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La poignée de main entre Talabani et Barack : un évènement pas si historique que cela

mercredi 16 juillet 2008 - 08h:23

Ramzy Baroud

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Barack, Talabani et Abbas appartiennent à des structures politiques et étatiques en grande partie financées et soutenues par le gouvernement des Etats-Unis.

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Talabani et Barack étalent sur la place publique leur collaboration, sous l’oeil ému d’un Abbas jouant les entremetteurs .. Une photo qui se passe de discours.

La plupart des gens ne se seraient pas même rendus compte que le 23ème congrès de l’International Socialiste [structure internationale dans laquelle le parti socialiste français joue un rôle de premier plan] s’était tenu près d’Athènes s’il n’y avait eu le moment où le ministre israélien de la défense Ehud Barak a serré la main du président irakien Jalal Talabani.

Un rapport de l’Associated Press, publié dans le quotidien israélien « Haaretz », a répercuté la poignée de main « historique ». L’histoire s’est passée à Athènes le 1er juillet 2008. On voit au centre de la photo, entre un Barak largement grimaçant et Talabani, le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas lui-même, qui s’est chargé des présentations.

Ces trois individus appartiennent à des institutions politiques qui sont en grande partie financées et soutenus par le gouvernement des Etats-Unis. Abbas et Talabani sont à la tête de structures politiques pour marionnettes dépourvues de souveraineté ou de volonté politique propre, et sont entièrement dépendants de scénarii rédigés en partie ou en totalité par l’administration Bush.

Quant à l’état israélien qui jouit d’un rapport plus favorable avec les Etats-Unis, la normalisation avec les Arabes est quelque chose qu’il convoite et favorise inlassablement, persuadé comme il l’est qu’une telle normalisation n’implique pas de mettre un terme à son occupation des territoires palestiniens ni toute autre concession.

On pourrait suggérer que la poignée de main et la très courte réunion qui s’en est suivie n’étaient pas accidentelles du tout. C’est ce qu’a écrit Haaretz, à partir des commentaires de Barak sur la poignée de main. [Barack] « a dit qu’Israël souhaitait aussi bien étendre à l’Irak ses entretiens indirects avec la Syrie. » C’était une déclaration politique importante faite par Israël — sûrement destinée à isoler encore plus l’Iran, comme le suggèrent clairement les plus récentes initiatives d’Israël concernant la Syrie, le Liban et Gaza. Mais le fait est que les responsables israéliens toujours si prudents ne pouvaient en aucune sorte faire une telle annonce politique de premier ordre sans délibération et sans consensus à l’intérieur du gouvernement israélien avant la poignée de main « accidentelle ».

Talabani a fait profiter Barak de plus qu’une poignée de main réciproque, mais d’un remerciement sincère pour sa bonne fortune comme sixième président de l’Irak, nommé en 2005. En effet, avec le temps, pointer du doigt le rôle majeur joué par Israël dans la guerre d’Irak — alors que ce rôle est repris aujourd’hui dans le but de frapper l’Iran — a cessé d’être une discussion répétitive de la part d’auteurs et d’analystes sans connexion avec les médias traditionnels, le gouvernement des Etats-Unis et les chefs des armées.

Dans un commentaire récent, l’auteur américain Paul J. Balles a mis en lumière certaines de ces importantes déclarations dont celles du sénateur Ernest Hollings (mai 2004) qui a reconnu que « les Etats-Unis ont envahi l’Irak pour sécuriser Israël », et « que tout le monde le sait. » « Le général quatre étoiles à la retraite et ancien commandant en chef de l’OTAN, Wesley Clark est également cité dans The Independent : « Ceux qui ont favorisé cette attaque (contre l’Irak) vous diront franchement maintenant, et en privé, qu’il est probablement vrai que Saddam Hussein ne représentait aucune menace pour les Etats-Unis. Mais ils craignaient jusqu’à un certain point qu’il puisse décider de s’équiper d’une arme nucléaire pour l’employer contre Israël ».

Dans sa dernière analyse du livre de Michael Scheuer « Marcher vers l’enfer : L’Amérique et l’Islam après l’Irak », Jim Miles écrit : « Ce n’est pas tant le lobby israélien lui-même qu’il [Scheuer] critique, mais les « Israël avant tout », c’est-à-dire ceux parmi l’élite qui adoptent de tout coeur la cause israélienne comme cause américaine. Il les décrit comme des « hommes dangereux... cherchant à placer des limites de fait au Premier Amendement au profit de leur attachement prioritaire [Israël]. »

Scheuer, un ex-agent de la CIA qui a principalement travaillé pour recueillir des informations sur Oussama Ben Laden et Al-Qaeda, a écrit dans son livre « estimer que cette relation [israélo-américaine] est non seulement un fardeau mais un cancer pour la capacité de l’Amérique à protéger ses véritables intérêts nationaux... et qui vient soit d’un antisémitisme soit d’un manque de patriotisme américain. »

Non seulement Israël est directement et indirectement responsable d’une grande part des initiatives guerrières (inutile de rappeler la propagande des médias et « services de renseignements » à propos du fictif programme nucléaire irakien), mais il est aussi très impliqué dans ce qui est survenu après la chute du gouvernement irakien en mars 2003.

Dans une étude très complète intitulée « La guerre américaine contre l’Irak : Encore une autre bataille pour protéger les intérêts israéliens ? » édité dans le « Washington Report on Middle East Affairs » en octobre 2003, Delinda C Hanley aborde la question de la participation d’Israël à la suite de l’invasion de l’Irak. L’article pose une question importante, notamment : les conseillers « Israël avant tout » de Bush ont-ils envahi l’Irak afin de s’assurer qu’Israël aurait un accès aisé au pétrole ? — une question qui ne vient pas d’une simple intuition mais plutôt de rapports rédigés par les officiels israéliens dont Joseph Paritzky, ministre de l’infrastructure nationale du pays qui « suggérait qu’après le départ de Saddam Hussein, le pétrole irakien pourrait être acheminé vers l’état juif, pour y être consommé ou redirigé sur le marché à partir de là. » Un article paru le 31 mars 2003 dans Haaretz a rendu compte des projets « de réouvrir une canalisation longtemps inutilisée depuis les gisements de pétrole de Kirkuk en l’Irak jusqu’ au port israélien d’Haïfa. »

L’intérêt d’Israël pour le pétrole de Kirkuk, et par conséquent pour les Kurdes irakiens, n’est pas seulement apparent dans les profits économiques, mais va bien au-delà. Seymour M Hersh écrit dans « The New Yorker » daté du 21 juin 2004 : « le gouvernement du premier ministre Ariel Sharon a décidé... de réduire au minimum les dommages que la guerre pouvait causer à la position stratégique d’Israël en renforçant ses relations de longue date avec les Kurdes irakiens et en construisant une présence significative sur le terrain dans la région semi-autonome du Kurdistan... Les services d’espionnage et les militaires israéliens sont maintenant tranquillement au travail au Kurdistan, fournissant une formation aux unités Kurdes de commando et, ce qui est le plus important aux yeux d’Israël, menant à partir de là des opérations secrètes à l’intérieur des régions Kurdes de l’Iran et de la Syrie. »

Peut-être Talabani est-il président de l’Irak, mais il est également le fondateur et le sécrétaire général du principal parti politique kurde, l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK). Sa revendication d’une souveraineté politique kurde traverse une période de cinq décennies. Ainsi, il est difficile de croire que ce chef influent n’était pas au courant de la présence et de l’intervention d’Israël au nord de l’Irak. Doit un comprendre la poignée de main d’Athènes comme un signe publique de reconnaissance et d’approbation de ce rôle ?

Suggérer que la poignée de main Barak-Talabani ait été « historique » est absolument non fondé, sinon une preuve d’ignorance. Ce qui mérite un examen minutieux est de trouver pourquoi les gouvernements de Tel Aviv et de la zone verte [à Bagdad] ont décidé de faire monter d’un cran leurs gestes de « bonne volonté » allant de 2003 jusqu’à une poignée de main publique. Est-ce un ballon d’essai ou y a-t-il un accord public encore « plus historique » à venir ?

(*) Ramzy Baroud est l’auteur de « The Second palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com »

Du même auteur :

- Sur l’humiliation et la mort des enfants dans Gaza
- Légaliser l’occupation : la dernière combine de Bush en Irak
- La fin du « chaos créatif » ?
- 60 ans de négation

15 juillet 2008 - Transmis par l’auteur
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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