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Guerre à la carte

jeudi 21 août 2008 - 15h:26

Eric Walberg - Al Ahram weekly

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L’invasion géorgienne de l’Ossètie du sud est une nouvelle guerre « made in US » et « made in Israël », explique Eric Walberg. Et l’Iran serait-elle la prochaine cible ?

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Soldats russes en Ossétie du Sud - Photo : Novosti

La semaine dernière, la Géorgie a lancé une offensive militaire importante contre la province rebelle d’Ossètie du sud, juste quelques heures après que le président Mikhail Saakashvili ait annoncé un cessez-le-feu unilatéral. Il y a eu près de 1500 tués, ont déclaré les dirigeants russes. Trente mille personnes sont réfugiées, la plupart du temps des femmes et des enfants, allant à travers la frontière jusqu’à Vladikavkaz, la capitale ossète du nord en Russie.

Le moment choisi — et le subterfuge utilisé — suggérent que Saakashvili, sans scrupules, avait compté sur la surprise. « La plupart des dirigeants étaient partis en vacances, » a-t-il dit lors d’une entrevue avec CNN. « C’était le meilleur moment pour attaquer un petit pays. » Apparemment il faisait référence à la Russie envahissant la Géorgie, malgré le fait que c’était la Géorgie qui avait justement lancé une invasion en grandeur réelle sur le « petit pays » de l’Ossètie du sud, tandis que le premier ministre russe Vladimir Putin était à Pékin pour les Jeux Olympiques.

Vingt-sept soldats russes ont été tués et 150 blessés jusqu’ici, la plupart lorsque leurs casernes ont été bombardées à coups d’obus par les forces géorgiennes au début de l’invasion. Le ministre géorgien de la réintégration, Temur Yakobashvili, s’est précipité pour annoncer que leur « mini-Blitzkrieg » avait détruit 10 avions russes de combat (la Russie parle de deux) et que les troupes géorgiennes avaient un total contrôle de la capitale Tskhinvali.

Le ministère russe de la défense a dénoncé l’attaque géorgienne comme « une immonde aventure ». Depuis Pékin, Putin a indiqué : « il est regrettable que le jour avant l’ouverture des Jeux Olympiques, les autorités géorgiennes aient entrepris des actions agressives en Ossetie du sud. » Il a plus tard ajouté : « une guerre a commencé ».

Le Président russe Dmitri Medvedev a pris l’engagement que Moscou protégera les citoyens russes — la plupart des Ossètes du sud disposent de passeports russes. L’offensive a poussé Moscou à envoyer 150 tanks, à lancer des attaques aériennes sur la ville voisine de Gori et sur des camps militaires, et à envoyer des vaisseaux de guerre vers la côte géorgienne de la Mer Noire.

Le Conseil de Sécurité Nationale de la Géorgie a déclaré l’état de guerre avec la Russie et la pleine mobilisation militaire. Les avions militaires américains ont rapatrié 2000 géorgiens basés en Irak — la troisième force la plus importante après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne — pour appuyer la confrontation avec les Russes. Le dimanche, en dépit des proclamations de victoire, les troupes géorgiennes avaient fui l’Ossètie du sud, laissant derrière elles un désastre diplomatique à la suite duquel il va très dur d’y voir clair. La vérité est plus étrange que la fiction en Géorgie.

Ce qui s’est produit était écrit depuis des mois. Le président géorgien Saakashvili avait fait du charme aux dirigeants occidentaux lors de la réunion « d’urgence » de l’OTAN en avril et son succès électoral anti-russe en mai démontrait que la Géorgie était l’oiseau rare « plus-que-bien-placé » à l’Est.

L’attaque géorgienne sur Tskhinvali, la capitale de l’Ossétie du sud — et je le répète : juste quelques heures après que Saakashvili ait déclaré un cessez-le-feu — ressemble infiniment à une tentative pour réinsérer de façon unilatérale la province rebelle dans la Géorgie. Mais ceux qui conseillent le jeune président si bravache ignorent le post-scriptum — no pasaran ! L’Ossètie du sud a été indépendante pendant 16 années et il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle lance des fleurs sur les tanks des envahisseurs venus de Géorgie. Il s’avère aussi justement qu’elle vient de prendre la Russie comme patron.

L’effet sismique de ce jeu dangereux initié par Saakashvili commence à peine à se faire sentir. C’est la crise la plus sérieuse de la Russie avec un pays étranger depuis l’effondrement de l’Union Soviétique et elle pourrait évoluer en une guerre totale engloutissant une grande partie de la région du Caucase.

Les vaisseaux de guerre russes ne prévoient pas de bloquer les expéditions de pétrole depuis Poti, le port géorgien de la Mer Noire, a déclaré dimanche Grigory Karasin, adjoint au ministre russe des affaires étrangères , mais ils se réservent le droit de contrôler les bateaux qui entrent et sortent. Une autre source a indiqué : « les équipages ont pour mission de ne pas permettre à des armes et à des équipements militaires d’atteindre la Géorgie par la mer. »

Les Russes ont déjà coulé un bateau géorgien équipé de missiles qui voulait attaquer les bateaux russes. Faisant monter la mise, l’Ukraine a indiqué qu’elle s’était réservée le droit d’empêcher les vaisseaux de guerre russes de retourner à leur base ukrainienne — autrefois russe — de Sébastopol, dans la péninsule de Crimée. Samedi, la Russie a accusé l’Ukraine « d’armer les géorgiens jusqu’aux dents ».

L’autre région séparatiste de la Géorgie, l’Abkhazie, mobilisait ses forces pour une offensive dans la gorge de Kodori, la seule région d’Abkhazie contrôlée par la Géorgie. « Aucun dialogue n’est possible avec la direction géorgienne en place, » a dit le président d’Abkhazie Sergei Bagapsh. « Ce sont des criminels d’état qui doivent être jugés pour les crimes commis en Ossètie du sud, pour le génocide du peuple ossète. »

La Grande-Bretagne a demandé à ses ressortissants de quitter la Géorgie. Sian Davis, d’une association caritative, a déclaré : « c’est vraiment, vraiment tranquille, incroyablement tranquille. Chacun est à la maison ou alors a tout emballé et s’est enfui hors de la ville. Les gens sont vraiment, vraiment effrayés. Les gens paniquent. » Jusqu’ici les plus de 2000 ressortissants américains dans ce pays minuscule mais stratégique ont la plupart du temps décidé de rester.

C’est encore une nouvelle guerre « made in US »

Le président George W Bush avait fortement soutenu en avril la demande de la Géorgie de rejoindre l’OTAN, souvent à la consternation des dirigeants européens. L’OTAN avait promis d’envoyer des conseillers en décembre. Ne perdant pas une seconde, les Etats-Unis ont envoyé plus de 1000 marines et soldats à la base militaire de Vaziani à la frontière de l’Ossètie du sud en juillet « pour enseigner des techniques de combat aux troupes géorgiennes. »

Le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas trouvé d’accord sur la crise en cours après trois réunions en urgence. Une résolution proposée par la Russie invitant la Géorgie et les séparatistes « à renoncer à l’usage de la force » s’est vue opposer un veto par les Etas-Unis, le Royaume-Uni et la France. Pour dissiper tout dernier doute, la secrétaire d’état Condoleezza Rice a déclaré vendredi : « Nous faisons appel à la Russie pour qu’elle cesse ses attaques contre la Géorgie avec des avions et des missiles, pour qu’elle respecte l’intégrité nationale de la Géorgie, et pour qu’elle retire ses forces terrestres du sol géorgien. »

Mais c’est également une nouvelle guerre « made in Israël »

Mille conseillers militaires appartenant à des firmes israéliennes avaient formé les forces armées du pays et ont été profondément impliqués dans les préparatifs de l’armée géorgienne pour attaquer et conquérir la capitale de l’Ossètie du sud, selon le site internet israélien « Debkafiles » qui a des liens étroits avec les services de renseignements et les cercles militaires du régime.

Le journal Haaretz a signalé que Yakobashvili avait déclaré à la radio de l’armée israélienne, en hébreu, que « Israël devrait être fier de ses militaires qui ont formé les soldats géorgiens. » « Nous avons tué 60 soldats russes rien que hier, » s’était-il vanté le lundi. « Les Russes ont perdu plus de 50 tanks, et nous avons abattu 11 de leurs avions. Ils ont subi d’énormes dommages en termes de moyens humains. » Il a averti que les Russes voulaient ouvrir un autre front en Abkhazie et il a nié les rapports faisant état d’un retrait de l’armée géorgienne. « Les forces géorgiennes ne battent pas en retraite. Nous redéployons nos soldats selon les besoins de sécurité. »

Les israéliens sont actifs en Géorgie dans le secteur immobilier, le tourisme, les jeux, la fabrication d’armes et la consultance en sécurité, et on y trouve l’ancien maire de tel Aviv, Roni Milo, et le likoudiste et opérateur de jeux Reuven Gavrieli. « Les Russes ne regardent pas d’un bon oeil la coopération militaire entre des sociétés israéliennes et l’armée géorgienne, et pour autant que je sache, les israéliens faisant de la consultance en sécurité ont quitté la Géorgie ces derniers jours en raison des événements ici, » a déclaré hier l’ancien ambassadeur israélien en Géorgie et en Arménie, Baruch Ben Neria. Tous en assurant ses fonctions, Ben Neria représentait en Géorgie la société Rafaël spécialisée en systèmes avancées de défense.

Le dimanche qui a suivi, Putin était à Vladikavkaz et affirmait qu’il était peu probable que l’Ossètie du sud soit jamais reintégrée à la Géorgie. Il n’y a en réalité que deux scénarios possibles pour terminer ce conflit : soit une impasse à long terme, soit une annexation de l’Ossètie du sud par la Russie. Le second commence à paraître le mieux placé, et Saakashvili regrette sans doute déjà son initiative irréfléchie. Le président géorgien espérait de façon évidente attirer les Etats-Unis dans le conflit. Alexandre Lomaya, le secrétaire du Conseil de Sécurité Nationale de la Géorgie, a déclaré de son côté que seule une intervention occidentale pourrait empêcher une guerre totale.

Mais il est très peu probable que Bush se risque à une troisième guerre mondiale pour ce bout de montagne caillouteux.

Lorsque les marionnettes des Etats-Unis s’écartent de la ligne fixée, comme un certain Saddam Hussein, elles sont facilement lâchées. Saakashvili serait avisé de se souvenir du destin du premier président géorgien de l’ère post-soviétique, Zviad Gamsakhurdia, lui aussi un enfant chéri des Etats-Unis (en 1978, le congrès américain l’avait proposé comme prix Nobel de la paix). Victorieux en 1990 grâce à une vague nationaliste, il avait déclaré l’indépendance de la Géorgie et reconnu officiellement « la République tchétchène d’Ichkeria ». Mais l’Ossètie du sud n’a rien voulu partager de la vision chauvine d’un Gamsakhurdia et avait déclaré sa propre « indépendance ».

Emporté par une vague de rejet deux courtes années après, abandonné par ses amis américains, il s’était réfugié dans son Ichkeria adorée. Il revint ensuite en Géorgie occidentale, recherchant l’appui de la rétive Abkhazie, mais son soulèvement s’est écroulé, incitant l’Abkhazie à faire cécession. Il est mort en 1993, laissant comme legs les deux provinces en état de sécession, et il a été enterré en Tchétchénie. Saakashvili l’a réhabilité en 2004 et a fait mettre ses restes au Panthéon Mtatsminda avec d’autres « héros » géorgiens.

La vérité est vraiment plus étrange que la fiction en Géorgie. Maintenant la question du jour est la suivante : l’histoire se répétera-t-elle ?

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15 août 2008 - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2008/910...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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