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L’Esplanade des Mosquées soigne ses manuscrits

vendredi 12 septembre 2008 - 11h:44

Marie Medina - BabelMed

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"Ces registres, nous les gardons dans des coffres-forts", confie Issam Nageb. "Ca prouve que les maisons, les mosquées, les demeures appartiennent à la population palestinienne"...

Un laboratoire de restauration des manuscrits vient d’ouvrir ses portes sur l’Esplanade des Mosquées, à Jérusalem - avec un petit peu de retard sur le calendrier initial : les autorités israéliennes ont bloqué pendant trois ans dans le port d’Ashdod le matériel venu d’Europe car il contenait des produits chimiques.

Les deux restaurateurs palestiniens qui travaillent depuis cet été sur al-Haram al-Sharif ne sont pas convaincus par l’argument sécuritaire israélien. "Ils veulent que nous perdions notre héritage", accuse Issam Nageb, 31 ans. "Si nous sauvons nos documents, nous sauvons la ville", assure Khader Shihabi, 32 ans.

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Laboratoire

Les employés du Waqf (autorité qui gère l’Esplanade des Mosquées) ont tous deux été formés au palazzo Spinelli de Florence. De 1999 à 2002, grâce à une bourse de l’UNESCO, ils ont étudié à l’Istituto per l’Arte e il Restauro.

De retour à Jérusalem, ils ont dû attendre que leurs locaux soient prêts. Un bâtiment du XVIème siècle a été restauré pour eux. C’est une ancienne école, al-Madrasa al-Ashrafiah, surnommée "le troisième joyau de l’Esplanade des Mosquées" - troisième derrière le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Les travaux de remise en état se sont achevés en 2004.

Quelques mois après, leur matériel de travail a traversé la Méditerranée. Cependant, les douanes israéliennes l’ont bloqué dans le port d’Ashdod car le conteneur renfermait du carbonate de calcium et de l’azote. Ces produits servent au nettoyage et à la conservation des documents mais l’azote (également appelé nitrogène) peut être utilisé pour fabriquer des explosifs. Le chargement comportait aussi quelques moteurs qui permettent par exemple d’aspirer l’air pour mettre les papiers sous vide.

Le matériel, qu’Israël jugeait potentiellement dangereux, a été retenu pendant trois ans et n’a pu poursuivre son acheminement qu’après une intervention jordanienne (après la guerre des Six Jours, le royaume hachémite a conservé la tutelle de l’Esplanade des Mosquées). Il est finalement arrivé à Jérusalem en juin dernier.

Issam Nageb et Khader Shihabi ont donc commencé cet été à s’occuper des 4 000 manuscrits dont ils ont la charge. Il s’agit des documents conservés au musée voisin mais aussi et surtout de ceux qui proviennent de la mosquée Al-Aqsa. Il y a des livres d’histoire, de grammaire arabe, des traités d’astrologie et de philosophie, et bien sûr des ouvrages religieux et de nombreux tassawaf (livres de prières). Certains documents ont plus de 900, voire 1000 ans.

Cependant, leur "mission première", pour reprendre les mots d’Issam, sera de restaurer et de protéger les registres du tribunal islamique qui remontent jusqu’au XVIème siècle. Ces archives donnent une idée du mode de vie à Jérusalem, notamment des conditions de travail. Elles contiennent aussi des actes de mariage et de divorce, mais surtout des titres de propriété. Il y a plus de 500 registres qui vont de la période ottomane à nos jours.

"Ces registres, nous les gardons dans des coffres-forts", confie Issam Nageb. "Ca prouve que les maisons, les mosquées, les demeures appartiennent à la population palestinienne". Il précise que c’est d’ailleurs en prenant conscience de l’importance de préserver ces registres que le Waqf a eu l’idée de créer le laboratoire.

Dans leurs locaux flambant neufs d’où ils peuvent voir les céramiques bleues et la coupole dorée du Dôme du Rocher, Khader et Issam m’expliquent chaque étape du processus de restauration.

D’abord, on photographie le livre page par page. Puis on le nettoie au pinceau ou au bistouri. Ensuite, on le place dans une pochette d’où l’on aspire l’air avant d’y injecter de l’azote, et ce à trois reprises. On laisse l’ouvrage sous vide pendant trois semaines afin de tuer tous les insectes qui le dévorent. Puis on démonte les fascicules que l’on lave dans un bain d’eau froide et d’alcool qui fixe l’encre. On fait sécher. Enfin, on comble les trous de chaque page avec du papier japon (sans acide) et de la colle naturelle. La reliure et la couverture viennent en touches finales.

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Khader Shihabi et Issam Nageb

Le laboratoire a été créé pour les manuscrits de Jérusalem. Mais Issam Nageb et Khader Shihabi espèrent à terme accueillir ceux de toute la Palestine, y compris ceux des bibliothèques privées.

D’ailleurs, alors qu’il attendait l’ouverture du centre de restauration, Khader a aidé le cheikh Abdul Aziz Bukhari à mettre de l’ordre dans sa très riche collection familiale. Cet homme, qui est à la tête de la communauté ouzbèke de Jérusalem, est un descendant de l’imam Al-Bukhari qui au IXème siècle a rassemblé une collection de hadith du prophète Mahomet considérée comme parfaitement authentique par les sunnites. Un autre de ses ancêtres, Mohammed Yaissi Al Bukhari a fondé la méthode de méditation soufie Naqshabandian, qui repose sur le silence. Avec autant d’aïeux érudits, le cheikh Bukhari possède plus de 200 manuscrits religieux.

Chez lui, il me montre un livre que son arrière-arrière-grand-père a écrit après son pèlerinage à La Mecque à la fin XIXème siècle : un carnet de voyage avec des dessins des lieux saints, des réflexions religieuses et philosophiques et des poèmes soufis. L’ouvrage est dans un état de conservation exceptionnel car il a été rédigé sur du papier de riz et de soie et coloré de pigments naturels (fleurs, épices, herbes).

Le cheikh Bukhari raconte comment Khader Shihabi a restauré d’autres manuscrits, bien plus abîmés. "Il est très jaloux de cet héritage et de cette tradition. Il ne veut pas que les manuscrits soient perdus ou détruits par le temps et la négligence".

10 septembre 2008 - BabelMed


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