Le drame palestinien vu de Corée
samedi 5 janvier 2008 - 07h:57
Anh Hoà Truong et Claude Leblanc - Courrier international
- Naplouse, Tome 1
Naplouse, la grande cité cisjordanienne occupée par l’armée israélienne depuis la guerre des Six-Jours, est l’un des théâtres majeurs du conflit israélo-palestinien. Dans ce récit de fiction au titre éponyme, la ville est aussi le carrefour où se croiseront plusieurs destins. On suivra ainsi celui du jeune Nasser, étudiant en art, qui peint des illustrations militantes sur le mur de séparation, appelé par les habitants "le mur de la honte". On partagera aussi la tragédie de l’enseignante de Nasser, Hannadine, dont le fiancé, combattant de l’Intifada, a été abattu par l’armée d’occupation. Rongée par le désespoir, elle finira par se porter volontaire pour une opération suicide. De son côté, Sun, une Coréenne fraîchement débarquée à Naplouse, suit les traces de Nasser et va découvrir avec stupéfaction le quotidien dramatique des habitants de la ville.
Paradoxalement, Kim Bo-hyun, la jeune dessinatrice de Naplouse, n’a encore jamais mis les pieds en Palestine. Comme elle l’explique dans un entretien que l’on peut consulter à la fin de ce premier tome, elle a construit cette bande dessinée coréenne (ou manhwa) en s’appuyant sur un travail de documentation et de collecte d’informations auprès d’autorités et d’associations impliquées dans le conflit israélo-palestinien. De la même façon, sa première BD professionnelle fut Checkpoint, dont le contexte est la guerre en Irak. En Corée, le neuvième art n’a pour l’instant que peu exploré les récits liés au Moyen-Orient, et le conflit israélo-palestinien reste, de manière générale, encore mal connu du public.
Le trait de Kim Bo-hyun se caractérise avant tout par son réalisme, en bonne adéquation avec la thématique abordée. On se laisse également porter sans peine par la narration, qui jouit d’une efficacité dans le découpage des cases et d’une maturité dans la construction de l’histoire tout à fait surprenantes de la part d’une si jeune auteure - elle a tout juste 25 ans.
Le plus gros et le plus évident reproche que l’on pourrait faire à ce manhwa est son positionnement nettement engagé vis-à-vis des Palestiniens. Parfois empreint d’un manichéisme exagéré, le récit souligne avant tout l’injustice subie par les habitants arabes de Naplouse, et en particulier les femmes. Ce choix militant est totalement assumé par l’artiste. En effet, toujours dans le même entretien, en fin de volume, cette dernière fait part de son opposition aux initiatives militaires d’Israël et de sa sympathie à l’égard des Palestiniens. De plus, selon elle, il serait impossible de proposer un récit sur un thème aussi polémique sans prendre un tant soit peu position pour un côté ou pour un autre.
Si l’on met de côté ces considérations et débats d’ordre politique, force est d’admettre que Naplouse remplit la principale mission de toute bande dessinée réussie : celle de communiquer des émotions.
Naplouse, de Kim Bo-hyun, traduit par Kette Amoruso, éd. Casterman, tome 1 sur 2, paru en novembre 2007, 12,95 euros.
A propos de la ville de Naplouse (Cisjordanie) :
Naplouse, ville dans l’ombre, par Francie Sadeski, MSF
Naplouse survit au rythme des incursions israéliennes, par Patrick Saint-Paul, Le Figaro
Invasion de Naplouse : maisons et esprits sous occupation, par Anna Baltzer, The Electronic Intifada
Invasion de Naplouse : résistance, hypocrisie et morts en sursis, par Anna Baltzer, The Electronic Intifada
Anh Hoà Truong et Claude Leblanc - Courrier international, le 4 janvier 2008