 7 « townships ». L’idée était de concentrer la population bédouine dans une petite zone qui ne représente qu’un tout petit pourcentage de leurs terres tribales originales, les terres desquelles ils avaient été expulsés. Ces Bédouins ont dû abandonner tous les revendications de leurs terres ancestrales afin d’obtenir le privilège douteux de vivre dans des townships surpeuplés. Le reste de la moitié de la population des Bédouins restants qui sont environ aujourd’hui 75 000, ne veulent pas abandonner leurs droits à la propriété et sont éparpillés à travers tout le Néguev en 45 villages 3 qui n’ont jamais été reconnus par l’Etat d’Israël.

J’ai visité dernièrement un de ces villages avec le « Negev Coexistence Forum ». A pas moins de 45 minutes de mon petit appartement à air conditionné, se trouve une série de bidonvilles bédouines. Aucune des maisons de ces bidonvilles n’est reliée au réseau électrique, à l’eau courante, au réseau d’égout ou aux lignes téléphoniques. Les routes menant aux villages ne sont pas pavées et par conséquent, les services d’urgence ne peuvent pas les atteindre rapidement et en plus, l’accès aux autres services de base tels que la santé, l’éducation et l’aide sociale est difficile et limité.

Ces Bédouins sont actuellement représentés par le Conseil régional non reconnu des villages non reconnus (puisque les villages n’ont pas été reconnus par le gouvernement israélien, celui-ci n’a pas voulu reconnaître le Conseil élu des Bédouins). Lors de notre visite, le chef du conseil, Hsein al-Refaya, a souligné que la population non reconnue souffre d’un chômage très élevé : environ 60% des hommes et 85% des femmes. La population endure une pauvreté oppressante, une mortalité infantile élevée, un manque de travailleurs qualifiés et un taux élevé de criminalité. De plus, environ 40% des enfants bédouins non reconnus quittent l’école avant d’obtenir un diplôme.

Les Bédouins ont lutté pendant des années pour que leurs droits fondamentaux soient reconnus et pour recevoir les mêmes services de base dont dispose chaque citoyen israélien en vertu de sa citoyenneté. Leurs représentants ont rencontré un grand nombre d’officiels israéliens, ils ont témoigné devant de nombreux comités et soumis ce qui semble être un nombre incalculable de requêtes devant des cours israéliens. Ils ont souvent rencontré de la sympathie mais ils n’ont jamais rencontré la justice.

C’est là que la « Route du vin » entre dans le tableau. Le gouvernement israélien est actuellement en train de mettre à exécution un projet d’utilisation des terres qui viole encore plus les droits à la terre des Bédouins et qui intensifie leur exclusion de la société israélienne. Le plan de la « Route du vin » permet la construction de 30 fermes privées qui sont supposées prendre en charge les touristes israéliens. Certaines de ces fermes ont déjà été construites et sont situées sur les mêmes terres que les Bédouins considèrent être les leurs. Toutes les fermes (construites et planifiées) vont recevoir les services qui ont été niés aux Bédouins depuis des décennies : l’eau courante, l’électricité et des routes goudronnées.

Le projet de la « Route du vin » montre le mensonge autour du traitement par Israël des Bédouins non reconnus. Pendant de années, des officiels israéliens ont mis l’accent sur le besoin de concentrer les quelques 75 000 Bédouins dans de grands « townships », en disant que leurs 45 villages étaient trop petits et trop éparpillés à travers une zone relativement vaste, et que cela était donc très difficile leur apporter l’infrastructure nécessaire. Ces arguments ont servi à justifier la politique de non reconnaissance. Et portant maintenant, ces mêmes officiels sont en train de distribuer des permis à une quantité de fermes dispersées sur des milliers d’hectares, chaque ferme représentant le foyer d’une famille.

Mais la « Route du Vin » fait beaucoup plus que de mettre en évidence les mensonges d’Israël. Les fermes, explique Ariel Dloomy du « Negev Coexistence Forum », montrent que seuls les citoyens juifs ont accès à de larges parties du Néguev ; de cette manière ils sapent les tentatives des Bédouins de récupérer leurs terres ancestrales. Un document gouvernemental déclare clairement que : « les raisons pour avoir construit ces fermes est la protection des terres de l’Etat...et d’apporter des solutions aux problèmes démographiques ». Incidemment, ajoute Dloomy, une ferme a été donnée à un Bédouin pour servir de « feuille de vigne » visant à couvrir la discrimination flagrante d’Israël envers les Bédouins.

Le professeur Oren Yiftachel, un géographe politique de l’université Ben-Gurion et dont le travail se concentre sur la relation entre espace et ethnicité, ajoute que l’initiative de la « Route du Vin » « trace un lien entre, d’un côté, les efforts de longue date d’Israël visant à restreindre et à circonscrire l’espace que ses citoyens non juifs ont le droit d’occuper et, de l’autre côté, les projets de nouvelles entreprises. L’Etat, en d’autres mots, utilise les entrepreneurs pour faire avancer ses pratiques discriminatoires en adoptant, pour ainsi dire, un nouveau mécanisme pour empêcher les habitants bédouins du Néguev de retourner sur leurs terres ancestrales. Ainsi, en plus de démolir leurs maisons et de pulvériser leurs récoltes avec du poison, maintenant le gouvernement est en train de construire des fermes sur leurs terres ».

- « Comment nous aiderez-vous a contrecarrer cette initiative ? » demande Abu Sheita aux membres du « Negev Coexistence Forum ».

- « Nos amis n’ont pas accès aux couloirs du pouvoir et nous ne pouvons pas nous attendre qu’ils puissent arrêter cette discrimination de longue date de tous les gouvernements israéliens passés » a répondu immédiatement la personne à côté de lui.

- « Peut-être pas » a continué Abu Sheita « mais nous pouvons attendre d’eux qu’ils essayent ». Après un court silence, il a ajouté : « La discrimination envers les Bédouins est comme un gros bloc de pierres ; une pioche ne pourra jamais le fracasser d’un seul coup, mais si on continue à le frapper pendant des années, en fin de compte, il se brisera ».

***

1 - http://www.arabhra.org/factsheets/f...
2 - http://dukium.org/index.php?newlang...
3 - http://www.arabhra.org/factsheets/f...

enseigne les sciences politiques à l’université Ben-Gurion dans le Néguev.
23 mai 2006, - The Nation :
http://www.thenation.com/doc/200606...
Traduction : Ana Cléja


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