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Cisjordanie : Un Cinéma mobile

mercredi 13 février 2008 - 06h:40

Marie Medina - BabelMed

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Pour Yousef Aldeek, le Cinéma mobile est "une forme de résistance". Le projet se focalise - mais pas exclusivement - sur les films palestiniens.

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Dans les Territoires palestiniens, "nous avons un cinéma pour trois millions de personnes".




Nous sommes un dimanche après-midi au club des enfants du camp de réfugiés de Jalazone, dans la banlieue de Ramallah. Les jeunes spectateurs fébriles s’apprêtent à regarder un film sur un garçon de leur âge qui visite Jérusalem.

Yousef Aldeek, un producteur de 43 ans, a lancé ce Cinéma mobile en novembre dernier après avoir acheté dans une brocante un projecteur 16mm et de vieilles bobines.

Dans les Territoires palestiniens, "nous avons un cinéma pour trois millions de personnes", résume-t-il. La salle dont il parle est le cinéma Al-Kasaba, situé dans le centre-ville de Ramallah, en Cisjordanie. Pour trouver un auditoire plus large, les producteurs nationaux se tournent vers les festivals étrangers "et les Palestiniens ne voient rien", déplore Yousef Aldeek.

Les habitants des villages reculés ne fréquentent pas l’Al-Kasaba faute de transports adéquats ou à cause des points de contrôle israéliens qui transforment leur trajet en une véritable odyssée, plutôt décourageante. Comme ils ne vont pas au cinéma, c’est le cinéma qui vient à eux.

Yousef Aldeek a commencé de façon modeste. Pour les premières projections, il utilisait une bâche en plastique blanche en guise d’écran. L’équipement n’a été amélioré que tout récemment grâce au mécénat de la Bourse palestinienne. Hassan Abu-Libdeh, le président du PSE (Palestinian Securities Exchange), a expliqué à Yousef Aldeek qu’il acceptait de financer son projet pour une simple et bonne raison : il a grandi dans un camp de réfugiés où, dans les années 1950, un employé de l’ONU venait projeter des films toutes les une ou deux semaines et cela lui plaisait tellement qu’il y accourait "sans chaussures".

Une partie de l’argent a été investie dans un écran proprement dit, une sonorisation et un projecteur LCD pour les DVD. "Nous essayons de faire une grande chose avec ces petites choses", sourit Yousef Aldeek. Le reste du budget permet de financer le projet pendant au moins un an, ce qui équivaut à quelque 120 projections.

Cet après-midi à Jalazone, des gamins se pressent joyeusement autour de l’équipe du Cinéma mobile. Ils s’agglutinent autour des trois bénévoles qui déballent les appareils dans la grande salle du club des enfants. Les aînés aident à scotcher des sacs poubelles aux fenêtres pour que la lumière ne pénètre pas. Les petits, eux, installent des rangées de chaises en plastique face à l’écran tout neuf.

Ahmad Kawarik, l’un des bénévoles, se réjouit de leur enthousiasme. Les chaînes de télévision par satellite diffusent des films américains où "l’on crie et l’on tue en permanence", ce qui l’agace. "Nous voulons que ces enfants voient nos films", confie-t-il.

Après les préparations, les cinquante et quelques gamins sont invités à prendre place - une prouesse qui requiert un peu de temps. Yousef Aldeek reconnaît que les enfants des camps de réfugiés ont tendance à être un peu plus turbulents que ceux des villages. "Mais quand ils commencent à voir un film et à le comprendre, la plupart se détendent et l’apprécient".

Lorsque les spectateurs, âgés de 6 à 12 ans, sont enfin assis, la lumière s’éteint et le film commence.

Je suis à Jérusalem de Mona Aljaredi raconte l’histoire d’un garçon qui visite la Vieille Ville, prie au Dôme du Rocher, grimpe aux oliviers et joue au football sur l’Esplanade des Mosquées... jusqu’à ce qu’il se réveille.

Pour Yousef Aldeek, le Cinéma mobile est "une forme de résistance". Le projet se focalise - mais pas exclusivement - sur les films palestiniens. Or la plupart de ces oeuvres dénoncent l’occupation israélienne et revendiquent l’identité palestinienne. En les montrant dans des camps de réfugiés et dans des villages reculés, "nous résistons contre la destruction de notre culture".

Avant la Première Intifada, chaque grande ville de Cisjordanie possédait deux ou trois cinémas. Ces salles sont restées fermées depuis si longtemps que l’habitude d’aller au cinéma s’est presque entièrement perdue - et beaucoup de jeunes nés après 1987 n’ont tout simplement jamais mis les pieds dans une salle obscure. "Le point le plus important de ce projet est de recréer cette habitude", insiste Yousef Aldeek.

Le Cinéma mobile vise aussi à "soutenir les producteurs palestiniens en donnant aux gens l’occasion de voir leurs films". Pour l’instant, toutes les projections sont gratuites. Mais "peut-être qu’un jour nous atteindrons une étape où nous pourrons payer les producteurs", espère-t-il.

A la fin de Je suis à Jérusalem, l’auditoire applaudit à tout rompre. Yousef Aldeek, qui élève quatre enfants avec sa femme journaliste, échange quelques mots avec les jeunes spectateurs ravis. Il enregistre leurs commentaires et leurs réactions pour un documentaire qu’il réalise sur le Cinéma mobile et dont il a déjà choisi le titre : Making Happiness, que l’on pourrait traduire par "Fabriquer du bonheur".

"Le cinéma, c’est comme de la magie", assure-t-il, en se souvenant de son adolescence dans un village à une douzaine de kilomètres de Ramallah. A l’époque, dès qu’il avait assez d’économies, il allait au cinéma, même s’il n’avait de l’argent que pour le billet, pas plus, ce qui signifiait qu’il devait rentrer à pied. Le chemin était long mais cela ne le dérangeait pas. Avec dans la tête toutes les images qu’il venait de voir, il "aimait ça".

C’est cette passion qu’il veut transmettre aux jeunes Palestiniens.

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Pour Yousef Aldeek, le Cinéma mobile est "une forme de résistance".

11 février 2008 - BabelMed


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