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Un vol sur El Al

jeudi 31 juillet 2008 - 06h:31

Samah Jabr

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L’unique voyage de Samah Jabr sur la compagnie aérienne nationale israélienne, El Al.

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- Je suis juive, et j’ai l’air différente de vous.
- Qu’entendez-vous par différente ?
Ai-je l’air dangereuse pendant que vous, vous avez l’air de quelqu’un de bien ?




Je ne suis jamais autant vulnérable que lorsque je voyage. La dernière nuit de mon été passé à Ames, Iowa, j’ai eu un sommeil très agité pour finalement me lever et passer ma tenue la plus confortable : chemise de coton bleue, pantalon cargo kaki, sandales, et mon foulard islamique.

« Mets des chaussettes » m’exhorte Betsy qui fut mon amie et ma soignante. Je vais au laboratoire où j’ai travaillé tout l’été, dire au revoir à ma collègue israélienne, Ada.

« Attendez-vous au pire avec El-Al » me dit-elle, « Leur job, c’est de vous rendre la vie malheureuse. »

« Ne vous inquiétez pas, je serai bien, vous savez combien je suis calme », lui réponds-je en lui serrant la main.

Puis Betsy m’emmène à l’aéroport, et je passe le court temps de vol jusqu’à Chicago à lire sa lettre, une sorte de lettre d’au revoir.

L’aéroport international d’O’Hare est animé et impressionnant. En allant au bureau de départ d’El-Al, je remarque quelques femmes arabes qui se rendent dans la même direction. En tenues élégantes, avec des chaussures à talon haut, je devine qu’elles viennent d’un pays flottant sur une mer de pétrole. Mais ma déception de voir qu’elles ne voyageront pas avec moi est interrompue par un ordre de m’arrêter.

Je me dirige derrière une cloison de sécurité, vers l’agent sécurité qui m’a interpellée. Deux hommes s’approchent, me prennent mon sac à main puis disparaissent avec.

L’agent me parle en hébreu mais quand je lui réponds en anglais, il passe à l’anglais et demande : « Vous ne connaissez que l’anglais ? »

« Et l’arabe », je lui réponds vivement. Les questions qui suivent semblent absurdes et je lui réponds avec l’ambiguïté qui convient, dissimulant ma colère grandissante derrière le sarcasme.

Bientôt, les hommes qui ont pris mon sac à main réapparaissent. Ils m’emmènent dans une pièce séparée où sont déjà mes valises (je pensais alors qu’ils étaient déjà dirigés vers Tel Aviv).

« Ouvrez chacune des valises et mettez vos bras bien à l’intérieur » aboie un officier en hébreu.

Les questions ne s’arrêtent pas là. Dix minutes avant mon vol, je suis à nouveau placée dans une pièce à part pour une fouille physique. A ce moment-là, je suis furibonde. Tout ça pour un vol de détente, et nous ne sommes même pas encore en l’air !

Enfin, on me rend mon sac à main, et l’un des mes interrogateurs m’accompagne à l’embarquement.

« Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? » je lui demande.

« Non » fait l’homme.

« Tant pis ! C’est une chance que vous n’aviez pas un autre Palestinien sur le vol, sinon nous n’aurions pas pu décoller avant demain matin. »

Il se met à rire : « Vous êtes trop pressée, Samah. »

Dernière passagère à monter à bord, je remonte l’allée en essayant d’ignorer les regards désapprobateurs.

« Excusez-moi, c’est ma place » dis-je à un jeune homme, une kippa fixée sur ses cheveux blonds. J’apprends vite qu’il s’appelle Moïse, que c’est un Israélien de Ranana. Il est allé rendre visite à sa grand-mère dans l’Indiana, il voyage seul - et il est un peu nerveux - et va voir sa mère à Tel Aviv.

Trop fatiguée pour engager la discussion avec le garçon, je suis soulagée quand les lumières s’éteignent, et il semble dormir. Inconsciemment, Moïse s’appuie contre mon épaule, pour être plus à l’aise.

Je suis épuisée, j’ai froid et j’ai mal au coeur. Je dois demander trois fois pour avoir une couverture supplémentaire, et quand j’ouvre mon sac pour prendre mon médicament contre le mal de l’air, il a disparu. Les agents de sécurité ont tout mis sens dessus dessous. Dans le fond du sac, je retrouve les chaussettes de Betsy. Je les enfile et j’essaie de dormir.

Quatre longues heures passent. Un vieux juif ultraorthodoxe secoue Moïse pour qu’il se tienne assis droit, après quoi le garçon passe son temps à se tourner et à se retourner.

Ce n’est qu’après avoir vomis que j’arrive à dormir, pour être réveillée brusquement par une femme qui crie parce que je lui ai pris sa couverture.

« Ne criez pas après moi » lui dis-je sèchement.

« Comment osez-vous prendre ma couverture » me dit-elle, criant encore plus fort.

Bientôt, deux autres personnes se joignent à elle dans cette criaillerie, n’arrêtant que lorsque l’hôtesse dit à la femme que la couverture n’est pas la sienne.

A ce moment-là, la colère me serre le c ?ur. Je ne sais pas comment je vais pouvoir rester assise dans ce siège étroit encore six heures.

Une passagère américaine juive échange sa place avec Moïse. Elle dit qu’elle est désolée pour la scène qui vient de se passer et pour mon interrogatoire à l’aéroport. « Cela a dû être dur mais, vous savez, il y a besoin de renforcer la sécurité » me dit-elle.

« Avez-vous été interrogée ? » je lui demande, irritée. « Un petit peu » me répond-elle. « Je suis juive, et j’ai l’air différente de vous ».

« Qu’entendez-vous par différente ? Ai-je l’air dangereuse pendant que vous, vous avez l’air de quelqu’un de bien ? » Nous rions.

Après ce qui me parait une éternité, une musique hébraïque et des applaudissements annoncent notre arrivée à l’aéroport Ben Gurion de Tel Aviv. Encore une fois, deux hommes de la sécurité m’attendent. Je suis courbatue et brisée de fatigue. Heureusement, quand je suis libérée, des heures plus tard, deux de mes amis m’attendent toujours.

Ce n’est qu’à la maison que je réalise toute l’horreur du voyage. Mes neveux, impatients de recevoir leurs cadeaux, ont ouvert mes bagages. Les cadeaux sont tous là : baignés de shampoing et gluants de médicaments contre les ulcères. Les hommes de la sécurité ont laissé les bouteilles ouvertes. Les cachets en vrac et les pelotes de coton sont collés à mes vêtements avec de la cold-cream* qui s’est répandue.

Personne ne dit mot, j’ai des larmes plein les yeux.


Note : Il s’agit de l’unique voyage de Samah Jabr sur El Al, compagnie aérienne nationale israélienne. Un voyage d’études qui était financé par l’organisme qui lui a fourni la bourse pour les Etats-Unis et qui avait pris son billet. La même situation a failli se répéter lors de son retour de Paris à la fin de ses études mais après une longue discussion avec ses responsables, ceux-ci ont compris que ça ne se faisait pas de la mettre sur une compagnie aérienne de « l’occupant ».

* Crème contre les irritations cutanées.

Samah Jabr est médecin psychiatre palestinienne, elle vit dans Jérusalem occupée et y travaille au sein d’une clinique psychiatrique qu’elle a créée.

L’un des objets politiques de son combat est un État unique pour une perspective de paix et de liberté commune. Ses chroniques touchantes nous parlent d’une vie au quotidien en pleine occupation ; d’un regard lucide, elle nous fait partager ses réflexions en tissant des liens entre sa vie intime, son travail en milieu psychiatrique et les différents aspects politique d’une situation d’apartheid.

Du même auteur :

- La langue : outil de l’oppression et de la libération
- Histoires de sièges et de zatar
- Une patrie, pas un Etat insignifiant !
- La marche du retour part de Jérusalem
- Franchir le mur d’acier

Article publié en anglais le 3 juillet 2000 par Palestine Report - Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous


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