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Stratégie d’Israël pour une occupation définitive

samedi 1er décembre 2007 - 08h:04

Jeff Halper

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Comment garder son image d’unique partie intéressée par la paix, de victime du terrorisme arabe - dissimulant ainsi en réalité notre propre violence - et maintenir l’occupation, tout en faisant rejeter la responsabilité sur les Palestiniens ?

Une "Feuille de route" à sens unique

On pourrait croire que la bataille au sein de la communauté juive israélienne se joue entre ceux qui, politiquement à droite, veulent garder les colonies de Jérusalem-Est et de Cisjordanie et « convertir » ainsi la Grande Terre d’Israël en un pays juif, et ceux qui, à gauche, recherchent une solution à deux Etats avec les Palestiniens, prêts à renoncer à assez de « territoires », sinon à tous, pour qu’un Etat palestinien viable puisse voir le jour.

Ce n’est pas vraiment le cas. Les sondages et la composition du gouvernement israélien montrent que peut-être un quart des Juifs israéliens entrent dans le premier groupe, les ultraconservateurs, alors que pas plus de 10% soutiennent un retrait total des territoires occupés. (Pratiquement, aucun Juif israélien ne prononce le mot « occupation », une occupation qu’Israël conteste également). La grande majorité des Juifs israéliens - qu’on retrouve au parti Meretz, au Parti travailliste, au Kadima et dans la droite « libérale » du Likoud, exceptés uniquement les partis religieux et l’extrême droite dirigés par l’ancien Premier ministre, Benjamin Netanyahu, et l’actuel ministre des Affaires stratégiques, Avigdor Liberman -, cette grande majorité s’entend sur un large consensus : tant en vertu de questions liées à la sécurité que de « la réalité sur le terrain » créée par Israël, les Arabes (c’est ainsi que nous, Israéliens, appelons les Palestiniens) devront accepter un mini Etat tronqué qui ne dépassera pas 15 à 20% de leur pays, entre la Méditerranée et le fleuve du Jourdain.

De plus, il est entendu qu’un éventuel renoncement à un quelconque territoire, et son importance, ne peuvent relever que d’une décision exclusivement israélienne. Nous pouvons proposer aux Palestiniens quelque « offre généreuse » s’ils se comportent bien, et si cela nous arrange, mais toute initiative vers la « paix » ne peut être qu’unilatérale. Les Palestiniens peuvent manifester une préférence mais la décision nous revient, et à nous seulement. Notre pouvoir, nos soucis qui, tous, concernent notre sécurité et le simple fait que les Arabes ne sont même pas pris en considération (sauf comme facteur de nuisance) limitent tout processus de paix à, au mieux, une volonté de leur assurer un minuscule bantoustan de quatre ou cinq cantons, tous entourés par les colonies et l’armée israéliennes. Le contrôle israélien sur la totalité de la terre d’Israël, que ce soit pour des raisons religieuses, nationales ou sécuritaires, est une donnée qui ne souffre aucun compromis.

Cela, évidemment, est totalement inacceptable pour les Palestiniens. Ce qui, en soi, n’a pas d’importance mais soulève un problème de fond. Dans toutes véritables négociations vers un accord juste, durable et mutuellement accepté, Israël devra céder beaucoup plus qu’il n’est prêt à le faire. Il faut donc que des négociations aient lieu, de temps en temps, ne serait-ce que pour projeter sur Israël l’image d’un pays qui veut la paix - Annapolis étant simplement la dernière comédie - mais elles ne doivent jamais conduire à une véritable avancée car les deux tiers de l’opinion juive sont pour une présence israélienne définitive dans les territoires occupés, une présence civile et militaire, qui exclue tout Etat palestinien digne de ce nom. Comment, dès lors, conserver ses principales colonies, le « Grand » Jérusalem et le contrôle sur les territoires et les frontières sans apparaître intransigeant ? Comment garder son image d’unique partie intéressée par la paix, de victime du terrorisme arabe - dissimulant ainsi en réalité notre propre violence - et maintenir l’occupation, tout en faisant rejeter la responsabilité sur les Palestiniens ?

La réponse durant ces 40 dernières années d’occupation fut le statu quo, l’atermoiement, pendant que, tranquillement, on agrandissait les colonie et on renforçait notre emprise sur la Judée et la Samarie (comme toujours, en Israël, nous ne parlons ni d’« occupation » ni de « territoires occupés », et pas davantage de « Palestiniens ») [Judée et Samarie : Cisjordanie - ndt]. Il suffit de regarder la fébrilité qui a précédé Annapolis et les promesses d’Israël. Le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, a déclaré qu’ « Annapolis était une étape importante sur le chemin des négociations et représentait un véritable effort pour parvenir à réaliser la vision de deux nations : l’Etat d’Israël - nation du peuple juif - et l’Etat palestinien - nation du peuple palestinien ». Cela sonne bien, n’est-ce pas ? Maintenant, regardons les conditions requises par Israël, seulement deux semaines avant Annapolis :

Redéfinir la phase 1 de la Feuille de route. La première phase de la Feuille de route, base même des négociations, demande à Israël de geler la construction de colonies. Une chose qu’Israël n’a évidement pas appliquée. Se fondant sur une lettre que l’ex-Premier ministre, Ariel Sharon, a reçue du président Bush en 2004 - changement fondamental dans la politique américaine qui, pourtant, n’engage pas les autres membres du Quartet pour la Feuille de route, l’Europe, la Russie et les Nations unies -, Israël a annoncé que pour lui, les secteurs considérés par le Quartet comme « occupés » étaient seulement les secteurs à l’extérieur des blocs de colonies et du « Grand » Jérusalem. Ainsi, unilatéralement, Israël (et apparemment les Etats-Unis) réduisait le territoire négociable avec les Palestiniens de 22% à seulement 15%, un territoire fragmenté en différents cantons.

Exiger une reconnaissance d’Israël en tant qu’ « Etat juif ». On demande aux Palestiniens de reconnaître formellement l’Etat d’Israël. Ils l’ont déjà fait en 1988 quand ils ont accepté une solution fondée sur deux Etats, puis au début du processus d’Oslo puis à maintes reprises durant les deux dernières décennies. Maintenant vient une nouvelle demande : avant toute négociation, ils doivent reconnaître Israël comme Etat juif. Non seulement ceci introduit un nouvel élément dont Israël sait que les Palestiniens ne pourront pas accepter, mais cette demande remet en cause le statut d’égalité des citoyens palestiniens d’Israël, soit 20% de la population israélienne. Ceci ouvre la voie au transfert, au nettoyage ethnique. Tzipi Livni, la ministre israélienne des Affaires étrangères, a dit récemment lors d’une conférence de presse que l’avenir des citoyens arabes d’Israël était dans le futur Etat palestinien, pas en Israël même.

Création d’obstacles politiques insurmontables. Deux semaines avant Annapolis, le parlement israélien, la Knesset, votait une loi requérant une majorité des deux tiers pour que soit approuvée une modification du statut de Jérusalem, un seuil impossible à atteindre.

Différer la mise en ?uvre. D’accord, le gouvernement israélien dit, nous négocierons. Mais l’application de tout accord attendra la cessation totale de toute résistance de la part des Palestiniens. Etant donné qu’Israël considère toute résistance, armée ou non violente, comme une forme de terrorisme, voici donc un nouvel obstacle insurmontable à tout processus de paix.

Déclarer un Etat palestinien de « transition ». Si tout le reste échoue - sachant qu’une négociation avec les Palestiniens ou un renoncement à l’occupation ne rentrent pas dans les options possibles -, les Etats-Unis, à l’instigation d’Israël, pourront s’arranger pour faire sauter la phase 1 de la Feuille de route et passer directement à la phase 2, laquelle prévoit un Etat palestinien de « transition » avant, en phase 3, de se mettre d’accord sur ses frontières, le territoire et sa souveraineté. C’est le cauchemar des Palestiniens : être bloqués indéfiniment dans les limbes d’un Etat « transitoire ». Mais pour Israël, c’est l’idéal, étant donné qu’il se donne la possibilité d’imposer des frontières et de s’étendre dans les territoires palestiniens, toujours unilatéralement, tout en paraissant se conformer à la demande de la Feuille de route pour fixer les questions finales par la négociation.

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Modlin Illit. Des colonies grandes comme des villes implantées en toute illégalité au coeur de la Cisjordanie.

Le résultat final, vers lequel Israël chemine à dessein et systématiquement depuis 1967, ne peut s’appeler qu’apartheid, ce qui signifie « séparation » en Afrikaner, précisément le terme qu’Israël utilise pour décrire sa politique (hafrada en hébreu). Et c’est un apartheid au sens strict du mot : une population se sépare d’une autre, la domine en permanence et institutionnellement, grâce à un régime politique où un Israël qui s’est étendu enferme les Palestiniens à l’intérieur de cantons dépendants et appauvris. La question primordiale pour le gouvernement israélien, dès lors, n’est pas de savoir comment parvenir à la paix. Si la paix et la sécurité étaient les véritables questions, Israël les aurait solutionnées il y a 20 ans, en reconnaissant les 22% du pays requis pour être l’Etat palestinien viable. Aujourd’hui, alors que le contrôle d’Israël s’est prolongé indéfiniment, pourquoi demander à l’opinion juive israélienne, et au gouvernement qu’elle a élu, de reconnaître quoi que ce soit de significatif ? Nous profitons de la paix avec l’Egypte et la Jordanie et la Syrie meure d’envie de négocier. Nous avons des relations avec la plupart de Etats arabes et musulmans. Nous bénéficions d’un soutien absolu et inconditionnel de la seule superpuissance au monde, nous sommes soutenus par une Europe conciliante. Le terrorisme est sous contrôle, le conflit est devenu gérable, Israël connaît un boom économique. Pourquoi se plaindre, demandent les Israéliens, d’une telle image ?

Non, la question primordiale pour Israël est plutôt comment transformer son occupation de ce que le monde considère comme une situation temporaire en un fait politique définitif, reconnu par la communauté internationale, de fait si c’est nécessaire ou, si l’apartheid peut être mené à terme sous la forme d’une solution à deux Etats, de façon formelle. Voilà le dilemme et la cause des discussions au sein du gouvernement israélien : Israël doit-il continuer la stratégie qui lui a si bien réussi ces 40 dernières année, retardant ou prolongeant les négociations de manière à sauvegarder le statu quo tout en renforçant son emprise sur les territoires palestiniens ou, à ce moment unique mais éphémère de l’histoire où George Bush est encore aux affaires, doit-il essayer de figer tout cela, obligeant les Palestiniens à un Etat transitoire à l’intérieur du cadre de la Feuille de route ?

Olmert, à la suite de Sharon, pousse vers la première solution. Netanyahu, Lieberman, l’extrême droite (dont beaucoup du propre parti d’Olmert) et, de manière significative, le président travailliste et ministre de la Défense, Ehud Barak, toujours un faucon militaire, freinent dans la crainte que même un processus de négociations simulées ne leur échappe, engageant ainsi Israël. Il vaut mieux, disent-ils, s’en tenir à une politique testée et vérifiée de statu quo qui peut, si on la conduit habilement, se prolonger indéfiniment. D’ailleurs, Bush n’est qu’un canard boiteux et il n’y aura aucune pression sur Israël d’ici juin 2009, au moins 6 mois après l’intronisation d’un nouveau président américain, qu’il soit démocrate ou républicain. Nous sommes bons jusque là ; pourquoi alors risquer de faire chavirer le bateau ? Le seul moment épineux pour Israël se présentera dans deux ans, à mi-mandat présidentiel. Nous pouvons surmonter cela. Annapolis ? Nous irons prudemment dans le sens de l’apartheid, espérant qu’Abu Mazen (Mahmoud Abbas) poussé par l’envoyé du Quartet, Tony Blair, jouera le rôle du collaborateur. Si ça ne marche pas et bien, le statu quo reste toujours valable, par défaut.

Pendant ce temps, aussi longtemps que l’opinion israélienne a la paix et le calme, et une bonne situation économique, aussi longtemps qu’elle reste convaincue que la sécurité exige d’Israël de conserver son contrôle sur les territoires, aucune pression ne viendra de l’intérieur pour un quelconque changement notable de politique. Compte tenu de ce paysage politique en Israël, dans les territoires et à l’étranger, il est difficile pour les dirigeants israéliens de ne pas laisser éclater leur sentiment triomphant, officiellement ou non : « Nous avons gagné ».


Jeff Halper est le coordonnateur du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD). Il est professeur d’anthropologie à l’université Ben Gurion et vit en Israël depuis 1973. Il a forgé un nouveau mode de militantisme israélien pour la paix, basé sur l’action directe non-violente et la désobéissance civile aux autorités israéliennes d’occupation, en collaboration étroite avec des organismes palestiniens.

Il peut être joint à l’adresse : jeff@icahd.org.

Du même auteur :

- "Quelle feuille de route ?" - 11 novembre 2007 - ICAHD.
- "Il ne s’agit pas seulement de territoire, mais de viabilité" - 25 août 2007 - Ma’an News Agency.
- "Garder le cap sur l’apartheid"-
2 juillet 2007 - Palestine Chronicle.

28 novembre 2007 - Counterpunch} - Traduction : JPP


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