Chroniques de Ramallah - Art contemporain
mardi 3 juin 2008 - 20h:40
Gilles Kraemer - Libération
Je ne pesterai plus contre les chauffards palestiniens, conducteurs chaotiques, même s’ils remontent les sens interdits sans vergogne, roulent toujours au beau milieu de la route, klaxonnent dès qu’un feu passe au vert ou s’arrêtent n’importe où et n’importe quand sans la moindre considération pour leur clignotant.
Je ne pesterai plus depuis que j’ai vu le court-métrage sur une installation de Vera Tamari, « Going for a ride ? », et que j’ai compris.
Vera est une grande dame, céramiste et professeur des Beaux Arts à l’université de Birzeit. Dans la succession des opérations militaires israéliennes « Rempart » et « Passage déterminé », durant lesquelles Ramallah a été réoccupée et soumise à des couvre-feux destructeurs de mars jusqu’à juin et juillet 2002, elle profite d’une accalmie pour élaborer avec ses étudiants une installation d’une audace et d’une force incroyables.
Les chars israéliens s’étant appliqués à - littéralement - rouler sur les voitures garées le long des rues (ils en auraient ainsi écrasé quelque 700, dont des ambulances), elle a l’idée de tracer une route bitumée vers nulle part, au pied d’une colonie qui domine sur les hauteurs, et d’y disposer une file de voitures à demi broyées mais astiquées pour l’occasion, et paraissant sur la route des vacances.
Les propriétaires des autos écrasées viennent alors en famille les revoir et entamer le deuil de cet objet dans une étrange atmosphère de musée en plein air. Pour qui douterait de la force de l’art contemporain, il suffit de savoir que les soldats israéliens, réoccupant la ville en juillet 2002 et préoccupés par cette étrange vision, sont venus méthodiquement détruire l’installation et écraser une deuxième fois les voitures qu’ils avaient déjà « césarisées » précédemment.
Sans emphase ni misérabilisme, Vera explique simplement toute la symbolique d’une route sans fin dans un pays où elles se terminent toutes par un mur ou un check-point infranchissables pour certains, toute la symbolique d’une voiture, objet intime, témoin des mariages comme de tous les mouvements de la vie quotidienne, mais aussi lieu d’exercice des frustrations de la liberté.
J’ai compris et je ne pesterai plus contre les chauffards de Palestine. Mais ce sera dur.
(Rédigé le 4 décembre 2004)
Prix : 15 ?
ISBN : 978-2-914214-41-4
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Livre en librairies en septembre
mais disponible dès maintenant chez l’éditeur.
28 mai 2008 - Texte et photo de Gilles Kraemer - Libération Voyages - Vous pouvez consulter cet article à :
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