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Adieu Mahmoud Darwish

lundi 18 août 2008 - 06h:06

Sinan Antoon - Al Ahram Weekly

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Très peu de poètes deviennent la voix de leur nation et encore moins réussissent à dépasser cela pour devenir encore beaucoup plus. Mahmoud Darwish (1941-2008) était cet oiseau rare ayant traversé beaucoup de cieux et d’horizons.

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Hommage à Mahmoud Darwish - Ramallah - Photo : AFP

Sa mort la semaine dernière, après des complications à la suite d’une opération chirugicale à c ?ur ouvert à Houston au Texas, a mit fin à une vie épique et a interrompu un travail éblouissant, créatif et prolifique, particulièrement ces dernières années.

Il est difficile de sous-estimer ce symbole capital qu’était Darwish et sa signification culturelle et politique. Avec son départ la Palestine perd une de ses icônes culturelles les plus précieuses, une voix poétique aux échos universels. Le monde arabe dans son ensemble et sa diaspora font ses adieux à un de ses meilleurs poètes modernes et un des plus populaires de ces trois dernières décennies.

Ses poésies ont été mises en musique, discutées à la Knesset israélienne, et ses lectures publiques pouvaient remplir des stades. L’absence de Darwish renforcera encore son statut proche du mythe dans la mémoire collective des Palestiniens et des Arabes.

Darwish est le 13 mars 1941 à Al-Birweh en Galilée, en Palestine. Alors qu’il avait sept ans, lui et sa famille ont été forcés par les troupes israéliennes de se sauver de leur village en direction du Liban. Al-Birweh a été détruit par les Israéliens et une colonie construite à sa place. Quand la famille de Darwish est revenue un an après, elle s’est établie dans Deir Al-Assad, près des restes de leur village détruit. La terrible expérience de perdre sa maison et d’être un exilé sur sa propre terre à un si jeune âge hantera la poésie de Darwish et deviendra un thème central aux variations riches et complexes traversant toute son ?uvre. « Je n’oublierai jamais cette blessure, » avait-il dit. Dans un de ses derniers ouvrages, Darwish disait toujours entendre « les pleurs d’un village enterré sous une colonie ».

Il avait été extrêmement précoce et il avait découvert la puissance des mots et de la poésie dans son jeune âge. À 12 ans il exposait à son école une poésie sur l’anniversaire de la Nakba, parlant d’un enfant qui revient trouver sa maison volée par d’autres. Il fut convoqué par l’officier militaire israélien et menacé.

Cette première poésie féroce a marqué sa résistance à la disparition existentielle et culturelle voulu par un état de colonialiste et ségrégationniste. Ceci est mis en exemple dans « La carte d’identité » devenue une poésie à valeur d’icône de cette époque et destinée à être connue comme « poésie de résistance » avec son célèbre refrain « enregistre : je suis un Arabe ! ». Darwish a rejoint le parti communiste israélien en 1961 et a travaillé comme journaliste pour Al-Ittihad. Il a été emprisonné cinq fois entre 1961 et 1967 et assigné à domicile pendant trois ans.

Il prit la décision fondamentale de ne pas retourner en Israël alors qu’il était étudiant boursier à Moscou en 1971 ; il s’est alors rendu au Caire où sa renommée l’avait déjà précédé. Deux ans après il allait s’établir à Beyrouth et rejoignait l’Organisation de Libération de Palestine (OLP) ; il y est resté jusqu’en 1982. Il a été à Beyrouth le rédacteur de « Shu’un Filastiniyya » (Questions palestiniennes) et il a créé « Al-Karmil » en 1981, une des meilleures revues culturelles publiées dans le monde arabe.

À Beyrouth, Darwish a affiné son projet poétique et s’est distingué par une expérimentation et un engagement continus à travers des développements dans la poésie arabe moderne, tout en résistant aux tentations et aux pressions pour être classé comme « poète de la résistance ». La Palestine et ses questions constituaient toujours un axe central, mais devant être enrichi par des explorations de la mythologie et véhiculé par un récit poétique plus complexe. Darwish a été le témoin et le narrateur des principaux moments de la saga palestinienne mise en poésies dans « Ahmed Al-Zaatar » (1977) à propos du siège et du massacre de Tal Al-Zaatar en 1976, « Madih Al-Zill Al-Aali » (éloge pour une ombre) et « Qasidat Beyrouth » (poème pour Beyrouth), ces deux dernières poésies ayant été écrites en 1983. Darwish écrivait également en prose d’une beauté exceptionnelle. « Une mémoire pour l’oubli », belle et obsédante mémoire au sujet de guerre, a retracé les horreurs quotidiennes de l’invasion et du siège israéliens de Beyrouth en 1982.

L’exode palestinien de Beyrouth a mené Darwish à Tunis où l’OLP a trouvé refuge jusqu’à son retour après Oslo en 1993. Darwish s’établit à Paris où il connaîtra sa période la plus productive et mènera sa poésie à de nouveaux sommets à travers « Je vois ce que je veux » (1990) et « Onze planètes » (1992). Son travail devenait une conversation poétique avec les épopées du monde et la saga palestinienne a été insérée dans un plus large perspective historique et culturelle à partir de ce moment de l’histoire coloniale qu’a été 1492 et ses ramifications.

Darwish a refait une lecture d’« Andalus » et du génocide des natifs américains à travers des poésies fascinantes et épiques abordant simultanément la question palestinienne et les questions post-coloniales universelles. Ses poésies avaient valeur de prophétie quant au devenir des Palestiniens. Darwish avait été élu au comité exécutif de l’OLP mais il a démissionné en 1993 suite à ses objections concernant les accords d’Oslo et à cause de ses désaccords avec Arafat. Il avait très justement prévu que ces accords conduiraient à un suicide politique.

« Pourquoi avez-vous laissé le cheval seul ? » (1995) était une réponse aux défis et aux menaces d’Oslo. Il s’agissait d’une biographie poétique individuelle et collective et d’un travail pour exhumer la mémoire. Cette création a également marqué un changement dans le travail de Darwish vers quelque chose de plus personnel et plus subjectif. Il a continué à étonner et défier ses lecteurs avec « Un lit pour l’étranger » (1999), une collection consacrée au sentiment amoureux. En 1998 Darwish a subi pour la seconde fois une opération chirugicale au c ?ur, et celui-ci s’était arrêté pendant deux minutes. Cette rencontre avec la mort a donné une autre poésie épique, « Peinture murale » (2000) traitant du triomphe de l’art sur la mort.

Darwish a décidé de retourner et de vivre à Ramallah en tant que simple citoyen en 1996 et a alors partagé son temps entre la Cisjordanie et Amman. « Etat de siège » (2002) a été centré par les horreurs de l’occupation israélienne durant la seconde Intifada, mais parlait également d’espoir et d’esprit de résistance. Darwish était vibrant et prolifique durant ses dernières années, surprenant ses lecteurs et critiques par sa capacité à se réinventer. En plus de trois collections : « Ne vous excusez pas pour ce que vous avez fait » (2004), « Comme des fleurs d’amande, ou là-bas » (2005), et « L’effet papillon » (2008), il nous a laissé un des livres les plus puissants des temps modernes, écrit en prose et en langue arabe. « En présence de l’absence » (2006) était un éloge appliqué à lui-même rédigé dans une magistrale prose poétique.

Dans la dernière phase de son travail Darwish était libre d’explorer tous les thèmes du monde ou même métaphysiques. Le « Moi » ancré dans ses premières années était à présent dispersé dans une variation de pronoms où l’individu se transformait en un lieu morcelé par le temps et l’espace et, dans le sens le plus large, ouvert à tous ses semblables. Darwish et son travail étaient un lieu renfermant multitudes et vastes horizons, au coeur de ce qu’était la Palestine en tant que telle, mais également de la Palestine comme métaphore pour l’amour, l’exil, l’injustice et la souffrance de notre époque contemporaine.

Sachant que l’opération pouvait ne pas réussir, Darwish avait été attentif à faire ses adieux à sa patrie et à ses proches.

Il était retourné à Haïfa pour la première fois depuis 1971 en juillet de l’année dernière, pour une historique lecture poétique et une courte visite. Il avait fallu en obtenir la permission auprès des autorités israéliennes.

Sa famille et ses amis avaient espéré qu’il serait enterré dans la Galilée qu’il avait aimée, mais les Israéliens l’ont refusé et c’est pourquoi il a été enterré dans Ramallah.

« Que peut faire un poète quant il est face aux bulldozers de l’histoire ? » avait demandé un jour Mahmoud Darwish. Se tenir debout devant eux, préserver notre mémoire et célébrer la vie comme il le faisait. « Chaque belle poésie est un acte de résistance, » écrivait-il dans sa dernière collection. Et il nous a laissé un ensemble de trésors parsemés dans ses 23 collections poétiques et ses quatre livres en prose. Il a vécu dans un exil permanent et est mort dans une terre étrangère, mais ses poésies sont dans sa patrie, dans les archives indestructibles de notre mémoire collective.

15 août - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2008/910...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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