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Démolition de maisons en Cisjordanie

lundi 18 décembre 2006 - 13h:56

Jane Smith

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Al Funduq - Les machines à briser des vies, 22 nov 2006

En arrivant dans le village d’Al Funduq, dans le centre de la Cisjordanie, les effets produits par la destruction de la première maison étaient visibles. Une famille se tenait sur un amas de gravats, muette et hébétée.

La démolition de la deuxième maison commençait juste et les bulldozers Caterpillar et Volvo s’enfonçaient dans les murs du 1° étage de la maison presque terminée. A notre approche, quatre Palestiniens ont franchi en courant la rangée de soldats israéliens pour entrer dans la maison. Leur courage m’a profondément émue. Les soldats ont fait sortir les hommes de la maison manu militari, en tenant l’un d’eux fermement par une prise à la nuque et en passant à deux autres les menottes qu’ils ont gardées pendant tout le temps qu’a duré la démolition. En l’espace d’une heure, la maison n’était plus qu’un amas de gravats. La famille n’avait pu rien faire, si ce n’est regarder leurs années de travail et d’économies anéanties par l’armée israélienne. Caterpillar and Volvo tirent des bénéfices de la douleur de cette famille.

Les bulldozers ont fait demi-tour et sont repartis en direction du village. Entretemps, nous avions été rejoints par 5 autres « internationaux ». Nous sommes partis devant pour parvenir sur les lieux avant l’arrivée des bulls. L’armée israélienne, évidemment, cernait déjà le bâtiment. C’était une grosse bâtisse agricole qui renfermait du bétail. De toute évidence, de l’argent y avait été investi et nul doute que beaucoup de personnes dépendaient de ce revenu pour se nourrir. Pendant qu’ils démolissaient un bout du bâtiment, j’aidais la famille à récupérer quelques affaires à la va-vite.

Sans faire de pause, les bulls et l’armée sont repartis pour le quatrième site à démolir, dans le village voisin d’Hajja.

Les membres de la nouvelle famille étaient en effervescence. Ils avaient la volonté de résister. Ils étaient au sommet de la colline et criaient leur colère à l’armée israélienne. Ils agitaient les bras frénétiquement et criaient aux voisins de venir les rejoindre pour les aider à résister.

Nous avons traversé le champ en courant et avons gravi la colline rocailleuse et pleine de buissons épineux pour les aider à lutter pour conserver leur moyen de subsistance. Quand les gens se sont approchés, l’armée a commencé à lancer des « *sound bombs ». Cela n’a pas arrêté notre élan et nous avons rejoint la famille réfugiée contre le mur et la barrière de leur immense structure agricole. Ils avaient des papiers en dépôt chez leur avocat qui, espéraient-ils, empêcherait la démolition. Pas étonnant qu’ils aient eu cette vitalité. Ils avaient une chance infime d’empêcher ce forfait. Ils avaient besoin de temps.

Et le temps, c’est justement ce qu’on n’a pas quand on vit sous occupation militaire. Ils tentaient fébrilement d’appeler leur avocat. Nous téléphonions fénétiquement partout, cherchant à joindre quelqu’un qui nous permettrait de gagner du temps. Il y avait un sentiment d’inexorabilité dans cette démolition, les soldats avaient déjà investi les lieux, et les membres de la famille repliés contre le mur de la bâtisse ont obtenu l’ « autorisation » d’évacuer quelques animaux. Pour qu’il ne soit pas dit que l’armée israélienne est inhumaine. Même si, comme la hiérarchie établie entre les êtres humains dans cette partie du monde, certains « méritent » d’être sauvés et d’autres non.

Et ce qui devait arriver arriva. L’armée a refusé d’attendre que les documents officiels arrivent et la démolition a commencé. Il a fallu deux heures pour détruire entièrement cette bâtisse de plusieurs étages.

Pendant la démolition, un groupe d’environ 10 soldats a traversé le champ où j’étais. Ils ont lancé une sound bomb et tiré au moins une balle en caoutchouc sur un groupe de jeunes garçons d’environ 12 ans qui passaient par là. Les garçons n’étaient pas du tout provocants. Au cours de cette journée, j’ai oublié le nombre de fois où j’ai crié : « Arrêtez, ne tirez pas ! ».

La démolition de la dernière maison a été de loin la plus éprouvante. La famille a subi un terrible choc. Les soldats ont tenté d’empêcher les internationaux de passer, en pointant leurs armes sur nous.

On ne savait pas bien laquelle des deux maisons était visée par les bulldozers. Devant la première maison, il y avait plusieurs femmes pétrifiées qui rassemblaient autour d’elles leurs jeunes enfants. Je songeais à ma soeur et à ma jolie nièce. Pendant le court instant propice, nous nous sommes engouffrées dans la maison avec les femmes et les enfants, nous y enfermant à clé. Et c’est alors que nous avons réalisé ce qui se passait dans la maison voisine. Les membres de la famille s’étaient installés sur le toit, manifestant bruyamment leur chagrin. Quatre « internationales » sont restés auprès des femmes et trois d’entre nous, en évitant les soldats, avons rejoint la famille sur le toit de leur maison à demi construite.

Je n’oublierai jamais la détresse de cette famille. Sur le toit, quand je suis arrivée, régnait la confusion la plus totale. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Un jeune homme était allongé par terre, immobile, les membres de la famille essayant de le faire revenir à lui. De temps en temps, il était pris de convulsions, hurlant de douleur. Un autre homme affalé sur le sol se tordait frénétiquement. Il fallait sans cesse le tenir éloigné du bord du toit ouvert. J’étais pratiquement certaine qu’il s’agissait de troubles émotionnels, mais inconsciemment me revenaient en mémoire les histoires qu’on m’avait racontées sur l’armée israélienne et sur ces gaz inconnus qu’elle avait utilisés et qui avaient affaibli les victimes pendant une semaine. J’ai entendu une explosion, puis un troisième homme s’est mis à hurler en se tenant la jambe. J’ai pensé qu’on lui avait tiré dessus. C’est la première fois que j’ai véritablement senti que j’avais peur. Peut-être une balle l’avait-elle frôlé mais heureusement, il n’était pas touché. Une vieille femme s’est effondrée. Tout le monde gémissait ou hurlait en invoquant Allah. Le divin s’est matérialisé sous la forme de secouristes. Les secouristes sont les saints de ce bas monde. Heureusement, l’armée n’a pas tenté de les empêcher d’entrer dans la maison.

La situation s’est calmée légèrement pendant un bref instant. Puis les 30 soldats qui étaient déployés autour de la maison, se sont rassemblés. Ils allaient, de toute évidence, entrer en action. Ce qui n’était pas évident, c’est ce qu’ils allaient faire.

Ils sont entrés en masse dans la maison. Ils ont grimpé la structure en béton où l’escalier devait être posé dans cette maison encore en construction. Me bousculant au passage, ils ont fait redescendre les Palestiniens en les attrapant et en les poussant. Quatre personnes étaient toujours soignées par les ambulanciers. Ils les ont soulevées du sol et les ont traînées à l’extérieur.

Une fois que tout le monde était dehors, l’armée israélienne s’est mise à lancer des « sound bombs » et à tirer des balles en caoutchouc. Les bombes explosaient tout autour de l’ambulance et un homme a été touché par une balle en caoutchouc à un mètre ou deux de l’ambulance.

Certains étaient frappés par les soldats. Qui faisaient tomber les gens par terre. Qui nous hurlaient leur haine au visage, la salive de l’un d’eux atteignant le mien.

Au cours de la démolition, les soldats se sont mis à tirer des balles en caoutchouc sur un groupe essentiellement composé de femmes et d’enfants, qui devant leur maison, regardaient la scène.

Il s’est passé tellement d’atrocités ce jour-là. Mais c’est cette fusillade arbitraire qui m’a mise en fureur. Un des soldats avait son arme pointée sur les femmes. Je lui ai crié d’arrêter le plus fort qu’il m’était alors possible, mais très clairement. Il m’a regardée. Nos regards se sont croisés pendant un moment qui m’a semblé une éternité. Il n’a pas tiré. Je suis parfaitement consciente que la seule raison pour laquelle je peux parvenir à ce résultat, c’est à cause d’un racisme inhérent et profondément, très profondément ancré. Heureusement il y a encore des situations où le privilège d’être international fonctionne.

Trois personnes ont été emmenées à l’hôpital de Qalqiliya, sept dans des cliniques des environs pour être soignées pour les blessures occasionnées par les balles en caoutchouc et pour commotion.

Un jeune homme sanglotait, assis sur une pile de gravats qui figuraient l’avenir de sa famille.
La raison de tout cela ? Une Occupation brutale, raciste et illégale.

Et si vous voulez entendre les raisons invoquées par l’armée israélienne, c’est que les Palestiniens ont osé construire sur leur propre terre, dans leur propre village sans l’autorisation d’Israël.

Quant au fait qu’il est pratiquement impossible d’obtenir des permis de construire, c’est une autre histoire.

Jane Smith travaille actuellement pour l’ « International Women’s Peace Service » en Cisjordanie. IWPS est une association de solidarité qui rend compte et intervient dans les violations des droits humains.

Jane Smith
Version anglaise : House Demolitions in the West Bank

December 5, 2006


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