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Palestine - Israël : un ou deux Etats ?

vendredi 14 mars 2008 - 06h:01

Kathleen Christison - Counterpunch

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Neumann affirme que la solution à deux Etats « est réalisable » parce que « de nombreux Israéliens seraient prêts à l’accepter ». Voilà encore ce vieil argument : si Israël est d’accord, ça doit être bon pour les Palestiniens.

Note de "CounterPunch" : après la publication, le lundi 10 mars, des arguments de Michael Neumann contre la solution dite « un seul Etat » pour Israël et la Palestine, voici l’article de Kathy Christison qui constitue la première de trois réponses à M. Neuman. AC/JSC.

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« Israël s’opposera, par tous moyens... à un Etat palestinien réellement souverain. »




Le débat en Palestine et Israël

Dans la récente édition de CounterPunch, Michael Neumann avance des arguments solides contre un seul Etat palestino-juif comme solution au conflit Israël/Palestine. Mais il y a des failles dans son argumentation.

Neumann reproche à raison à la solution à deux Etats d’être inéquitable car elle « consolide l’usurpation sioniste de la terre palestinienne », perpétuant ainsi l’existence d’Israël en tant qu’« Etat fondé sur la suprématie raciale ». Mais il considère que l’alternative en faveur d’un seul Etat à cette solution raciste à deux Etats est purement irréaliste. Et pourquoi ? Essentiellement parce qu’il ne voit pas comment les Israéliens - ces mêmes Israéliens qu’il accuse de racisme, du vol de la terre et de la dépossession des Palestiniens - pourraient l’accepter. L’idée même, dit-il, « qu’Israël puisse reconnaître un Etat unique » est ridicule... Il n’y a absolument aucune chance pour qu’il accepte un seul Etat qui donnerait aux Palestiniens quelque chose qui n’a rien avoir avec leurs droits.

On dirait donc que c’est là le vrai problème : si Israël s’oppose à l’idée d’un Etat unique, alors, cet Etat unique devient simplement un rêve irréalisable ; plus la peine d’en parler ni, certainement, de se battre pour. En invoquant cet argument, Neumann ne fait qu’avancer l’idée, finalement, que la force fait le droit. Israël a les moyens d’imposer sa volonté et d’éviter des concessions désagréables donc, un Etat dans lequel Israël aurait à « renoncer à sa raison d’être » est impensable.

Je trouve qu’il est parfois difficile de s’y retrouver dans la logique de Neumann. Il affirme que la solution à deux Etats « est réalisable » parce que « de nombreux Israéliens seraient prêts à l’accepter ». Voilà encore ce vieil argument : si Israël est d’accord, ça doit être bon pour les Palestiniens. De plus, selon lui, une solution à deux Etats est « réalisable » parce que les colons juifs de Cisjordanie partiront de plein gré si Israël se retire d’un territoire et que ce territoire est utilisé pour un Etat palestinien souverain. En fait Neumann reconnaît, à raison, qu’on ne saurait accepter moins qu’un Etat palestinien véritable et pleinement souverain. Mais lui-même brise son propre rêve pour deux Etats en affirmant ensuite qu’Israël, « s’opposera, par tous moyens... à un Etat palestinien réellement souverain. » C’est exact. Et c’est précisément pourquoi les partisans d’un seul Etat font pression pour cette alternative.

Neumann, au contraire, voit dans l’intransigeance israélienne une raison majeure pour écarter la solution à un Etat sur l’idée que, si Israël refuse de laisser leurs droits aux Palestiniens dans un Etat séparé, ce n’est certainement pas pour renoncer à son propre statut d’Etat exclusivement juif en laissant les Palestiniens avoir les mêmes droits que les juifs au sein d’un seul Etat. C’est effectivement un argument de poids - le meilleur de l’arsenal de Neumann -, mais il ne tient aucunement compte de possibilités elles-mêmes réalisables aux yeux de nombreux analystes sérieux. Peu de monde avait prévu, par exemple, que les Sud-Africains blancs abandonneraient de plein gré leur suprématie raciale et le système d’apartheid, et qu’ils abandonneraient leur sort à une immense majorité de Noirs. Peu non plus avaient prévu l’éclatement de l’Union soviétique.

Il existe d’autres incohérences. Par exemple, pour faire valoir que la solution à deux Etats est possible puisque les colons juifs seraient prêts à quitter tout territoire dont se serait retiré Israël, Neumann prend l’exemple des colons de Gaza qui, dit-il, sont partis « en grande hâte » dès qu’Israël s’est désengagé en 2005. Pourtant, quelques paragraphes plus loin, et alors qu’il essaie de démontrer combien il serait difficile d’amener Israël à renoncer à sa judaïté, il indique que l’évacuation des colons de Gaza a pu être un problème bien plus difficile : en l’occurrence, il argue qu’il est très difficile pour Israël de renoncer à sa raison d’être quand, pour obtenir ne serait-ce que le départ des colons de Gaza, « il a fallu des milliers de morts et bien des années. » Neumann est mieux fondé dans sa seconde formulation à propos des colons de Gaza : en fait, dit-il, ils ne sont pas partis en grande hâte, il a fallu les faire partir manu militari, et avec de grosses difficultés.

Il ne sera pas si facile de faire partir la plupart des colons de Cisjordanie, même si Israël en abandonne le contrôle, comme le pense Neumann. En effet, le sort de quelque 450 000 colons installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est, de loin, le problème le plus ardu à aborder pour tout artisan de la paix. Un très grand nombre des zélotes religieux, venus dans les colonies de Cisjordanie en croyant remplir une mission divine, ne sauraient en aucun cas « partir en grande hâte », pas plus que ne l’ont fait les colons pourtant moins fanas de Gaza.

Mais le monumental problème que constituent les colons se pose aux partisans d’une solution à deux Etats tout autant qu’à ceux qui envisagent un seul Etat. (La référence à une solution à deux Etats véritables implique, comme l’indique Neumann lui-même, l’établissement d’un Etat palestinien souverain, et non pas d’un « non-Etat » amputé par le maintien de vastes ensembles de colonies israéliennes.) Neumann écarte toute possibilité que les colons et leurs colonies puissent être incorporés à un Etat unique, et il n’admet pas, semble-t-il, que laisser en place les colons équivaudrait à saper une solution à deux Etats.

Neumann exagère fréquemment les difficultés rencontrées par la mise en ?uvre d’un seul Etat et parait croire que rien, en dehors de sa conception de justice absolue, ne serait juste et acceptable. Une « solution juste », selon lui, doit réparer l’injustice faite aux Palestiniens par le sionisme. Bien, d’accord, mais inutile de faire si long pour en arriver à exiger, comme condition d’une vraie justice, que les juifs venus en Palestine en tant que sionistes, et leurs descendants, doivent s’en aller. La vraie justice exigerait aussi que les juifs israéliens quittent toutes les maisons et les biens qui appartenaient autrefois aux Palestiniens.

Avec un seul Etat, on ne va pas jusque-là ; c’est, en fait, ce qu’il y a de bien dans la solution à un Etat : elle recommande qu’il peut y avoir - en fait, qu’il doit y avoir -, une commission de la vérité et de la réconciliation, comme en Afrique du Sud, pour corriger les plus grandes injustices. Mais les partisans d’un seul Etat ne sont ni des revanchards ni des sanguinaires et ne veulent pas qu’une injustice soit commise à l’égard des juifs d’Israël. Les initiatives visant à réparer les injustices faites aux Palestiniens - notamment, pour rapatrier ceux qui souhaitent revenir, les indemniser pour leurs biens détruits ou expropriés, et s’entendre sur une réinsertion et des compensations pour les réfugiés qui choisissent de ne pas revenir en Palestine - ces initiatives représentent un travail considérable qui nécessite de prêter attention à des millions de cas individuels, pour la restitution des terres et d’énormes paiements compensatoires.

Un Etat unique ne serait pas, comme Neumann le souligne, le paradis démocratique que ses partisans souhaiteraient ; pas immédiatement certes, et peut-être jamais. « Il est notoire », dit-il, « qu’un processus démocratique ne garantit pas que prévale réellement la volonté de la majorité ; des groupes économiques dominants savent semer le trouble, diviser pour régner », et le groupe économique dominant, actuellement et pour l’avenir, est juif. Cette prémisse est indiscutable, mais si Neumann croit que ce serait différent avec une solution à deux Etats, c’est pour se donner du courage. Même dans un Etat palestinien correct, pleinement souverain, l’économie serait fortement dépendante d’Israël : l’Etat serait presque entièrement enclavé (sauf Gaza, dont les côtes seraient sous surveillance israélienne, si ce n’est sous contrôle), il serait entouré sur trois côtés par Israël dont il serait tributaire pour l’ouverture des frontières pour ce qui concerne, entre autres, les importations et exportations, la liberté de déplacement entre la Cisjordanie et Gaza, et les possibilités d’emploi pour les Palestiniens à l’intérieur d’Israël. Dans un Etat palestinien séparé, Israël serait en position de dominer l’économie palestinienne, pouvant aisément l’étrangler. Dans un Etat unique, les Palestiniens auraient au moins leur mot à dire dans l’organisation de l’économie de l’Etat, de son commerce et de ses investissements, et dans ses relations internationales. Ce n’est pas parfait, mais c’est mieux que tous les scénarios prévisibles avec deux Etats.

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Neumann ne fait qu’avancer l’idée, finalement, que la force fait le droit.

Il existe d’autres problèmes dans l’argumentation de Neumann. Il écarte complètement la possibilité que deux peuples antagonistes puissent vivre ensemble dans une certaine harmonie, il refuse de faire la comparaison avec des pays où cela a été mis en ?uvre avec un certain succès comme en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, par contre, il cite des exemples où cela n’a pas réussi pour démontrer que le concept d’un seul Etat n’est pas viable. Il évoque aussi certains désaccords dans la politique et l’opinion politique palestiniennes et prétend que le Fatah et le Hamas représentent grosso modo à eux deux « 100% » des Palestiniens des territoires occupés. Alors qu’en fait, il y a une forte tendance, et croissante, à s’en détacher chez les Palestiniens, mécontents de ces deux factions et avides d’alternatives politiques.

Probablement plus troublant est le rejet de Neumann de tout concept de justice en tant que motivation pour la recherche d’une solution alternative. Il se moque des partisans d’un seul Etat car ils se feraient trop d’illusions sur la justice qu’un seul Etat pourrait incarner. La solution à un seul Etat, avec ses chimères, serait un rêve impossible, et pas vraiment bien conçue de toute façon. De même, malgré son intérêt pour deux Etats et sa conviction que cela apporterait aux Palestiniens une « Etat véritable », il montre clairement que cette solution n’est ni vraiment plausible, ni équitable dans son esprit, car elle laisse intact le sionisme.

Neumann n’est pas sioniste et, à la différence des sionistes modérés qui veulent la fin de l’occupation israélienne tout en s’opposant à la solution à un Etat, il parait n’avoir aucun désir particulier de préserver l’existence d’Israël en tant qu’Etat exclusivement juif. Il dénonce en fait, sans réserve, la nature injuste, raciste du sionisme. Il n’est pas, apparemment, emballé par l’idée que les Palestiniens et les partisans d’un seul Etat seraient, par nature, plus moraux ou plus justes : il suggère même l’idée que les faiseurs d’un seul Etat pourraient bien provoquer un bain de sang contre les juifs, et il affirme qu’ils suspecteraient tous les Palestiniens qui militent pour deux Etats d’être des « vendus, des collaborateurs, ou des lâches. » Ce qui est tout à fait inexact. La direction du Fatah dans l’Autorité palestinienne est souvent accusée de collaborationnisme, mais ce n’est pas parce qu’elle est favorable à deux Etats, c’est parce qu’elle coopère avec Israël, étranglant économiquement Gaza, sabordant le Hamas en dépit de sa victoire à des élections démocratiques, sans parvenir à s’opposer au programme colonial d’Israël, et ainsi de suite.

Le rejet par Neumann de l’idée selon laquelle les Israéliens seraient un jour capables de rendre justice aux Palestiniens, comme les Blancs d’Afrique du Sud l’on fait finalement aux Noirs, est troublante. Il n’accorde, de toute évidence, aucun crédit au développement substantiel des débats inquisiteurs sur la nature du sionisme et son avenir incertain, chez les Israéliens comme chez les juifs de la diaspora. Il ne voit apparemment aucune qualité pour se racheter chez les Israéliens, ni aucune possibilité pour eux de se soumettre à un processus de vérité et de réconciliation comme en Afrique du Sud, aucune possibilité même, à plus long terme, pour que le sionisme puisse imploser sous le seul poids de son injustice et la pression des réalités démographiques.

On peut comprendre son pessimisme. Il est évidement bien plus difficile d’imaginer des zélotes religieux militants, chez les colons israéliens, répondre aux appels à la morale concernant les injustices qu’ils commettent à l’égard des Palestiniens, que d’imaginer les racistes blancs d’Afrique du Sud abandonner leurs sinécures et leur pouvoir. Mais il est tout aussi difficile d’imaginer ces mêmes zélotes religieux concéder quoi que ce soit pour un Etat palestinien séparé. Ceci fait que la solution à deux Etats est simplement aussi difficile à réaliser, et improbable, que celle à un Etat. Et puisque nous en sommes tous à plaider le presque impossible, pourquoi ne pas prétendre à l’impossible, carrément ?

Si nous mettons la justice au rebut, où en sommes-nous alors sur les autres questions cruciales ? Que faisons-nous, par exemple, pour mettre fin à l’occupation d’Israël ? Si nous nous préoccupons seulement de l’aspect pratique et non de justice, il n’y aucune raison particulière pour qu’Israël s’en aille des territoires occupés. Bush aime l’occupation ; tous les candidats démocrates aux présidentielles, et encore plus les Républicains, l’aiment comme lui ; Israël, évidemment, l’adore. La même remarque s’applique également aux autres questions. L’espoir de justice aurait-il nourri les combats passés non contre l’oppression mais contre des systèmes apparemment inébranlables ? La justice peut finalement être la seule motivation, ou au moins la principale, pour défendre toute cause politique. Pour cette raison, le débat et les plaidoyers en faveur de toutes solutions alternatives au conflit Palestine/Israël doivent se poursuivre.


* Kathleen Christison a été analyste politique à la CIA, elle a travaillé sur les questions du Moyen-Orient pendant 30 ans. Elle est l’auteur de Perceptions of Palestine et The Wound of Dispossession. On peut la contacter à l’adresse : kathy.bill.christison@comcast.net.

Du même auteur :

- "Un et deux Etats - Le mythe du consensus international" - 27 janvier 2008.

En collaboration avec Bill Christison :

- "Ce que pense l’Amérique de la Palestine" - 17 février 2008.

- "Fiction contre réalité en Palestine/Israël" - 28 novembre 2007.

11 mars 2008 - CounterPunch - traduction : JPP


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