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Gaza : Mogadiscio ou Dubaï ?

lundi 16 juin 2008 - 05h:59

Pepe Escobar - Asia Times Online

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Le candidat démocrate à la présidentielle, le Sénateur Barack Obama, s’est rendu à la conférence de l’AIPAC [le lobby d’Israël aux Etats-Unis], qui se tenait la semaine dernière à Washington. Il y a déclaré, sans aucune ambiguïté, que Jérusalem devait être la capitale "entière" d’Israël. L’auditorium plein à craquer a explosé de joie. L’opinion publique dans le monde arabe - où il y a une énorme bienveillance envers Obama - a été consternée, voire scandalisée.

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Image de Gaza sous blocus

Mais ensuite, ce fut Condoleeza Rice, la Secrétaire d’Etat, qui a peut-être lancé la véritable bombe à l’AIPAC. Adoptant exactement le ton du candidat républicain John McCain, et comme l’on pouvait s’y attendre, elle a descendu en flammes l’Iran, le Hezbollah chiite au Liban et le Hamas en Palestine. Ensuite, au beau milieu de son discours, elle a déclaré : "La progression de la violence au Moyen-Orient rend plus urgent, au minimum, l’établissement d’un Etat Palestinien.

"L’occasion actuelle n’est en aucun cas parfaite, mais elle est meilleure que toutes les années passées et nous devons la saisir. Les Israéliens ont attendu trop longtemps la sécurité qu’ils désirent et qu’ils méritent, et les Palestiniens ont attendu trop longtemps, avec des humiliations quotidiennes, la dignité d’un Etat palestinien".

Il faut beaucoup de capital politique pour dire une chose pareille devant les supporters fanatiques de l’AIPAC, même si l’on est secrétaire d’Etat. Comme cela était à prévoir, après ces propos, l’assemblée des puissants a été plongée dans un silence de mort.

Arrive le goulag

Qu’en est-il du peuple dépossédé de sa terre qui subit ces humiliations quotidiennes et auxquels Rice s’est référée ? Elle n’est pas loin de la vérité, mais qu’en penserait-il ?

La Bande de Gaza - essentiellement un immense goulag - est aujourd’hui un endroit encore plus affreux que jamais auparavant. Israël y a instauré un embargo presque total sur les approvisionnements en carburant. Une fois encore, il s’agit d’une punition collective énergique - non seulement contre le Hamas, qui contrôle Gaza depuis un an, mais contre la population civile d’1,5 millions de personnes désespérées.

Pendant cette période, Gaza a été bombardée et affamée. Ce qui reste de terre productive a été ravagée au bulldozer par l’armée israélienne. Si la population de Gaza subit tous ces harassements, c’est essentiellement parce qu’elle a choisi d’être dirigée par le Hamas lors de l’élection démocratique de janvier 2006. Et c’est quelque chose que Washington et Jérusalem ne peuvent tout simplement pas accepter.

Israël était juste sur le point d’envahir Gaza - à nouveau. Le Premier ministre Ehoud Olmert - se débattant contre un scandale de corruption - aurait adoré cette tactique de diversion. Rentrant à Jérusalem après son voyage à Washington - où il a participé à la réunion de l’AIPAC et où il a eu un entretien en face-à-face avec le Président George W Bush, essayant de faire accepter que les renseignements israéliens sur l’Iran sont mieux informés que les données du NIE [National Intelligence Estimate] - Olmert a dit : "Tel que cela se présente, nous sommes plus proches d’une opération militaire à Gaza que nous ne le sommes de tout autre type d’arrangement [diplomatique]".

L’ancien Premier ministre Ehoud Barak, l’actuel ministre israélien de la défense, est d’accord. Et Barak n’est pas tout à fait aussi belliqueux qu’Olmert. Barak est le personnage-clé de la Knesset (le parlement) favorable à une trêve avec le Hamas, en cours de négociation via l’Egypte. En voici les termes : si Israël cesse ses raids militaires à l’intérieur de Gaza et met fin au siège actuel, le Hamas arrêtera ses tirs de roquettes rudimentaires sur le territoire israélien. Ces attaques à la roquette contre Israël restent le casus belli fondamental pour une invasion israélienne de Gaza.

Si Israël se retient d’envahir Gaza - du moins pour l’instant - ce n’est pas à cause de quelques préoccupations humanitaires floues. Si les Israéliens n’envahissent pas Gaza, c’est parce qu’ils craignent de subir des pertes - et, par-dessus tout, c’est parce qu’ils n’ont pas de stratégie de sortie. Cette invasion pourrait durer jusqu’à six mois - selon des experts militaires israéliens. Et ensuite ?

Quant à une trêve, elle est vouée à l’échec. Selon les sondages, c’est ainsi que les Israéliens le voient. Et pourtant, cette invasion sera inévitable - une fois encore. Et ce sera Israël contre un Hamas équipé de meilleures armes.

Uval Diskin, le chef du Shin Bet, le service de sûreté israélien, est convaincu que le Hamas deviendra une menace stratégique pour Israël. Le Général de division Amos Yadlin, le chef des services de renseignements israéliens, est contre tout cessez-le-feu. Il pense que cela donnerait du pouvoir au Hamas, non seulement sur le plan militaire, mais surtout politiquement.

La logique, ici, est la même vieille règle impériale de diviser pour régner. Israël et les Etats-Unis se permettent de parler au dirigeant palestinien Mahmoud Abbas - universellement considéré par les élites israéliennes comme un "partenaire fiable". Mais en même temps, Israël et les Etats-Unis ne veulent pas qu’Abbas parle au Hamas - même s’ils sont tous palestiniens.

Arrive le sauveur

Tandis que Rice s’accroche désespérément au rêve d’un plan de paix - peut-être le dernier espoir de sauver la réputation épouvantable de l’administration Bush -, les élites israéliennes paraissent toujours scotchées sur le mode de guerre. Prenez Ephraïm Sneh, un homme que de nombreux Israéliens - et de Juifs américains - pensent qu’il devrait être le prochain Premier ministre. Sneh n’est pas une colombe, mais il n’est pas non plus un fanatique. Il est un ancien ministre de la défense (1999-2001), général à la retraite et un membre Travailliste hautement influent de la Knesset. Sneh s’est activement vendu lors de la conférence de l’AIPAC comme ayant la solution ultime pour Gaza.

Selon Sneh, "Le problème de Gaza" est qu’il y a 1 million de personnes qui vivent dans la pauvreté et qui sont à présent sans emploi et dépourvues d’espoir. Et si vous voulez déraciner le Hamas - quelque chose qu’Israël doit faire un jour - la façon de le faire n’est pas seulement par l’option militaire, qui casserait la force militaire du Hamas, mais en permettant au gouvernement légitime du [Premier ministre] Salam [Fayyad][1] de rétablir son autorité et, immédiatement après cela, s’embarquer dans un plan de développement économique pour construire, par l’intermédiaire des entreprises privées, 100.000 emplois à Gaza".

Sneh a une formule astucieuse pour vendre son ensemble de mesures : "Gaza est à présent comme Mogadiscio [la capitale de la Somalie]. Elle pourrait être comme Dubaï [la capitale des Emirats Arabes Unis]. Ce dont vous avez besoin est de déraciner les terroristes et de permettre aux forces démocratiques d’agir."

Le problème de Sneh, de toutes ses propositions modérées, est le problème des élites israéliennes : le Hamas est considéré comme rien d’autre qu’une bande de "terroristes" - tandis que son attraction populaire est totalement niée.

Les propos de Sneh pourraient même être ceux de quelques autres détracteurs (arabes) qui diabolisent le Hamas, comme al-Arabiya TV, le bras médiatique de fait de la Maison des Saoud, dont la culture du bizarre inclut un reportage intitulé "Israël préserve l’option d’une stabilisation pacifique à Gaza".

Selon Sneh, l’attraction populaire du Hamas à Gaza est "un autre cliché non-fondé. Le Hamas n’est pas populaire à Gaza. Le Hamas contrôle Gaza par la brutalité - en effet, c’est ainsi qu’ils ont pris le pouvoir à Gaza". C’est faux : le Hamas a remporté une élection libre et honnête le 25 janvier 2006, sous la surveillance d’observateurs internationaux. Et le Hamas est populaire grâce à son travail d’aide sociale de grande envergure et à son absence de corruption, contrairement au Fatah d’Abbas.

Soit dit en passant, Sneh connaît bien Abbas. Ils se rencontrent "relativement fréquemment". Abbas est considéré comme "un homme de paix" qui "représente la majorité du peuple palestinien, qui veut la normalité et qui sait que la terreur est contre-productive". L’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon avait l’habitude de dire la même chose d’Abbas.

Sneh conteste totalement le résultat de l’élection à Gaza : "Ils n’avaient pas la majorité, mais ils se sont servis du système de circonscriptions afin de s’emparer de plus de sièges au parlement. Même lorsqu’ils étaient au maximum de leur influence, ils ne représentaient que 43% de toute la population palestinienne. Maintenant, ils sont moins populaires qu’ils ne l’étaient par le passé".

Les politiciens des démocraties occidentales ne peuvent que rêver d’avoir 43% des votes. Les présidents étasuniens sont élus par moins d’un quart de la population totale. En janvier 2006, le Hamas a remporté 75 des 118 sièges à pourvoir.

Sneh insiste sur le fait que le Hamas "a prouvé qu’ils ne peuvent pas résoudre le problème général de Gaza. Ils ne peuvent pas construire la stabilité, ils ne peuvent pas construire la prospérité, ils ne peuvent pas nourrir les enfants de Gaza avec des balles". Il pourrait ajouter que personne ne peut construire quoi que soit dans un goulag sous embargo total.

Donc, Gaza peut devenir le nouveau Dubaï - mais le Hamas doit d’abord être écrasé. Tous ceux qui connaissent bien Gaza savent que cette proposition schizophrène ne passera jamais - à moins que 1,5 millions de personnes soient exterminées. Il semble que "Mogadiscio" est là pour durer.

Mais tout le drame à Gaza va bien au-delà du Hamas. Il est directement lié au Grand Israël et à la confrontation entre les Etats-Unis et l’Iran - et à la campagne incessante de diabolisation de l’Iran, à la fois en Israël et aux Etats-Unis.

La République Islamique soutient activement la Syrie, le Hezbollah et le Hamas. Bien que cela ne soit jamais déclaré en public, pulvériser le Hamas et écraser l’Iran seraient essentiels pour l’aile sioniste et militaire des élites israéliennes, afin de faire avancer leur programme plus vaste d’Eretz Israël. Ce grand Israël inclurait la plus grande partie, voire l’ensemble, de la Cisjordanie, de Gaza, du Plateau du Golan et le sud du Liban jusqu’au fleuve Litani, une source d’eau extrêmement précieuse et une raison essentielle de l’attaque israélienne contre le Sud-Liban dans la guerre de 2006, contrecarrée par le Hezbollah.

S’agit-il de Dubaï ou de Mogadiscio ? Bien au-delà de tout ça, il ne s’agit que de l’Iran et l’eau.
(Copyright 2008 Asia Times Online Ltd, traduction JFG-QuestionsCritiques. All rights reserved.)

Note :

[1] [NdT] En fait, Salam Fayyad a été nommé ministre de l’Autorité Nationale Palestinienne (ANP) par Mahmoud Abbas, le 15 juin 2007, en tant que mesure d’urgence. Celui-ci n’a pas été confirmé par le Conseil Législatif Palestinien (le parlement de l’Autorité Palestinienne).

Cette nomination a été contestée comme étant illégale, parce que si la Loi Fondamentale palestinienne permet au Président de l’ANP de démettre un Premier ministre en exercice, la nomination d’un remplaçant nécessite l’approbation du CLP.

La loi stipule qu’après la destitution du Premier ministre (dans ce cas, Ismail Haniyeh), le Premier ministre sortant conduit un gouvernement d’intérim. L’actuel CLP, dans lequel le Hamas détient une majorité de sièges, n’a pas approuvé la nomination de Fayyad ou la constitution de son nouveau gouvernement.

La nomination de Fayyad n’a jamais été soumise au parlement ou approuvée par le CLP. Haniyeh a dirigé en tant que Premier ministre depuis Gaza et il est reconnu par un grand nombre de Palestiniens comme le Premier ministre légitime par intérim de l’ANP.

Anis al-Qasem, le juriste constitutionnel palestinien qui a rédigé le projet de la Loi Fondamentale, fait partie de ceux qui ont publiquement déclaré la nomination de Fayyad comme étant illégale.(Source : Wikipedia).

15 juin 2008 - Asia Times Online - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.atimes.com/atimes/Middle...
Traduction : J.F Goulon - Questions Critiques


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