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Mahmoud Darwich : Les poètes ne meurent jamais

dimanche 10 août 2008 - 07h:36

Juliette Prétière

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Mahmoud Darwish a chanté une douleur qu’il connaissait bien : celle de l’exil. Il était et reste le « poète national palestinien ». Malgré lui. Mais en l’assumant.

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Mahmoud Darwich

Le poète a une première patrie : la poésie. La mort d’un poète authentique endeuille tous les amoureux des mots. Mahmoud Darwich s’est éteint, à Houston, au Texas, à la suite d’une opération du c ?ur. Il était âgé de 67 ans.

Il a chanté une douleur qu’il connaissait bien : celle de l’exil. Il était et reste le « poète national palestinien ». Malgré lui. Mais en l’assumant.

Parce que le peuple palestinien se reconnaissait et se reconnaît dans ses mots et se sentait porté par ses ailes.

Parce que ses images, son lyrisme, son inspiration, ses hymnes à l’amour, ses vertiges devant le temps qui passe, ses interrogations sur sa propre identité permettaient et permettent toujours à ceux qui le lisaient ou l’écoutait de trouver consolations et encouragements.

Arraché à sa terre à l’âge de 6 ans, ballotté dans la tourmente politique et la guerre de libération, pris dans les cyclones des violences déchaînées, récupéré par des gens en qui il ne se reconnaissait pas toujours, il a longtemps transformé les mots en armes pour tenter de sécher bien des larmes. Il refusait à la fois les intégrismes et le « bradage » des terres palestiniennes occupées. Avec des mots souvent chargés de charges explosives. La guerre n’est pas un conte pour enfants...

Il fut attaqué à la Knesset au moment de la « révolte des pierres » le 28 avril 1988, par le premier ministre d’Israël, Ytzhak Shamir pour un poème mal lu et mal compris. « Passants parmi des paroles passagères » [1] La même terre pour deux peuples et une guerre qui n’en finit pas entraîne forcément des mots qui font mal. Dans les deux « camps ».

« Vous qui passez parmi les paroles passagères
portez vos noms et partez
Retirez vos heures de notre temps, partez
Extorquez ce que vous voulez
du bleu du ciel et du sable de la mémoire
Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
que vous ne saurez pas
comment les pierres de notre terre
bâtissent le toit du ciel »

Mais ses rêves étaient d’amour et de paix. Ses angoisses venaient surtout de la fuite du temps. Ses vertiges étaient ceux de tous les humains. Et son art était d’abord de peindre ce qu’il entendait, de mettre en musique ce qu’il voyait, de restituer ce qu’il sentait et ressentait. Le ciel, le soleil, les étoiles, le jour, la nuit, les oliviers, le sable et les rochers... Les femmes et les hommes, dans leur simplicité et leur complexité.

« Je suis Palestinien, un poète palestinien, mais je n’accepte pas d’être défini uniquement comme le poète de la cause palestinienne, je refuse qu’on ne parle de ma poésie que dans ce contexte, comme si j’étais l’historien, en vers, de la Palestine.(...) Je n’ai donc nullement cherché à devenir, ou à rester, un symbole de quoi que ce soit. J’aimerais, au contraire, qu’on me libère de cette charge très lourde.(...) Dans notre vie contemporaine, le sens se meurt et disparaît, c’est pourquoi la poésie cherche à opposer son propos non-sens au non-sens extérieur.

J’ai aujourd’hui plus tendance qu’auparavant à proclamer notre droit à l’absurde et au ludique. C’est peut-être la réponse esthétique la plus adéquate au désordre ambiant, bien plus que la recherche du non-sens. Donner à la vie un sens absurde est une option philosophique, être nihiliste est un choix qu’on peut respecter ou non, mais là n’est pas la question.

Le sens est-il possible ? La poésie doit faire comme si cette possibilité existait réellement. L’être humain doit y croire, sinon nous sombrons dans un nihilisme absolu. S’il pense que le sens est impossible, cela signifie ma mort de la volonté, l’anéantissement physique et peut-être métaphysique. » [2]

S’il a été traduit en de nombreuses langues, c’est parce que ses messages avaient (et gardent) une portée universelle.

Lui rendre hommage, c’est le lire, ou le relire. Simplement. En tentant de le comprendre par ses textes et leur contexte.

Les vrais poètes ne meurent jamais.

* Juliette Prétière


Identité

Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d’enfants : huit
Et le neuvième... arrivera après l’été !
Et te voilà furieux !

Inscris !
Je suis Arabe
Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine
Et j’ai huit bambins
Leur galette de pain
Les vêtements, leur cahier d’écolier
Je les tire des rochers...
Oh ! je n’irai pas quémander l’aumône à ta porte
Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais
Et te voilà furieux !

Inscris !
Je suis Arabe
Sans nom de famille - je suis mon prénom
« Patient infiniment » dans un pays où tous
Vivent sur les braises de la Colère
Mes racines...
Avant la naissance du temps elles prirent pied
Avant l’effusion de la durée
Avant le cyprès et l’olivier
...avant l’éclosion de l’herbe
Mon père... est d’une famille de laboureurs
N’a rien avec messieurs les notables
Mon grand-père était paysan - être
Sans valeur - ni ascendance.
Ma maison, une hutte de gardien
En troncs et en roseaux
Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?
Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.

Inscris !
Je suis Arabe
Mes cheveux... couleur du charbon
Mes yeux... couleur de café
Signes particuliers :
Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré
Et ma paume est dure comme une pierre
...elle écorche celui qui la serre
La nourriture que je préfère c’est
L’huile d’olive et le thym

Mon adresse :
Je suis d’un village isolé...
Où les rues n’ont plus de noms
Et tous les hommes... à la carrière comme au champ
Aiment bien le communisme
Inscris !
Je suis Arabe
Et te voilà furieux !

Inscris
Que je suis Arabe
Que tu as rafflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
...à ce que l’on dit !

DONC

Inscris !
En tête du premier feuillet
Que je n’ai pas de haine pour les hommes
Que je n’assaille personne mais que
Si j’ai faim
Je mange la chair de mon Usurpateur
Gare ! Gare ! Gare
À ma fureur !

Poésie extraite du site : http://mahmoud-darwich.chez-alice.f...

Notes :

[1] Publié dans « Palestine mon pays », Paris Editions de Minuit, 1988
[2] Extrait de Entretiens sur la poésie (avec Abdo Wazen et Abbas Beydoun)
Actes Sud, Collection "Mondes Arabes", octobre 2006

Lire également :

- Décès du poète palestinien Mahmoud Darwish
- « La mentalité israélienne de ghetto »
- Dès cet instant « tu » est un autre !
- Palestiniens, le peuple de l’absurde - Interview de Mahmoud Darwish
- « Je ne suis pas le porte-parole officiel du peuple palestinien. »

9 août 2008 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.relatio-europe.eu/la-rev...


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