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« Cartooning for Peace », arme de dérision massive

jeudi 3 juillet 2008 - 07h:06

Marie Medina - BabelMed

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"On s’est dit que si un dessin pouvait autant déstabiliser la planète, pourquoi ne pas faire d’autres dessins qui apaiseraient ?" raconte le dessinateur algérien Dilem...

Après les violentes manifestations qui avaient accueilli la publication des caricatures de Mahomet, le dessinateur français Plantu avait réuni des collègues du monde entier. L’idée : décréter une "trêve des blasphèmes" sans pour autant se priver de croquer toutes les formes d’intolérance. Inaugurée à l’automne 2006 à New York, l’exposition "Cartooning for Peace" a fait le tour des capitales européennes avant d’atteindre Jérusalem, Bethléem et Ramallah (Cisjordanie) ainsi qu’Holon (Israël).

"Il faut surtout continuer à faire des dessins qui énervent", plaide Plantu, en ajoutant qu’il faut aussi "savoir s’arrêter". Le dessinateur du Monde suggère ainsi d’épargner tout ce qui est sacré, pour n’attaquer que les intolérances humaines. "Quand il y a un rabbin qui déconne, on se le fait. Quand le pape dit des horreurs sur les homosexuels, je ne vois pas pourquoi on s’en priverait". Dans cette même veine, Plantu a croqué un islamiste faisant irruption dans l’atelier de Léonard de Vinci. L’intrus découvre, choqué, un tableau d’homme barbu. "Je te dis que c’est un autoportrait ! Lâche-moi un peu, Mouloud !" lui rétorque alors le maître, effectivement très ressemblant au visage sur la toile.

Les caricatures de Mahomet publiées en septembre 2005 par le quotidien danois "Jyllands-Posten", et reprises ensuite par d’autres journaux européens, ont provoqué dans le monde musulman des manifestations qui se sont soldées par la mort de dizaines de personnes.

"On s’est dit que si un dessin pouvait autant déstabiliser la planète, pourquoi ne pas faire d’autres dessins qui apaiseraient ?" raconte le dessinateur algérien Dilem. Il critique à sa façon les réactions outragées des religieux. Dans l’un de ses dessins, il montre un barbu qui feuillette un journal, impassible devant des photos de tortures d’Abou Ghraïb : "Bof ! Tant que ce n’est pas des caricatures", lâche le personnage, placide.

L’exposition "Cartooning for Peace" s’est déclinée en diverses versions selon les lieux (Paris, Bruxelles, Rome). Pour son étape au Proche-Orient, elle a rassemblé plus d’illustrateurs israéliens et palestiniens qu’auparavant. Plantu observe amusé que certains dessins peuvent être aussi bien attribués aux uns qu’aux autres.

Le mur de séparation, la feuille de route, la situation humanitaire dans la Bande de Gaza. Tous s’attaquent aux mêmes sujets, avec la même dose de vitriol.

Le Palestinien Baha Boukhari dessine un carrefour avec un barrage routier israélien spécial. Quatre barrières bloquent les quatre routes. Le titre ? Road Map (feuille de route). Son ami, l’Israélien Michel Kichka, dresse un portrait avant/après d’Ismaïl Haniyeh. Unique différence entre les deux dessins : le bandeau vert autour du front s’est transformé en cravate. Une façon d’épingler la tentative du Hamas de gagner en respectabilitré.

L’accrochage comprend aussi des portraits - peu flatteurs - d’Ariel Sharon, Ehoud Olmert, Condoleezza Rice, George W. Bush, Bachar el-Assad, Hassan Nasrallah,... Il y a cependant un grand absent : le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. "Les Palestiniens n’ont pas l’habitude de faire des caricatures de leur propre gouvernement", remarque l’Israélien Shay Charka. Or, "la démocratie l’exige. C’est le principal rôle d’un caricaturiste dans une démocratie".

"Pour un Palestinien, c’est toujours beaucoup plus difficile", note également Kichka. Il se souvient qu’à l’époque de Yasser Arafat, les Palestiniens ne pouvaient pas critiquer le raïs car il incarnait à lui seul la lutte de tout un peuple.

Les caricatures publiées actuellement en Cisjordanie ne critiquent pas davantage son successeur Abou Mazen et le gouvernement du Fatah. Soit elles fustigent le Hamas, au pouvoir dans la Bande de Gaza. Soit elles déplorent les affrontements Fatah/Hamas, en soulignant que le peuple palestinien est le véritable perdant de cette lutte fratricide.

Pour leur part, les caricaturistes israéliens de "Cartooning for Peace" (Daniella London-Dekel, Avi Katz, Uri Fink, Kichka, Charka) n’y vont pas avec le dos de la cuiller lorsqu’il s’agit de taper sur leurs dirigeants. Charka espère que les dessinateurs palestiniens oseront imiter leur exemple.

"On peut dessiner des choses qui parfois ne peuvent pas se dire", souligne Kichka, en référence à quelques coups de crayon tracés par Yasser Arafat en 1991. A l’époque, le chef de l’OLP ne pouvait pas reconnaître explicitement l’Etat hébreu. Cependant, lors d’une rencontre à Tunis avec Plantu, il a tracé un drapeau israélien à côté d’un drapeau palestinien. Lors de la présentation de l’exposition à Bethléem, Plantu a diffusé une vidéo de ce moment qui lui a fait comprendre qu’on pouvait "dessiner l’avenir". "Ensemble, nous pouvons dessiner l’avenir du Proche-Orient", a-t-il assuré.

En attendant, ils ont ensemble tagué le mur de séparation. C’était lors du trajet entre Jérusalem et Bethléem - où certains dessinateurs israéliens n’avaient pas pu se rendre depuis des années (les ressortissants de l’Etat hébreu ont besoin d’une autorisation). En route pour l’exposition, le joyeux groupe s’est arrêté près de la muraille de béton qui enserre la Cisjordanie. Plantu et trois de ses collègues ont sorti leurs feutres. Le sujet de tant de leurs dessins en est donc devenu le support. Le Japonais No-rio a ensuite confié sa joie d’avoir pu dessiner sur le mur. Son seul regret : "je n’ai pas eu le temps de faire pipi" dessus.

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