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Gaza condamnée à la mort lente

vendredi 16 mai 2008 - 23h:15

Saleh Al-Naami

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Le refus d’Israël d’autoriser l’entrée d’anesthésiant à base de protoxyde d’azote signifie concrètement la peine de mort pour des centaines de patients qui ont besoin d’opérations chirurgicales, écrit Saleh Al-Naami.

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Muhammed Khader, assassiné par les israéliens le mercredi14 mai, est pleuré par ses proches - Photo : Khalil Hamra/AP

Armé d’une hache affûtée, Jihad Abu Hamam va en rampant, environ une fois par semaine, dans les bois à la frontière-est du village d’Al-Qarara au sud de la bande de Gaza. Il y coupe des branches d’arbre et les ramène à la maison deux kilomètres plus loin. Son épouse Jamila utilise chaque jour ces branches comme combustible pour faire cuire leur nourriture depuis que les réserves de la famille en gaz domestique se sont épuisées il y a un mois après la décision israélienne d’interdire son importation dans la bande de Gaza.

« Mon épouse et moi nous sommes mis d’accord pour allumer un feu une fois par jour pour la cuisson de sorte que le bois de chauffage dure aussi longtemps que possible, » explique Abu Hamam à [Al-Ahram Weekly. Aller dans les bois une fois par semaine représente un risque important, admet-il, car ils sont tout proches des positions de l’armée israélienne et les soldats n’hésitent pas à ouvrir le feu et à tuer les Palestiniens qu’ils voient à proximité. Beaucoup de Palestiniens ont été tués pour être entrés dans ce secteur boisé.

Abu Hamam n’est pas la seule personne qui s’aventure dans les bois, les champs d’oliviers et les jardins d’orangers pour ramasser du bois de chauffage. Beaucoup de Palestiniens ont commencé à rechercher du bois suite à la pénurie de gaz domestique. Kanaan Abid, directeur adjoint de l’agence palestinienne de l’énergie a expliqué au Weekly que les quantités de gaz récemment autorisées par Israël dans la bande de Gaza ont été minuscules, ne satisfaisant pas plus de 10% des besoins de la population. Abid précise que le bois de chauffage ne peut pas servir d’alternative à l’utilisation du gaz dans un secteur se limitant à 360 kilomètres carrés et avec une population de 1 million et demi de personnes.

Pourtant la collecte du bois de chauffage n’est pas la seule illustration d’un retour à une vie primitive dans la bande de Gaza. En raison de la décision d’Israël de bloquer l’importation de carburant, plus de 90% des voitures dans Gaza ne roulent pas, ce qui oblige les personnes à parcourir de longues distances à pied. Adel Selasil, âgé de 42 ans et éleveur de moutons dans le village d’Al-Qarara, ne peut pas se résoudre à manquer l’occasion d’être présent au marché des moutons qui se tient chaque mardi matin à l’est de la ville de Deir Al-Balah. Par conséquent il est forcé de parcourir à pied une distance de sept kilomètres entre sa maison et le marché. Beaucoup de négociants et d’acheteurs arrivent au marché de la même manière.

Ghassan Ibrahim vit dans le camp de réfugiés d’Al-Maghazi au centre de la bande de Gaza et travaille comme professeur à Beit Lahiya, loin au nord. Il a déclaré au Weekly qu’il est parfois obligé de contacter le directeur d’école et de faire excuser son absence parce qu’il ne peut pas trouver un véhicule pour le transporter jusqu’à son travail. « Parfois je suis forcé de prendre trois moyens de transport différents pour atteindre l’école, » dit-il encore. Mais Ibrahim raconte qu’il a découvert un autre moyen de transport qui lui permet de se déplacer : l’utilisation de chariots tirés par des ânes et des mules. Il dit que lui et sept de ses collègues de l’école doivent emprunter quotidiennement une charette tiré par l’âne de l’école allant de l’établissement scolaire à la route principale qui relie la bande de Gaza du nord au sud, dans l’espoir de trouver un véhicule qui les ramènerait chez eux.

L’apparition de ce type de chariots est un signe supplémentaire d’un retour à la vie primitive dans Gaza.

Quiconque se tenant à l’entrée au camp d’Al-Maghazi tôt le matin verra d’immenses caravanes de chariots tirés par des ânes arrivant de toutes les directions et transportant les marchandises des vendeurs de légumes. Les chariots tirés par des ânes sont aussi devenus dans beaucoup de cas le premier moyen de transporter les blessés et les morts à la suite des incursions israéliennes puisque 70% des ambulances ont cessé de rouler à cause du manque de carburant. Même lorsqu’une ambulance est disponible dans un secteur dans lequel il y a un certain nombre de blessés et de tués, ceux qui sont identifiés comme morts sont alors transportés sur des chariots tandis que blessés sont emmenés en ambulance dans l’espoir qu’ils soient soignés aussi rapidement que possible. Hassan Khalaf, le secrétaire d’État de la Santé dans le gouvernement d’Haniyeh, témoigne que le manque de carburant rend impossible la disponibilité des ambulances vers tous les endroits de Gaza.

La crise dûe au siège a forcé les Palestiniens à inventer d’autres solutions également ingénieuses. Les chauffeurs de taxi qui ont encore un peu de carburant se sont rendus compte que s’ils le mélangeaient à de l’huile de sésame, cela permettait de rouler sur de plus longues distances. Salem Hamad, un chauffeur de taxi qui procède ainsi, dit au Weekly que si du carburant sans plomb est mélangé à de l’huile de cuisine, cinq litres de carburant sont suffisants pour aller de la ville de Gaza au centre de la bande de Gaza, tandis qu’un véhicule a besoin de 10 litres de carburant s’il n’est pas mélangé à cette l’huile de cuisine.

Mais les voitures qui emploient de l’huile de cuisine produisent des odeurs nocives. Majid Ibrahim, maître de conférences à l’université islamique, ne peut pas supporter la terrible odeur émise par le taxi qui le transporte depuis le centre du territoire jusqu’au sud, à Khan Yunis où il travaille. Il doit couvrir son nez avec sa main et ses vêtements gardent ensuite l’odeur infecte.

Suleiman Al-Awawdeh, qui possède un atelier de réparation de voitures, a indiqué au Weeekly que quelques conducteurs ont également cessé d’employer le gaz sans plomb pour rouler à cause de la pénurie et des coûts prohibitifs. Il explique que quelques conducteurs mélangent du kérosène et de l’huile de sésame, précisant que les voitures ne peuvent pas rouler uniquement au kérosène. Il ajoute que dans tous les cas l’utilisation d’huile de sésame endommage progressivement le système de démarrage et que le nombre de voitures que son atelier a reçu en réparation a augmenté en raison de l’utilisation de cette huile.

Un autre signe du retour à une vie plus démunie à cause du blocus est l’apparition en grand nombre d’ateliers de réparation de chaussures. En raison du siège, les chaussures n’arrivent plus dans la bande de Gaza. Saleh Haboub, propriétaire d’une cordonnerie dans la rue d’Al-Zawiya dans la ville de Gaza nous dit que le nombre de ses clients s’est multiplié plusieurs fois depuis qu’il y a le blocus. Lui et ses frères, qui possèdent d’autres ateliers de cordonnerie près du sien, travaillent du début de la matinée jusqu’au soir pour satisfaire la demande qui augmente. Maher Mehanna se tenait dans une longue file de clients attendant en dehors du magasin de Haboub et il a dit au Weekly qu’il avait fait le tour de la plupart des magasins de chaussure dans la ville mais sans trouver aucune paire de chaussures à acheter, ce qui l’obligeait à faire réparer ses vieilles chaussures. Il a ajouté en riant : « j’ai peur que si cette situation dure, je ne sois forcé à la fin d’aller pieds-nus. »

En raison de la crise, la police à Gaza a adopté une mesure qui n’avait jamais été prise par aucun service de police dans le monde. Pour soulager le poids qui repose sur le dos de la population, les véhicules de police prennent les passagers qui n’arrivent pas à trouver un autre moyen de transport. Le porte-parole du ministère de l’intérieur du gouvernement [d’Haniyeh dans Gaza], Ihab Al-Ghasin, a expliqué au Weekly que des ordres ont été donnés il y a deux semaines pour que les patrouilles de police transportent les passagers qui veulent atteindre des secteurs vers lesquels les patrouilles se dirigent, à condition que cela n’affecte pas la capacité de la patrouille de mener à bien sa mission. Ces ordres ont été appliqués d’abord au nord de la bande de Gaza et dans le governorate de Rafah, puis ils ont été généralisés pour toutes les patrouilles dans toutes les régions [du territoire assiégé]. Al-Ghasin nous apprend que la décision a été bien accueillie par la population.

Il y a pourtant beaucoup de conséquences du blocus dont les effets ne peuvent pas être atténués. Le ministère palestinien de la Santé a annoncé la cessation de toute chirurgie dans tous les hôpitaux de la bande de Gaza suite à l’épuisement du protoxyde d’azote qui est employé comme anesthésiant avant une opération. Lors des discussions avec le Weekly, Khaled Radi nous a appris que le ministère avait conservé une très faible quantité de protoxyde d’azote pour les cas d’extrême urgence.

Radi soutient que le refus d’Israël d’autoriser l’entrée du protoxyde d’azote signifie réellement la peine de mort pour des centaines de patients qui ont besoin d’opérations chirurgicales. Il explique aussi que dans le cas d’une attaque israélienne à grande échelle sur la bande de Gaza, les hôpitaux et le secteur de la santé ne pourront pas réaliser d’opérations de chirurgie pour la plupart de ceux qui seront blessés par l’armée israélienne.

Radi prévient aussi que le blocus israélien sera dramatique pour les femmes enceintes ayant besoin d’une césarienne, notant que des centaines de femmes ont besoin d’une telle opérations tous les mois. Il ajoute que le secteur de la santé est méthodiquement détruit par le blocus, la plupart des médicaments étant épuisés et Israël refusant d’autoriser l’importation des équipements médicaux essentiel ou même de permettre à des spécialistes de venir réparer les installations en place.

En conclusion, Radi indique que les vies de centaines de cancéreux, de malades cardiaques et de malades des reins sont menacées jusqu’à ce que ces malades soient autorisés à aller à l’étranger suivre le traitement dont ils ont besoin.

Du même auteur :

- Gaza : au-delà du désespoir
- Une aube nouvelle ?
- Ténèbres, famine et mort imminente
- Abattre les murs de la prison

9 mai 2008 - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2008/896...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach


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