Des souvenirs ineffaçables - Femmes du camp de Jénine
jeudi 18 mai 2006 - 17h:07
Ali Samoudi
Dans une rencontre organisée à leur honneur par l’association de femmes "Pour ne pas oublier" du camp de Jénine en collaboration avec la télévision locale Farah, les anciennes prisonnières, les soeurs et mères de prisonniers se sont retrouvées pour célébrer à leur manière la journée internationale de la femme.
L’émotion était grande en écoutant les témoignages des anciennes prisonnières, récemment libérées. Bien que libérées, elles portent encore en elles les séquelles de leur incarcération et de leurs souffrances. Ibtihal Saadi résume leur situation, disant : la
détention fait partie de ma vie, je ne peux oublier ces moments où je retrouve en permanence la dureté de la prison et le sadisme du geôlier, je me revoie encore dans les cellules sombres des interrogatoires, face aux instructeurs.
Ibtihal, 18 ans, raconte le récit de ses souffrances, les larmes aux yeux. Elle essaie de transmettre son expérience, à son public, des femmes dont les enfants, frères ou soeurs sont encore en prison.
"Il n’y a pas de mots pour décrire ce qu’on vit, dès les premiers instants de l’arrestation jusqu’au bout du chemin. Dans la prison, la situation est dure, dramatique.
A cause des pratiques de la direction carcérale, à Telmond, à cause de la répression qui s’abat sur toutes les prisonnières, celles-ci sont privées de tous les droits, même les plus simples. Elles sont constamment punies, parce qu’elles se considèrent comme des prisonnières politiques.
7 mères de famille sont détenues dans les prisons israéliennes. La prisonnière Faten Daraghmeh, qui a sept enfants, la prisonnière Qahira Saadi, quatre enfants, Itaf Alayan, séparée de son nourrisson. Non seulement elles sont séparées de leurs enfants, mais la cruauté des
geôliers les maintient en isolement. Les mères de famille ne peuvent rencontrer leurs enfants. La plupart des mères prisonnières sont punies par l’interdiction des visites familiales. Mais les autres prisonnières sont également punies de cette manière.
"Tout au long de ma détention, soit un an et demi, ils ont interdit à ma mère de me visiter. Je n’ai pu la voir que deux fois. Ils prétendent qu’il y a des raisons sécuritaires".
Ibtihal expose en détail la vie des prisonnières : dans les cellules surpeuplées, elles ne peuvent se déplacer. Elles sont souvent dix prisonnières, enfermées dans une pièce sans fenêtres, sans soleil, sans lumière naturelle, elles ne peuvent savoir l’heure.
"Nous sommes séparées du monde et de nos familles, nous ne savons pas ce qui se passe autour de nous, sauf quand ils nous permettent de regarder la télévision, à condition que ce soit la direction de la prison qui choisit les émissions."
Les pressions et les provocations sont incessantes, jour et nuit, ajoute Ibtihal. "Même le lieu que nous considérons comme un échappatoire, la cour, est un lieu où des règlements stricts nous empêchent de nous détendre vraiment. Nous y sommes surveillées, la durée est trop courte, les geôliers nous interdisent de nous
regrouper. Les séances culturelles, artistiques ou religieuses sont interdites."
La direction de la prison a une attitude haineuse et hypocrite. Ils ne supportent pas nous voir être occupées, essayant de lutter pour survivre, ils veulent constamment nous diriger, nous contraindre et surtout nous détruire psychologiquement et moralement.
Malgré cela, les prisonnières palestiniennes poursuivent leur défi, elles résistent, elles affirment leur volonté avec force, elles insistent pour poursuivre leurs études. Nous partageons nos différents savoirs.
Par notre attitude, nous leur transmettons une lettre quotidienne, leur affirmant qu’ils peuvent nous isoler, nous arrêter, nous priver de beaucoup de choses, mais ils ne peuvent diriger notre volonté. Ils ne peuvent nous détruire de l’intérieur. Notre moral reste élevé. Nous
avons la capacité d’apprendre à partir de nos expériences, à partir des conditions que nous avons vécues.
Ibtihal indique comment la direction de la prison néglige toutes leurs demandes, que ce soit concernant l’alimentation, qui est exécrable et de faible quantité, que ce soit pour les cas des prisonnières malades, malgré la gravité de certains cas, que ce soit au niveau de la
propreté des cellules.
"Les bestioles et les rats infestent nos cellules et toutes nos demandes de produits de nettoyage sont refusées."
Ibtihal parle de Qahira Saadi, prisonnière du camp de Jénine, condamnée à la prison à vie. "Je n’oublierai jamais le regard de Qahira, au moment de nos adieux. Elle pleurait sur mon épaule, disant : je suis en train d’accueillir et de dire adieu à toutes celles qui
passent par là et je ne sais pas quand je reverrai mes enfants. Les mots de Qahira m’accompagnent, je suis inquiète pour elle."
Malgré toutes les souffrances vécues, Ibtihal affirme que l’expérience de la prison fut instructive. Elle y a appris le courage, la patience, la résistance, le défi, elle a appris qu’il faut resté attaché aux principes et aux droits du peuple, qu’il faut se tourner vers l’avenir
avec espoir, faire face aux conditions difficiles quelles qu’elles soient. "J’ai y appris à aimer encore plus ma patrie, à m’engager encore plus pour la cause, et à me sacrifier pour la liberté de mon peuple".
Pour la journée internationale de la femme, Ibtihal souhaiterait pouvoir transmettre aux peuples du monde, à la communauté internationale, ce cri qui monte en elle, ce cri qui pourra exprimer la situation dramatique des prisonnières palestiniennes. Elle souhaiterait pouvoir transmettre les cris des mères de famille et des
mineures, dont la vie et les rêves sont brisés.
La prisonnière libérée, Hanadi Qanadil, du camp de Jénine, a également exposé son expérience, remerciant l’association "Pour ne pas oublier" d’avoir consacré le 8 mars pour parler des prisonnières.
"Dans les prisons israéliennes, 120 Palestiniennes, dont des mères de famille et des mineures, sont détenues, à cette date. Les prisonnières sont réparties en deux sections, chacune est composée de plusieurs pièces. Ces pièces, étroites, sont conçues pour détruire les
prisonnières. La direction de la prison exerce une oppression terrible sur elles, même quand elles se retrouvent dans la cour. D’abord, il leur est interdit de sortir en groupes, et il leur est interdit de faire des activités ensemble, même la prière, ou la lecture du Coran.
Si elles le font quand même, elles sont mises en isolement. Hanadi ajoute que la direction innove tous les jours pour trouver de nouvelles formes de punitions ou pour durcir les conditions de détention. Pour 60 prisonnières d’une section, il n’y a qu’un seul frigo (pour garder leurs aliments au frais) et une seule machine à laver. Les produits nécessaires pour le nettoyage sont absents, ce qui oblige les prisonnières à tout acheter.
"Nous achetons tout ce dont nous avons besoin", ajoute-t-elle, "et nos familles ne peuvent supporter tous ces frais".
Hanadi a rappelé les conditions désastreuses sur le plan de la santé des prisonnières. Plusieurs d’entre elles sont gravement malades, leur état nécessite des soins urgents. Elle souhaiterait lancer un appel à la communauté internationale lui demandant de s’occuper des prisonnières malades, plus particulièrement et réclamer la libération
de tous les prisonniers.
Les prisonnières sont constamment provoquées par des fouilles, même en pleine nuit. Elles sont également fouillées corporellement, de façon humiliante, avant toute visite ou toute sortie au tribunal.
Pour Hanadi, le moment le plus dur qu’elle ne peut pas oublier, est celui des cris de douleur de la prisonnière Faten Daraghmeh, malade et dont l’état nécessite des soins urgents. "Lorsque Faten eut sa crise, nous étions là, incapables d’agir, nous nous sommes mises à pleurer et
à gémir. Nous avons demandé à la direction l’intervention d’un médecin ou même d’un infirmer, mais il n’y avait personne. Cyniquement, ils nous ont donné un cachet d’acamol, le remède miracle de tous les maux.".
Elle se rappelle également des moments de son interrogatoire dans la prison de Jalameh, où elle passa deux mois en plein isolement.
"Ils me menaçaient d’amener mon frère, qui est blessé et prisonnier, Youssef, ou alors d’arrêter mon père, de détruire notre maison pour m’obliger à avouer". Malgré cela, l’expérience de la prison m’a donné du courage, un moral élevé, la présence de la famille est importante.
Je suis fière d’avoir été prisonnière, et en tant que femme, je dois participer à la lutte de mon peuple.
Farha Abul Hayjâ’, directrice de l’association "Pour ne pas oublier" a salué les prisonnières et tous les prisonniers détenus dans les prisons de l’occupation, disant qu’en ce jour, le 8 mars, "il était de notre devoir de parler des femmes prisonnières, d’expliquer les
conditions de leur détention, de montrer leur endurance, leur résistance, et surtout le sacrifice des femmes dans la révolution palestinienne, le rôle qu’elles ont joué et qu’elles jouent encore pour porter la cause de notre peuple", mettant en avant le rôle des femmes dans la résistance héroïque du camp de Jénine, en 2002.
"En ce jour, nous devons saluer toutes les combattantes pour la liberté de notre peuple. Nous devons nous rappeler la femme combattante, militante, blessée, bannie, prisonnière, la femme qui a porté le poids de la vie quotidienne, la mère du martyr. Nous devons nous rappeler le rôle de la femme dans la résistance héroïque du camp de Jénine, car non seulement elle a participé, au risque de sa vie, en apportant les provisions aux combattants, mais elle a aussi porté les armes et défendu le camp. Non seulement elle a donné ses fils, la chair de sa
chair, pour le camp, elle a aussi été la martyre, le médecin, la prisonnière et le symbole de la résistance.
Abul Hayja’ a conclu en demandant aux membres du conseil législatif et à toutes les institutions palestiniennes de rendre hommage à la femme palestinienne, en lui accordant tous ses droits, et en demandant d’agir par tous les moyens pour libérer tous les prisonniers, et notamment les prisonnières. "C’est une priorité", a-t-elle ajouté.
8 mars 2006 - Traduit par le Centre d’Information sur la Résistance en Palestine