16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Deux millions de Khaled

dimanche 2 décembre 2007 - 07h:14

Amira Hass

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Khaled emmène de moins en moins souvent ses enfants dans son village natal, à l’ouest de la Cisjordanie, au sud de Qalqiliya. C’est dur pour lui de s’asseoir sur le toit de la maison de ses parents et de voir, à 500 mètres de là, la terre de la famille, sans pouvoir s’y rendre. Cette terre a toujours été une espèce de garantie, d’assurance : assurance d’un revenu fixe, assurance que tous les frères et s ?urs y travaillent et en profitent, assurance de trouver la tranquillité après le tumulte de la ville, et aussi une sorte d’épargne et de sécurité en cas de besoin - maladie (le ciel nous préserve), études supérieures pour les petits-enfants. Il est toujours possible de vendre un dounam ou d’y bâtir pour réaliser un rêve.

Entre le toit et cette assurance, entre le toit et la vingtaine de dounams familiaux restants, passe la clôture de séparation : affreuse cicatrice d’un haut grillage, de fils de fer et de larges bandes de terre dénudée, dont la rangée d’arbres a été arrachée, et leur absence est douloureuse comme une amputation.

Le toit de sa maison d’enfance est un peu le Mont Névo de Khaled. Il voit la terre promise mais ne peut y aller. Les gens de l’Administration civile travaillent d’arrache-pied à inventer des démarches bureaucratiques longues et compliquées pour l’obtention de permis temporaires d’accès aux terres privées situées au-delà de la clôture. Avant qu’on ait pu déchiffrer les démarches à suivre, elles sont modifiées et les critères rendus plus sévères encore.

Résultat : les parents reçoivent un permis d’accès à leurs terres, mais sont incapables de les cultiver seuls. Les enfants et petits-enfants peuvent obtenir un permis, non pas comme membres de la famille mais comme ouvriers. Le permis est limité à quelques jours et n’est pas adapté pour quelqu’un dont le travail régulier est ailleurs. En outre, l’obligation même d’avoir à demander un permis pour se rendre sur une propriété familiale - et tout cela seulement si vous donnez une raison solide à votre volonté d’être sur votre terre - est à ce point outrageante qu’on y renonce par avance.

En Cisjordanie, il y a environ deux millions de Khaled. Chaque ville et village, et de nombreuses familles ont une terre dont Israël empêche l’accès au moyen de la clôture de séparation, de la route de sécurité d’une colonie, d’une colonie construite sur une partie des terres et qui suffit à barrer l’accès à la terre qui n’a pas été expropriée, ou au moyen d’une route interdite au trafic des Palestiniens, d’une zone militaire fermée, d’un camp militaire ou d’un barrage militaire.

A chacun son Mont Névo du haut duquel apercevoir cette terre chère affectivement autant que matériellement, et qui s’échappe d’entre les mains. Quand le feu éclate, comme c’est arrivé plus d’une fois sur les terres de Kafin, il est impossible d’arriver à temps pour l’éteindre. Si on veut cultiver des légumes, il est impossible de les arroser parce que le puits se trouve dans la partie des terres privées qui a été expropriée au profit de la colonie proche, comme s’en plaint Abou Fahami, de Dayr Istya.

Et lorsque des colons font main basse sur une terre, il est impossible de les en chasser, comme c’est arrivé à une terre de la famille Kadan, d’Al Bireh, dont la propriété privée a été transformée en lieu de prière par des jeunes gens de Beit El. Certes, l’Administration civile a fait évacuer cet avant-poste, mais de toute façon, l’armée interdit aux Palestiniens de venir sur place. Résultat : la terre est inutilisable.

Le gouvernement israélien a droit aux louanges pour la « vision des deux Etats pour les deux peuples » que ses dirigeants ont apparemment adoptée et emmenée à Annapolis. Mais Israël refuse de s’engager sur un calendrier de mise en ?uvre de cette vision.

En attendant, ses délégués au sein de l’armée, de l’Administration civile et des colonies mènent sur le terrain, à la petite semaine, une négociation unilatérale sur la taille et l’allure du futur Etat palestinien. Ils font tout pour garantir que des millions de dounams de terres, la réserve territoriale de cet Etat, ne retournent pas à leurs propriétaires légaux. Ils s’arrangent pour que toujours plus de territoire apparaisse comme terres à l’abandon ou ce qu’on appelle dans le jargon orwellien israélien « terres des absents » ; autrement dit ce que l’Etat du peuple juif a appris à décréter comme sien.

JPEG - 23.1 ko
Amira Hass

De la même auteure :

- Toute une routine d’ordonnances et d’interdictions a vidé les routes de Cisjordanie
- Un geste en faveur des services pénitentiaires israéliens

- Que se passe-t-il les jours de calme ?
- Ils dérangent la politique de séparation

Amira Hass - Ha’aretz, le 28 novembre 2007
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.