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L’épouvantail reste planté

jeudi 13 décembre 2007 - 07h:27

Aliaa Al-Korachi - Al Ahram

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Nucléaire iranien. Le rapport des renseignements américains affirmant que Téhéran a suspendu son programme militaire a infirmé les arguments de Washington, selon lesquels l’Iran est le principal danger pour le Moyen-Orient. Les Etats-Unis contre-attaquent violemment face à des Arabes dans l’incertitude.

Le roi Abdullah bin Abdel-Aziz d’Arabie saoudite et le président iranien Ahmadinejad, la main dans la main, bien souriants. La photo diffusée, la semaine dernière, par toutes les agences de presse, lors du sommet du Conseil de la Coopération du Golfe (CCG) à Doha le 3 décembre dernier a de quoi attirer l’attention. Vers où se dirigent ces deux géants de la région, dont le passé aussi bien que le présent témoignent de beaucoup de dissensions ? Voire toute la région du Golfe semble antinomique à la puissance chiite.

Mais voilà que l’homme fort de l’Iran est venu assister à ce sommet, une première depuis la création de ce conseil en 1981. Les premiers surpris et choqués furent évidemment les Etats-Unis. Ils ont vu leur ennemi juré devenir la vedette d’un sommet devant regrouper leurs alliés. Un autre indice de rapprochement, c’est que le sommet s’est terminé même avec une invitation iranienne d’accueillir, à Téhéran, la prochaine réunion. Un virage dangereux ? Il a dû d’autant plus inquiéter Washington qu’un rapport des renseignements américains affirme que Téhéran a suspendu son programme d’armes nucléaires.

Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, n’a pas tardé à partir en croisade et aller faire retentir la sonnette d’alarme. Il ne faut guère croire à ce rapport et ces Arabes du Golfe devraient craindre l’Iran même plus qu’Israël. Celui-ci s’est mis alors à rappeler les pays du Golfe la « politique déstabilisatrice » de l’Iran et la nécessité « de faire pression sur l’Iran économiquement et diplomatiquement pour s’assurer qu’il ne développe pas de programme nucléaire militaire », lors d’un forum organisé par l’Institut international d’études stratégiques (IISS) à Manama.

Sa phrase sur Israël a déclenché le rire des assistants à la conférence. « Israël, en tant que puissance nucléaire présumée, ne représentait pas une menace pour les pays du Golfe comme l’Iran ».

Parallèlement à cette visite, le Pentagone aurait l’intention de vendre pour plus de 10 milliards de dollars d’armes et d’équipements militaires à plusieurs pays de la région : Emirats arabes unis, Koweït et Arabie saoudite pour « faire face aux éventuelles menaces de l’Iran ». En bon marchand, Gates leur propose aussi de se doter d’un « parapluie » antimissile. On s’interroge alors si ces mises en garde américaines auront oui ou non des échos chez ces monarchies comme cela s’est toujours passé, ou peut-on espérer qu’il est temps pour que ces pays commencent à entamer un vrai dialogue avec l’Iran ? Une réponse difficile à trouver notamment pour la seconde partie de la question, au moins au présent, puisque avec un simple flash-back, on est frappé par les dissensions qui se poursuivent sans répit entre Téhéran et les pays du Golfe.

Les racines d’un différend

Des voisins mais aussi des adversaires. La méfiance a été toujours le trait principal qui caractérise la relation entre la République islamique et ces monarchies pétrolières. Des dissensions à tous les niveaux. Au départ, c’est la controverse sur la nomination même du Golfe. Pour les Iraniens, c’est le « le Golfe persique » qui est le nom historique employé depuis l’antiquité : Al-Bahr Al-Farsi par des géographes arabes médiévaux. Les Arabes du temps présent, eux, le nomment le Golfe arabique, et rappellent qu’il fut longtemps appelé le Golfe de Bassora (ville arabe d’Iraq). Une insistance iranienne que les pays du Golfe interprètent comme une sorte de désir d’hégémonie sur la région. En fait, c’est une accusation qui trouve ses racines dans l’histoire.

Dans les années 1950, durant la règne du chah, celui-ci était pointé du doigt par les pays du Golfe parce qu’alimentant, selon eux, les conflits ethniques dans leurs monarchies. Abdel-Ghaffar Chokr, politologue, raconte que durant cette époque les membres des renseignements iraniens circulaient parmi les chiites de ces monarchies, les incitant de réclamer leurs droits politiques et sociaux. Une affaire dangereuse pour ces pays sunnites, dont la population est pour une bonne part chiite. Ceux-ci représentent plus du quart de la population koweïtienne, alors qu’ils sont de l’ordre de 70 % à Bahreïn. En outre, une importante minorité se trouve concentrée dans la partie orientale de l’Arabie saoudite, une région riche en ressources pétrolières.

Le temps du chah est révolu, et celui des mollahs prenait la relève avec une révolution réussie. Et les pays du Golfe ont craint de nouveau un effet de contagion. Un autre incident venait pour élargir de plus en plus le fossé entre les deux parties, c’est l’occupation de Téhéran des trois îles stratégiques des Emirats, à l’entrée du Golfe, en 1971. Que faire alors pour confronter ce défi iranien ? Les pays du Golfe ont recouru à ce qu’on appelle « la diplomatie des petits pays », dit Mohamad Saïd Idriss, chef du magazine Digests Iraniens au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Celle-ci exige de recourir soit à un pays régional ou étranger pour établir une sorte d’équilibre dans la région. Et les pays du Golfe n’ont pas retardé de recourir aux deux options.

La première régionale était l’Iraq, un autre pays géant dans la région, et la seconde les Etats-Unis. L’Iran n’a jamais oublié le rôle important qu’avaient joué ces pays durant sa guerre, qui a duré 8 ans avec l’Iraq, en présentant à ce dernier, avec la coopération des Etats-Unis des aides financières et des armes. Entre-temps, leur alliance avec les Etats-Unis est allée de mieux en mieux. Des accords militaires bilatéraux ont été signés avec Washington, d’après lesquels des bases navales et militaires américaines ont été installées dans ces pays, sans exception. Plus de 40 000 militaires américains sont aujourd’hui présents dans ces pays.

Une présence que l’Iran a toujours jugée sévèrement et répète toujours que « la sécurité dans le Golfe persique doit rester une question régionale ».

Et avec la déclaration iranienne d’enrichissement de l’uranium, une nouvelle page de différends s’ouvre. Le réacteur de Boushehr est plus proche du Koweït ou de Bahreïn que de Téhéran, a-t-on dit. Le rapport des renseignements pourrait apporter une brèche dans ce raisonnement que les Etats-Unis maintiennent pour gagner à eux ces pays.

Vient s’ajouter aussi l’ingérence de Téhéran en Iraq. Téhéran est accusé par les monarchies de jouer le même rôle déstabilisateur que celui des Etats-Unis dans ce pays.

l’Iran devient-il alors un affreux spectre pour les pays du Golfe ? Somme toute, s’il s’agit de menace, elle provient surtout des surenchères américaines. Les pays arabes, ceux du Golfe notamment, sont sur la ligne de feu. D’où leurs réserves face à l’Amérique et son envoyé Robert Gates. Inquiets du bras de fer entre Téhéran et Washington sur le nucléaire, ils ont exprimé leur hostilité à toute action militaire contre l’Iran à l’occasion d’une conférence régionale sur la sécurité. « Nous voulons que le facteur militaire (du programme nucléaire de l’Iran) soit écarté », a déclaré le secrétaire général du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), Abdelrahmane Al-Attiyah.

« Nous sommes attachés au CCG à trouver des solutions qui favorisent la sécurité et la stabilité (...). Le dialogue est le moyen de régler la crise ». Le premier ministre du Qatar, cheikh Hamed bin Jassem Al-Thani, a été plus loin, appelant Washington à engager le dialogue avec Téhéran pour parvenir à une solution. « Nous ne pourrons pas régler les problèmes en isolant l’Iran qui est un acteur très important », dans la région, a-t-il ajouté.

D’ailleurs même l’Iraq, occupé par les Américains, a fait volte-face. Le conseiller national à la sécurité de l’Iraq, Mouaffak Al-Roubaïe, a plaidé pour un pacte de sécurité dans le Golfe, incluant l’Iran, tout en assurant les alliés de Washington dans la région que la politique étrangère de Bagdad « mettait le cap sur l’Occident ». Mais M. Roubaïe a aussi critiqué l’Arabie saoudite et l’Iran qui, selon lui, sont en train de régler leurs comptes sur le sol iraqien et a appelé à une réconciliation régionale. « Il est extrêmement important d’avoir une réconciliation régionale plutôt qu’une intense tension inter-confessionnelle dans la région ».

Des réserves qui pourraient mettre en cause les différentes formules mises en place par les Etats-Unis et les pays arabes avec comme vecteur commun un Iran chiite source de menace pour un monde arabe sunnite. Ceux-ci avaient formé, sous la houlette américaine, un groupe comprenant l’Egypte et la Jordanie, le CCG+2, qui s’est réuni plusieurs fois à partir de 2006 en présence de Condoleezza Rice, un groupe informel de travail qui pourrait être qualifié de front sunnite contre l’Iran. Ils participent aussi au Gulf Security Dialogue, une démarche américaine destinée à améliorer la coopération de défense avec les Etats-Unis.

Pour Idriss, malgré les critiques de certains pays du Golfe, comme le Koweït, de cette présence iranienne, personne ne peut nier que Téhéran avait réalisé une certaine « infiltration dans ce blocus régional imposé par les Etats-Unis » et d’ajouter que ce sommet avait montré aussi une certaine acceptation de la nécessité de la coopération sécuritaire.

Une relation à double visage. Malgré les dissensions politiques, les relations économiques sont toujours fructueuses. « Ceci est dû essentiellement à la communauté chiite qui se trouve dans ces monarchies et qui est très active dans ce domaine », dit Idriss. Il suffit de savoir que les Emirats, malgré le conflit territorial avec l’Iran, sont le grand partenaire économique de la République islamique. On compte 7 000 sociétés dépendant de la République islamique qui ont un bureau à Dubaï.

Le facteur Israël

C’est dire à quel point la situation échappe aux Américains. Des erreurs de calculs qui se suivent concernant cette région. Pour Rochdi Younsi, analyste chez le groupe de recherche Eurasia Group, les conclusions des services américains de renseignements ne vont qu’aviver un peu plus le sentiment anti-américain dans la population arabe. « L’opinion publique au Moyen-Orient a réagi dans l’ensemble par un mélange de soulagement et de colère à la publication du rapport du National Intelligence Estimate », a-t-il dit. « Les pays arabes du Golfe jugent toujours particulièrement suspectes les ambitions de Téhéran ». Mais pas au point d’en devenir des ennemis comme le veulent les Américains, poussés évidemment par Israël.

Le premier ministre israélien, Ehud Olmert, a voulu contredire le rapport américain en affirmant que l’Iran pourrait être en mesure de disposer de l’arme nucléaire d’ici 2010. C’est ce qu’ont rapporté les médias israéliens citant le premier ministre Ehud Olmert. Celui-ci a affirmé qu’Israël continuerait d’agir afin que des sanctions soient imposées à l’Iran. M. Olmert a tenu ces propos devant son cabinet de sécurité.

De plus, le chef d’état-major interarmes américain, l’amiral Mike Mullen, a eu lundi une série d’entretiens en Israël sur le nucléaire iranien. L’amiral Mullen a rencontré le ministre israélien de la Défense Ehud Barak et entendu des comptes rendus des services de renseignements israéliens. Tout est clair donc : cette virulence américaine a bien pour cause son allié. Et c’est ce qui explique d’ailleurs cette méfiance arabe.

Ils ont dit :

« Ce rapport vise à sortir le gouvernement américain de l’impasse, mais il s’agit aussi d’une déclaration de victoire du peuple iranien face aux grandes puissances ».

Mahmoud Ahmadinejad, président iranien.


« Il intervient à un mauvais moment, il a ennuyé un certain nombre de nos amis et embrouillé nombre de gens ».

Robert Gates, secrétaire américain à la Défense.


« L’Iran continue probablement son programme de fabrication de l’arme nucléaire ».

Ehoud Barak, ministre israélien de la Défense.


« Ce rapport a changé les choses. Les membres du Conseil de sécurité vont devoir considérer cela, car je pense que nous partons tous de la présomption que maintenant les choses ont changé ».

Wang Guangya, ambassadeur chinois auprès de l’Onu.


« Si les sanctions ont été votées et qu’elles ont permis l’amorce d’un dialogue (...) je ne vois pas au nom de quoi on devrait renoncer à des sanctions, alors même que la question de l’accession au nucléaire militaire par les dirigeants iraniens reste posée ».

Nicolas Sarkozy, président de la République française.


« Nous allons réfléchir à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’Onu en prenant en considération tous ces nouveaux facteurs, y compris évidemment les informations américaines (...) selon lesquelles il n’y a pas de programme militaire nucléaire secret en Iran ».

Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe.


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Aliaa Al-Korachi - Al Ahram Hebdo, numéro 692, semaine du 12 au 18 décembre 2007,


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