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La marche du retour part de Jérusalem

vendredi 4 avril 2008 - 00h:01

Samah Jabr

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Israël porte atteinte à l’importance culturelle et religieuse de Jérusalem pour les musulmans... Mais nous jurons ne pas abandonner le caractère palestinien de Jérusalem.

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Aujourd’hui ce sont 12 portes qui séparent des dizaines de milliers de Palestiniens de leur quartier natal de Jérusalem.




Peut-être en raison de la complexité du moment, ma famille s’abstient d’évoquer les problèmes du passé. Par inadvertance, elle pourrait parler du poste que ma grand-mère a occupé comme gardienne à la porte Mandelbaum qui séparait Jérusalem en deux après l’occupation de 1948 ; et je sais que les noms de deux familles amies, Liftawi et Karmi, viennent du nom de leurs villages d’origine d’où elles ont été expulsées, Lifta et Ein Karem.

Je ne sais plus vraiment comment j’ai appris la suite de l’histoire : il semble que la Nakba, depuis qu’elle a eu lieu, a jeté une ombre noire sur la mémoire, le récit et l’identité de la communauté palestinienne. A Jérusalem, l’histoire n’a pas besoin d’être transmise de bouche à oreille car nous vivons les deux côtés de la médaille : cette année, alors qu’Israël fête le 60è anniversaire de son existence, les Palestiniens pleurent la 60è année de la Nakba (l’expulsion d’une grande majorité de Palestiniens, la séparation des familles, la création d’une nation de réfugiés et la destruction d’une patrie).

A Jérusalem, Israël poursuit sa subtile, constante et systématique expulsion des Palestiniens : une Nakba par petites touches. Au moyen d’un dispositif de papiers, de permis, de justifications et d’autorisations par lequel Israël décide qui peut être dans la cité et qui doit rester à l’extérieur, il cherche délibérément à étouffer toute croissance naturelle des familles palestiniennes qui vivent ici depuis des générations. Quand un homme de Jérusalem-Est a tué des étudiants Yeshiva radicaux en réponse aux massacres massifs dans Gaza, certains Israéliens ont appelé au transfert des Jérusalémites palestiniens, tels que moi et ma famille, vers la Cisjordanie, et à celui de la famille du tireur vers Gaza.

Du fait que ma tante et mes oncles, natifs de Jérusalem, étudiaient et travaillaient à l’étranger au moment de la guerre de 1967, ils ont perdu pour toujours leur droit de résidence à Jérusalem et ils ne sont même plus autorisés à venir nous rendre visite.

A cause du mur de séparation construit autour de Jérusalem, ma famille s’est brusquement retrouvée à l’extérieur des limites de la cité, selon le nouveau tracé israélien des frontières de la ville. Il lui a fallu alors trouver un endroit à l’intérieur de Jérusalem pour y vivre, et démontrer qu’elle vivait à l’intérieur de la cité en présentant des factures d’électricité et de téléphone et les relevés des impôts payés à l’Etat d’Israël.

Ma s ?ur et son époux - lui est de Bethléhem - ont eu un moment difficile où il leur a fallu préserver l’intégrité de leur famille. Ils ont sur eux en permanence leur certificat de mariage pour pouvoir le présenter aux check-points et prouver leur statut marital. Son époux détient une autorisation qui lui permet de travailler à Jérusalem de 5 h du matin à 7 h du soir : son mariage ne suffit pas pour le lui permettre ! En dehors de ces heures, il ne doit pas se trouver dans la ville, sinon il risque l’arrestation.

A ma naissance, j’ai reçu un certificat de naissance en tant que Jérusalémite. A 16 ans, on m’a remis une carte d’identité bleue de Jérusalémite qui me reconnaît comme résidente « arabe » de Jérusalem. D’après mon permis de voyage israélien, je suis résidente jordanienne d’Israël. Ce document de voyage a expiré alors que j’étudiais en France et le nouveau que j’ai obtenu à l’ambassade israélienne à Paris indique comme nationalité : non déterminée ! A chaque fois que j’allais voir ma famille, il me fallait un visa israélien. Je ne pouvais rester à l’étranger plus de trois ans sinon je perdais mon droit de résidence permanente à Jérusalem. Un été, ma responsable française a décidé de m’accompagner en Palestine. Bien qu’elle n’y soit jamais allée auparavant, elle n’a pas été obligée de demander un visa pour pouvoir venir dans mon pays.

Il y a des quantités d’histoires identiques qui ne sont jamais évoquées dans les médias. Non seulement Israël expulse les Palestiniens porteurs de passeports étrangers par exemple, mais il leur confisque leurs biens et propriétés en vertu de la loi « des absents ». En annexant les blocs de colonies illégales, Israël concentre les Palestiniens dans des ghettos sans aucune possibilité d’expansion.

Plusieurs quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, comme Ras Khamis, Al Ram, ou les camps de réfugiés de Shu’fat, se retrouvent maintenant derrière le mur de séparation. Au lieu d’une porte Mandelbaum qui sépare les familles et coupe les agriculteurs de leurs terres, aujourd’hui ce sont 12 portes qui séparent des dizaines de milliers de Palestiniens de leur quartier natal de Jérusalem et des services publics essentiels. L’armée ferme fréquemment les portes et les check-points durant les heures de pointe afin que les colons juifs puissent circuler plus aisément.

Les routes réservées aux seuls colons, telles que les nationales 60 (Naplouse-Beersheba) et 443 (Lod-colonie Gival Ze’ev), accentuant la séparation et la ghettoïsation des Palestiniens, ont été, comme pour le tramway de l’apartheid à Jérusalem, construites par deux entreprises françaises afin de relier le centre de Jérusalem aux colonies israéliennes. Les trains rouleront entre Pisgat Ze’ev et le mont Herzl, faisant de Jérusalem et de ses banlieues un groupe de plusieurs bantoustans séparés et volant les citoyens palestiniens de leurs dernières perspectives de développement urbain dans ce qu’ils espèrent être un jour la capitale de leur futur Etat.

Israël continue de porter atteinte à l’importance culturelle et religieuse de Jérusalem pour les musulmans, creusant des galeries sous les sanctuaires musulmans, construisant un musée sur le cimetière musulman, interdisant les galeries marchandes, le théâtre de Jérusalem, les parcs et autres équipements aux Palestiniens

Lors d’une conférence de presse avec la chancelière allemande Angela Merkel, et malgré la poursuite du prétendu processus de paix, le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, a annoncé qu’Israël n’arrêterait pas la construction de colonies dans Jérusalem et certaines de ses banlieues. « Il y aura des sites où nous construirons, d’autres que nous agrandirons, car ces lieux resteront dans Israël » a-t-il déclaré. « Ceci inclue, d’abord et avant tout, Jérusalem ».

Au 60è anniversaire de la Nakba, alors que nous méditons sur sa signification, nous reconnaissons aussi l’importance de Jérusalem, et nous prenons conscience que la marche du retour part de cette ville. Cette année, nous nous attardons sur le souvenir de nos anciens villages et de nos réfugiés, jurant de ne pas abandonner le caractère palestinien de Jérusalem.

Samah Jabr est médecin psychiatre palestinienne, elle vit dans Jérusalem occupée et y travaille au sein d’une clinique psychiatrique qu’elle a créée.

Elle est francophone et donne des conférences pour envisager d’autres perspectives et sortir de la situation actuelle de la Palestine.

L’un des objets politiques de son combat est un État unique pour une perspective de paix et de liberté commune. Samah est aussi chroniqueuse pour différentes publications internationales. Ses chroniques touchantes nous parlent d’une vie au quotidien en pleine occupation ; d’un regard lucide, elle nous fait partager ses réflexions en tissant des liens entre sa vie intime, son travail en milieu psychiatrique et les différents aspects politique d’une situation d’apartheid.

Ses derniers articles :

- "Franchir le mur d’acier"

- "La psychopathologie suite à emprisonnements et tortures"

- "Négation de la Nakba palestinienne : 60 ans, ça suffit !"

Transmis par l’auteur aux Amis de Jayyous. Sa version anglaise paraîtra dans le Washington Report de mai 2008. - Traduction : JPP


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