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La pénurie d’eau étrangle Gaza

mercredi 12 décembre 2007 - 23h:05

Juan Miguel Muñoz

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La pénurie de réserves d’eau souterraine et la pollution accentuent la crise dans la bande de Gaza.

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Dimanche 9 décembre, des enfants palestiniens marchent près d’une plage de Gaza sur laquelle brûlent des tas d’immondices - Photo : AP/Anja Niedringhaus

Gaza n’a pas de rivières. Pas plus que de lacs. Mais que des nappes phréatiques. Depuis des décennies, le régime de pluies s’est affaibli alors que la population augmente sans frein ; et les habitudes, l’ignorance et la misère d’une population [qui vit] sans aucun espoir de changement servent d’engrais à la catastrophe écologique et sanitaire dont souffre le territoire. Aucun ingrédient ne fait défaut.

La démocratie a été funeste pour le million et demi de ses habitants. Le blocus économique imposé par Israël et la communauté internationale après le triomphe électoral du Hamas en janvier 2006, atteint ces jours-ci sa dureté maximale. Aucun équipement de rechange ne peut rentrer. L’énergie électrique manque. Le système de traitement des eaux usées est en train de s’effondrer. Et extraire de l’eau potable des 137 puits [du territoire] est presque une prouesse.

Des organisations non gouvernementales et celles dépendantes des Nations Unies alertent depuis des mois sur le brutal coût humanitaire de l’embargo. Les eaux usées sont versées dans deux grands réservoirs. Celui de Beit Lahia dans le nord a débordé en mars, tuant cinq bedouins. C’était un signal d’alarme.

A présent ce réservoir est à nouveau à la limite et la saison de pluies vient de commencer. « Ils manquent entre 30 et 50 centimètres pour que les eaux usées dépassent les remblais que nous avons placés. Nous craignons un tsunami d’excréments », assure l’ingénieur Bashar Ashur. Quel paradoxe ! Alors qu’il y a un tel besoin de pluies, les techniciens surveillent le ciel chaque jour. Ils craignent que de forts orages causent un autre débordement de ce réservoir pestilentiel. « Si cela arrive, 20 000 personnes devraient s’élever de 15 mètres pour éviter le flux », ajoute ce jeune spécialiste.

Définir le traitement des eaux d’égouts comme précaire est faire preuve d’optimisme. Outre celui de Beit Lahia, un autre réservoir énorme a été construit quelques années auparavant dans le sud, dans les faubourgs de la ville de Khan Yunis. Le chemin de centaines d’enfants vers leur collège longe cette retenue. Dans le centre de la bande de Gaza c’est encore pire. Les eaux des égouts sont directement jetées à la mer. Sans aucun traitement. Ces eaux peuvent au moins être traitées dans la ville de Gaza bien que la pénurie d’énergie électrique fasse que la purification soit plus que défectueuse.

Il y a trois usines de traitement auxquelles sont reliées les stations de pompage. Ces usines fonctionnent de façon lamentable. « Avec si peu d’électricité et sans moteur diesel on ne peut pas pomper », dit le technicien. Mais si les menaces du gouvernement israélien sont mises à exécution, le pire reste à venir. L’exécutif israélien projette de limiter l’approvisionnement électrique et depuis le week-end passé les entreprises de l’état hébreu livrent seulement 25% des quantités qu’elles fournissaient jusqu’à alors. Les systèmes de tuyauterie ne sont pas exportées vers Gaza depuis plus d’une année. D’après les fonctionnaires israéliens, ce matériel serait employé par les milices palestiniennes pour construire leurs fusées artisanales. L’ingénieur Monther Shoblak, directeur de l’organisme public qui gère le réseau, le nie : « Ils ont déjà largement ce qu’il leur faut. Ils n’ont en rien besoin de ces métaux ».

Pendant l’hiver, une bonne partie de Gaza se transforme en bourbier, et dans les rues des villes apparaissent des flaques d’eau qui avec les déchets forment une compote répugnante. Les éboueurs s’échinent à retirer les immondices qui finissent dans les déversoirs qui parsèment toute le territoire. Dans certaines zones il n’y a aucune infrastructure. Et la population n’est pas rendue consciente de la situation. Parler d’environnement dans ce territoire est presqu’une audace. « A Khan Yunis la population creuse des fosses septiques dans tous les endroits. Et il est clair que cela accélère la pollution des nappes aquifères », explique Ashur. « En outre », ajoute-t-il, « nombreux sont ceux qui relient illégalement des tuyauteries depuis leurs maisons à un réseau que nous construisons pour stocker de l’eau de pluie ». Le résultat est ravageur. Cette eau pluviale destinée à remettre à niveau des eaux souterraines surexploitées est gaspillée sans retour.

Le siège imposé à Gaza n’est pas seulement militaire. L’eau est une arme très puissante. Trois autres projets d’usines de traitement des eaux usées n’ont pas été réalisés. La communauté internationale a bloqué les projets après le triomphe électoral du mouvement fondamentaliste il y a de cela presque deux ans. La dépression économique a accentué la catastrophe. « Les habitants ne payent plus leurs factures et les mairies ne disposent logiquement d’aucun fonds pour gérer les réseaux d’approvisionnement », indique l’ingénieur.

On entend Pour Elise de Beethoven, dans les villes de Gaza, Khan Yunisy et Rafah où le liquide va directement du robinet à la mer. Des hommes conduisent des ânes qui tirent des voitures chargées de caisses énormes. Des camions-citerne distribuent aussi de l’eau. L’oeuvre du musicien allemand prévient que de l’eau peut être achetée.

Évidemment à des prix prohibitifs. « Un mètre cube de l’eau venant des canalisations coûte 1 shekel [soit 0.16 euros] ; celle qui est purifiée et que vendent les entreprises vaut 50 shekels. Beaucoup de gens ne peuvent pas payer ces quantités et boivent directement l’eau du robinet. Les maladies rénales et les cas de cancer sont monnaie courante étant donné le haut niveau de chlorates et de nitrates », conclut Ashur.

L’unique rivière s’est asséchée

Monther Shoblak, directeur des projets de la Compagnie d’Eaux Municipales, explique en détail depuis son bureau comment on gère les eaux potables et usées. Il va périodiquement à des réunions avec un colonel israélien au passage frontalier d’Erez où ils abordent alors les besoins urgents en matériel pour éviter que les réseaux de distribution d’eau ne s’effondrent. Il ne cache plus son écoeurement. « Je sais qu’ils ne me laisseront probablement pas sortir à nouveau de Gaza. Mais je ne me tairai pas. Nous voulions construire un réseau dans Beit Lahia pour jeter à la mer les résidus déjà traités. Mais ils m’ont fait savoir que si nous le faisions, les F-16 bombarderaient les conduites », raconte l’ingénieur. La raison est évidente : ce flux affecterait les proches et splendides plages israéliennes de Nitzanim.

« Nous n’avons aucun matériel de rechange ni ruban adhésif suffisament résistant pour colmater les trous dans les tuyauteries. Et comme Israël ne nous permet pas d’importer ces équipements, nous devons fermer les puits d’eau potable. Ils ne nous autorisent pas non plus [à importer] du fil de cuivre pour les moteurs et les générateurs ».

Shoblak est conscient que cette ressource qu’est l’eau est une question fondamentale dans le conflit entre Palestiniens et Israéliens. « Durant les années 70 », commente-t-il, « il nous parvenait l’eau des montagnes d’Hébron en Cisjordanie. Mais durant cette dernière décennie Israël a progressivement coupé le flux. La seule rivière que nous avions a alors été asséchée ». Son ancien lit est maintenant devenu un autre de ces lieux malodorants dont s’approchent mètre par mètre les misérables maisons de ciment.

« À partir de l’année 2000, après le déclenchement de la seconde Intifada, la situation s’est détériorée. Les tanks israéliens ont commencé à détruire les tuyauteries et les systèmes d’égouts. Les eaux polluées se sont alors infiltrées dans les nappes phréatiques. Après l’évacuation des colons et le retrait militaire israélien en 2005, les destructions ont cessé. Mais [les Israéliens] ont alors bombardé la centrale électrique », rappelle l’ingénieur Bashar Ashur, convaincu que tout va aller en empirant.

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5 décembre 2007 - El Païs - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.elpais.com/articulo/inte...
Traduction de l’espagnol : Claude Zurbach


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