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Se souvenir de 1948 et regarder l’avenir

samedi 17 mai 2008 - 06h:30

Ali Abunimah

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Nous sommes à un tournant important, où deux choses se produisent en même temps.

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Jamila Merhi, à 26 ans, a été chassée en 1948 de la maison de sa famille à Akbara, un village près de Safad, Palestine. Aujourd’hui, à 86 ans, elle vit dans le camp de réfugiés de Shatila, à Beyrouth, et détient toujours une copie de son acte de propriété de la terre de sa famille en Palestine (Mattew Cassel).




Ce mois-ci, Israël marque le 60è anniversaire de sa fondation. Mais alors qu’ont lieu ces festivités, avec la venue de personnalités et d’hommes politiques de différents pays, il y a un profond malaise : Israël a un squelette dans son placard, il essaye de le cacher et s’inquiète à cause d’un avenir incertain qui conduit beaucoup d’Israéliens à se demander si l’Etat célébrera son 80è anniversaire.

L’Israël officiel se maintient dans une négation absolue du fait que la naissance qu’il célèbre est inextricablement liée à la quasi destruction d’une culture et d’une société palestiniennes pleines de vie qui avaient existé jusque-là. Ce dilemme est bien connu des Etats colonialistes. Les Etats-Unis, où je vis, ont fait le constat que même si les siècles passent, une nation n’est pas libérée d’une confrontation avec les crimes commis à sa création.

Comme l’historien israélien et sioniste convaincu, Benny Morris, l’a déclaré en 2004, « Un Etat juif n’aurait pu voir le jour sans déraciner 700 000 Palestiniens. Par conséquent, il était nécessaire de les déraciner. » Il ajoute : « Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient un nettoyage ethnique. »

Mais quand quelqu’un n’est pas prêt à justifier publiquement un nettoyage ethnique, il n’y a que deux options possibles : ou nier l’histoire et se réfugier dans une histoire redessinée peignant les Israéliens comme de braves pionniers, divinement inspirés, dans un désert vide de population indigène et assaillis par des ennemis extérieurs, ou bien, en reconnaître les conséquences et assurer l’énorme réparation indispensable pour amener la justice et à la paix.

Juste avant la fondation d’Israël, les Palestiniens de toutes religions représentaient les deux tiers de la population implantée en Palestine historique, alors que les immigrés juifs, qui arrivaient d’Europe, représentaient la plus grande partie du dernier tiers.

Parmi ces gens qui furent arrachés à leurs origines, il y a eu ma mère, alors âgée de 9 ans. Elle vit aujourd’hui à Amman et se souvient d’une enfance heureuse dans son quartier natal de Lifta, à Jérusalem. Mon grand-père possédait plusieurs immeubles et beaucoup de ses locataires étaient juifs, dont la famille qui louait l’appartement au rez-de-chaussée de sa maison.

Au début de l’année 1948, avant que toutes les armées des Etats arabes ne soient impliquées - elle et toute sa famille, en fait l’ensemble des habitants de plusieurs quartiers de l’ouest de Jérusalem, ont été chassés par les milices sionistes. Le 7 février de cette année-là, le Premier ministre à la fondation d’Israël, David Ben Gourion, a déclaré aux membres de son parti : « Quand on entre à Jérusalem, par Lifta et Romema, et qu’on traverse Mahaneh Yehuda, King George Street et Mea Shearim, il n’y a pas d’étrangers (c’est-à-dire, pas d’Arabes). 100% de Juifs. » C’est ainsi que les Palestiniens sont devenus des « étrangers » sur leur terre natale.

Depuis lors, des millions de réfugiés et leurs descendants, qui ont perdu leur foyer, leur ferme, leur verger, leur bétail, leur usine, leur magasin, leurs outils, leur automobile, leur compte en banque, leurs ?uvres d’art, leurs polices d’assurances, leur mobilier et tout ce qu’ils pouvaient posséder encore, vivent en exil, beaucoup dans des camps de réfugiés sordides gardés par Israël et les Etats arabes. Plus de 80% des Palestiniens actuellement assiégés et réduits à la famine dans la bande de Gaza sont des réfugiés des cités qui sont maintenant en Israël. Mais ce dont les Palestiniens ne se déferont jamais, et ceci nous le fêtons, c’est notre attachement à notre patrie et notre détermination à voir la justice rendue.

Les Palestiniens, partout dans le monde, commémorent le début de notre tragédie qui se poursuit encore aujourd’hui, mais nous regardons aussi vers l’avenir. Nous sommes à un tournant important, où deux choses se produisent en même temps. D’abord, en dépit des déclarations du soutien international, la perspective d’une solution à deux Etats a disparu alors que les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza sont mis en cage, emmurés dans des réserves par des colonies israéliennes qui s’étendent et par les routes réservées aux Juifs, une situation qui ressemble aux bantoustans de l’Afrique du Sud de l’apartheid.

Ensuite, en dépit des efforts d’Israël pour maintenir les Palestiniens sous contrôle, la population palestinienne vivant sous le joug israélien est près de dépasser les 5 millions de Juifs israéliens. Aujourd’hui, il y a 3,5 millions de Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et encore 1,5 million théoriquement citoyens d’Israël. Quelquefois appelés « les Arabes israéliens », les Palestiniens en Israël sont de plus en plus rétifs à leur statut de seconde zone dans un Etat juif qui les considère comme une cinquième colonne hostile. Pendant que les Palestiniens en Israël appellent à l’égalité des droits dans un Etat de tous ses citoyens, certains politiciens juifs israéliens les menacent d’expulsion vers la Cisjordanie, la bande de Gaza ou au-delà.

Les projections officielles montrent que d’ici 2025, les Palestiniens, en raison de leur taux de natalité beaucoup plus élevé, dépasseront en nombre les Juifs israéliens dans le pays de 2 millions et même si quelques-uns dans la communauté internationale ont pris conscience de cette réalité, une séparation de type chirurgicale entre ces populations est impossible.

Des dirigeants israéliens comprennent bien le problème ; le Premier ministre Ehud Olmert a déclaré en novembre dernier : « S’il arrive que la solution à deux Etats échoue et que nous ayons à faire face à un combat du style Afrique du Sud pour l’égalité du droit de vote, alors, dès que cela sera, l’Etat d’Israël est fini. »

Ce combat est déjà commencé alors que de plus en plus de Palestiniens, reconnaissant que leur Etat n’est plus réalisable, débattent de la solution à un Etat unique et l’approuvent, un Etat offrant aux Israéliens et aux Palestiniens les mêmes droits dans un territoire qu’ils partagent. L’année dernière, j’ai fait partie d’un groupe de Palestiniens, Israéliens et autres, qui ont publié la Déclaration pour un Etat unique. Inspirés en partie par la Charte de la Liberté d’Afrique du Sud, nous avons posé les principes d’un avenir commun dans un Etat démocratique unique. La plupart des Israéliens, sans surprise, reculent devant les comparaisons faites avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. La bonne nouvelle pour eux est que la fin de l’apartheid n’y a pas entraîné la catastrophe que beaucoup redoutaient. Au contraire, ce fut une nouvelle aube pour toute la population du pays.


Co-fondateur de The Electronic Intifada, Ali Abunimah est l’auteur de One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse (Metropolitan Books, 2006).

Du même auteur :

- "Un ministre israélien menace d’“holocauste” mais l’opinion veut un cessez-le-feu"
- "Quelle sera la prochaine étape logique pour Israël ?"
- "La démocratie : une menace existentielle pour Israël ?"

13 mai 2008 - The Electronic Intifada - traduction : JPP


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