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Créer une réalité sur le terrain

mercredi 27 août 2008 - 07h:45

Jonathan Cook

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« Ces colonies sont censées porter un coup sérieux à tout futur accord de paix avec les Palestiniens » dit Dror Etkes, observateur de vieille date des colonies pour le groupe israélien des droits de l’homme, Yesh Din.

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Des soldats israéliens gardent des colons juifs évacués dans un camp militaire israélien en limite de Beit Sahour près de la ville de Bethléem, août 2008. Les colons ont l’intention de construire une colonie sur le site où les Palestiniens prévoient de construire un hôpital. (Luay Sababa/MaanImages)




Yehudit Genud a à peine le sentiment de se trouver à la limite d’une construction coloniale d’Israël, bien que ce groupe de mobile homes au sommet d’une colline de Cisjordanie et qu’elle appelle son domicile soit sujet à caution, même selon les normes israéliennes.

Malgré la dimension et l’isolement de Migron, une colonie d’environ 45 familles religieuses sur une hauteur proche de la ville palestinienne de Ramallah, l’emploi de Genud qui est travailleuse sociale à Jérusalem-Ouest est à 25 minutes de voiture par une belle route.

Genud, 28 ans, enceinte de son premier enfant, fait valoir que Migron possède un parc, des terrains de jeux pour les enfants, un jardin d’enfants, une garderie et une synagogue, le tout payé par le gouvernement - même si les bâtiments sont entourés d’une clôture métallique et si son époux, Roni, doit faire des heures supplémentaires comme gardien de la sécurité de la colonie.

De sa caravane, elle a également une vue panoramique non seulement sur Ramallah mais aussi sur les nombreuses communautés dispersées sur les pentes qui descendent doucement vers la vallée du Jourdain.

Les villages palestiniens, fondés il y a bien longtemps, sont instantanément identifiables avec leurs toits en terrasse des maisons et la proéminence des minarets qui s’élèvent des mosquées. Eparpillées entre ces villages, on voit cependant en nombre croissant, plus récentes, fortifiées, ces communautés de pavillons de luxe aux toits en tuiles rouges caractéristiques.

Ce sont les colonies juives qui maintenant forment un cercle presque complet autour de la Jérusalem-Est palestinienne, la coupant du reste de la Cisjordanie et anéantissant tout espoir que la cité devienne un jour la capitale d’un Etat palestinien.

« Ces colonies sont censées porter un coup sérieux à tout futur accord de paix avec les Palestiniens » dit Dror Etkes, observateur de vieille date des colonies pour le groupe israélien des droits de l’homme, Yesh Din. « Leur objectif est de rendre irréalisable un Etat palestinien. »

La plus grande partie de ce demi-million de colons en Cisjordanie (dont Jérusalem-Est), selon Mr Etkes, sont « des opportunistes économiques », attirés par la vie dans les territoires occupés moins par convictions idéologiques ou religieuses que par les incitations économiques. Les maisons, les services municipaux et les écoles sont fortement subventionnés par le gouvernement.

De plus, les colonies - bien que violant le droit international - sont intégrées à Israël par un système sophistiqué de routes qui les rend faciles aux colons pour qu’ils oublient qu’ils sont dans des territoires occupés et entourés par les Palestiniens.

Mais Migron, avec ses liens supposés avec le site biblique où le roi Saül s’était basé pendant son combat contre les Philistins, attire une autre catégorie d’habitants.

« Ce lieu est saint pour le peuple juif et être ici pour nous est un devoir » dit Genud. « La terre d’Israël tout entière nous appartient et nous ne devrions pas craindre d’y vivre là où nous le voulons. Les Arabes doivent accepter cela. »

Contrairement aux 150 colonies officielles éparpillées à travers la Cisjordanie, Migron est un exemple de ce que le gouvernement israélien appelle un « avant-poste illégal », souvent une excroissance non autorisée d’une colonie importante. Aujourd’hui, il y a plus de 100 avant-postes de ce genre où logent plusieurs milliers de colons extrémistes.

Genud, cependant, argue que le refus d’Israël de faire de Migron une colonie autorisée, comme il l’a fait pour bien d’autres avant-postes établis, traduit la pression de Washington.

Retour en 2003. Israël s’est alors engagé à démanteler les plus récents avant-postes de façon expresse dans la Feuille de route, projet élaboré sous l’égide des USA pour relancer le processus de paix et la création d’un Etat palestinien. Deux années plus tard, le cabinet israélien approuve le retrait de 24 de ces avant-postes, mais c’est à peine si on avance dans leur démantèlement. Israël confirme son engagement lors de la venue de George W. Bush, le président US, en janvier 2008.

Implanté il y a 6 ans par un groupe venant de la colonie voisine d’Ofra, Migron est maintenant le plus important des avant-postes. Deux résidents, Itai Halevi, le rabbin de la communauté, et Itai Harel, fils d’Israel Harel, dirigeant colon réputé, ont démontré leur confiance dans l’avenir de Migron en construisant des maisons définitives.

« Nous sommes reliés au réseau d’eau, nous avons des lignes téléphoniques de l’entreprise nationale Bezeg, nous avons été raccordés par la compagnie d’électricité et nous avons l’éclairage public. » dit Genud. « Nous avons aussi un jardin d’enfants financé par l’Etat et un détachement de l’armée qui stationne ici pour nous protéger. Comment pouvons-nous être ?hors-la-loi’ ? »

Daniella Wiess, meneuse de la branche la plus extrémiste des colons, approuve. Comme les habitants de Migron, elle rappelle que l’avant-poste fut d’abord proposé par Ariel Sharon alors qu’il était ministre du Logement dans les années 90. Il est aussi parmi les premiers avant-postes à avoir été mis en place quand Sharon est devenu Premier ministre en 2002.

Un rapport officiel publié en 2005 révèle que plus de 4 millions de dollars ont été investis dans Migron les premières années, ce sont des fonds débloqués par au moins six ministères différents.

Il y a donc tout lieu de croire à une complicité officielle en faveur d’avant-postes comme Migron. « Cet endroit est très stratégique » dit Genud. Il domine la route 60, l’unique route importante que peuvent emprunter les Palestiniens entre Jérusalem et Jénine, dans le nord de la Cisjordanie.

Aujourd’hui, même ceux des Palestiniens qui arrivent à obtenir une autorisation pour utiliser cette route rencontrent des portions régulièrement entravées par des check-points ou fermées pour cause de protection des colonies environnantes.

« D’ici, nous pouvons également voir tous les Arabes et garder un ?il sur ce qu’ils font », dit-elle en parlant de ses voisins palestiniens. « Et en plus, nous pouvons voir les autres colonies et surveiller pour leur sécurité ».

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« Migron, Cisjordanie occupée. L’objectif de ces colonies est de rendre irréalisable
un Etat palestinien. » (Reuters)

Mais malgré son importance pour la dynamique coloniale, Migron est menacé. La semaine dernière, le gouvernement israélien a donné son accord pour que l’avant-poste soit détruit, mais sans donner la moindre date. Bien peu croient à un tel retournement de sitôt. La décision du gouvernement s’est imposée par toute une série d’évènements imprévus.

En 2006, plusieurs Palestiniens de Cisjordanie, soutenus par des groupes pacifistes israéliens, ont saisi la Cour suprême d’Israël en faisant valoir que Migron avait été établi sur des terres privées qui leur appartenaient.

Au cours des quatre décennies passées, Israël a déclaré près des deux tiers de la Cisjordanie, comme « terre d’Etat », les confisquant sous les prétextes les plus divers et les transférant pour une grande part sous la compétence des conseils de colons. D’après les chiffres du groupe israélien pacifiste La Paix Maintenant, les colons contrôlent directement plus de 40% de la Cisjordanie.

Les terres appartenant à des Palestiniens qui en possédaient les titres de propriété ont toutefois été plus difficiles à confisquer. Cela a engendré une industrie douteuse de sociétés écran, tant en Israël que dans les territoires occupés, pour arriver à transférer la terre privée palestinienne vers les colons.

L’une de ces sociétés semble bien être derrière la vente du terrain sur lequel s’est monté Migron. Une enquête de police a révélé que l’un des propriétaires palestiniens, Abdel Latif Hassan Sumarin, aurait cédé par écrit sa procuration à une société immobilière israélienne réelle en 2004, bien qu’il soit décédé aux Etats-Unis en... 1961.

Au cours des audiences devant la Cour, Israël a fait traîner en longueur. Selon ses propres chiffres, il y a une dizaines d’avant-postes entièrement ou partiellement construits sur des terres privées palestiniennes - et le véritable nombre est certainement encore plus élevé.

Les colons croient que la décision de destruction de Migron, si elle est appliquée, créerait un dangereux précédent. « Ils craignent vraiment que ce soit tout simplement la première de nombreuses colonies à tomber » dit Etkes.

La semaine dernière, confronté à une nouvelle audience devant la Cour, le gouvernement a finalement cédé sur Migron - mais seulement après avoir passé un accord avec le principal groupe de pressions de colons, le conseil Yesha. Israël a promis que l’avant-poste ne serait pas détruit avant que de nouveaux logements ne soient construits pour les colons de Migron et qu’ils n’aient été transférés « en masse » [en français dans le texte] dans une colonie nouvellement créée - et autorisée. Selon les infos dans la presse locale, les familles de Migron pourraient être relogées à quelques centaines de mètres de leur position actuelle sur un terrain de Cisjordanie désignée « terre d’Etat ».

« Les colons savent que la préparation d’un autre site peut prendre des années » dit Yariv Oppenheimer, secrétaire général de La Paix Maintenant, craignant que tout cela ne soit simplement qu’une tactique pour gagner du temps.

D’autres croient que le déplacement de Migron pourrait, en fait, faire reculer le combat contre les colonies. Il est déjà question de muter les colons sous la compétence d’une colonie voisine, Adam.

« Le risque est que Migron ne soit détruit que pour renaître sous une forme légalisée par le gouvernement comme nouvelle colonie, à proximité d’Adam » dit Etkes.

Une telle méfiance est confortée par le principal conseil de colons, Yesha, qui a publié une déclaration la semaine dernière : « Nous croyons qu’il est possible de trouver une solution pour les avant-postes qui permettrait de renforcer la colonisation ».

Néanmoins, les résidents de Migron, appuyés par des groupes de colons extrémistes, parlent et agissent dur en ce moment. Dans une manifestation de leur mépris, ils ont installé un nouveau mobile home dans l’avant-poste la semaine dernière. Depuis plusieurs mois, les résidents ont également érigé une grande construction en pierre à proximité de l’avant-poste dont ils feront une cave.

Le conseil rabbinique des colons a dénoncé la perte annoncée de cet avant-poste, comme l’a déclaré un dirigeant de colons, Gershon Masika, qui a mis en garde contre une confrontation sanglante pour sauver l’avant-poste.

Genud n’est pas certaine de ce qu’elle fera si la crise arrive et si elle doit renoncer à habiter et à vivre à Migron. « Au moins cette terre est juive » dit-elle. « Ce serait une grande faute si nous abandonnions ce qui légitimement nôtre. »


Jonathan Cook est écrivain et journaliste. Il vit à Nazaretz, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Son site : http://www.jkcook.net


Voir également sur ce site :

- Israël et son architecture oppressive d’occupation
de Eyal Weizman - Socialist Worker online

Du même auteur :

- Un combat contre le nettoyage ethnique silencieux de Jérusalem
- Un ou deux Etats ? Là n’est pas le problème
- "Ce que veut dire « Shoah » pour Gaza"
- "Liban : les crimes délibérés d’Israël"
- "Pourquoi l’Iran ne commence-t-il pas par rayer ses propres Juifs de la carte ?"

25 août 2008 - The Electronic Intifada - traduction : JPP - Cet article a d’abord été publié par The National à Abu Dhabi.


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