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Iran : « Bush veut la guerre, pas nous... »

vendredi 9 novembre 2007 - 06h:23

Manouchehr Mottaki & Sara Daniel - Le Nouvel Obs

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Nous cherchons à nous doter de l’énergie nucléaire, admet Manouchehr Mottaki. Mais nous n’avons pas l’intention de produire une arme atomique. Et les Américains le savent...

Le Nouvel Observateur - Sommes-nous à la veille d’une guerre ou y a-t-ïl encore une négociation possible sur votre programme nucléaire ?

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Manouchehr Mottaki

Manouchehr Mottaki - Je suis un diplomate de carrière. Je dois donc, par principe, vous répondre que non, nous ne sommes pas à la veille d’une guerre. A mon avis, la diplomatie n’est pas au bout de ses efforts. Mais nous sommes très inquiets de cette escalade vers la guerre qui est le fait de nos interlocuteurs et entraînerait une catastrophe comparable à celle de l’Irak aujourd’hui. N’oublions pas que le rapport Baker-Hamilton (1) ne reflétait qu’une petite partie des problèmes rencontrés par les Etats-Unis en Irak.

Jour après jour, les Américains veulent organiser des discussions, notamment avec l’Iran, pour tenter de résoudre la crise . Ils veulent partager leur fardeau irakien. Ils sont aujourd’hui tellement faibles sur le terrain qu’ils négocient avec des terroristes de tout bord, d’anciens baassistes ou des salafistes. Eux qui croyaient être les plus puissants de la planète sollicitent désormais l’aide de leurs ennemis.

Le président Ahmadinejad est convaincu de la nécessité d’aider les Américains à sortir de ce nouveau bourbier. Pour que Bush ne répète pas l’erreur stratégique de l’intervention en Irak, il a proposé au président américain un débat public télévisé sur la question nucléaire. La logique peut résoudre la crise actuelle. Mais les Américains s’éloignent de plus en plus de la logique.

Alors même qu’ils ne sont plus en mesure d’imposer une guerre dont le front s’étendrait de la Chine jusqu’à Israël. Bush a reçu un avertissement lors des dernières élections. Il n’a plus le pouvoir d’imposer nouveau fardeau aux Américains. Mais s’il existe des hommes politiques sages au sein de l’administration américaine, d’autres, comme Dick Cheney, doivent s’acquitter des engagements qu’ils ont pris auprès des fabricants d’armes de leur pays. Ils souhaitent doubler les milliards de dollars qu’ils ont déjà acquis au cours des crises provoquées dans la région. Et le calendrier électoral les presse.

Le Nouvel Observateur - Comment réagissez- vous aux sanctions américaines et aux menaces de sanctions européennes ?

M. Mottaki - Comme par le passé, ces sanctions sont vouées a 1 échec. Début 1990, les Américains ont impose des sanctions unilatérales sur les investissements pétroliers. Les premiers à violer ces sanctions ont été les Français. La société Total a remplacé les sociétés américaines, et les Français ont rendu caduc l’effet des sanctions imposées à l’Iran. Maintenant, imaginons que quelques pays européens s’associent aux sanctions américaines. Qui remplacera alors Total ?

Croyezvous que les Russes, qui aimeraient dominer le marché européen, laisseraient passer cette occasion ? Et dans l’hypothèse ou Gazprom remplacerait Total en Iran, serait-ce une raison suffisante pour que la France cesse ses importations en provenance de Russie ? Dans le monde d’aujourd’hui, c’est l’intérêt de chacun qui domine.

Le Nouvel Observateur - L’Iran approche du seuil de 3 000 centrifugeuses qui pourraient permettre de produire assez de matière fissile pour h fabrication d’une bombe nucléaire. Pour la communauté internationale, l’arrêt de l’enrichissement est un préalable à toute discussion. Etes-vous prêt à accepter les conséquences de la poursuite de votre programme nucléaire ?

M. Mottaki - Vous abordez cette question avec la même attitude erronée que celle de du ministre français de la Défense à Abou Dhabi. En émettant des doutes sur le caractère civil du programme nucléaire iranien, en contestant les propos de Mohamed ElBaradei, il a exprimé une position irresponsable.

Il est étonnant qu’on ne cesse de répéter qu’il revient aux organisations internationales comme l’Agence internationale de l’Energie atomique de régler les litiges tout en mettant en doute leurs propos ! Estce une manière d’influencer l’AIEA avant qu’elle ne rende son rapport ? C’est comme si je décidais de m’ exprimer à la place des syndicats français sur les grèves qui ont eu lieu à Paris. S’il dispose d’informations, votre ministre de la Défense n’a qu’à les mettre à la disposition de l’agence.

Le Nouvel Observateur- Mais l’Iran ne conteste pas le fait d’être arrivé au seuil des 3 000 centrifugeuses ?

M. Mottaki - Nous le reconnaissons, c’est vrai. Nous cherchons à nous doter de l’énergie nucléaire, comme nous y autorise le TNP (traité de non-prolifération nucléaire). Le ministre de la Défense français, qui s’inspire peut être de Jules Verne, désire-t-il nous prédire l’avenir ? A l’ambassade d’Iran à Genève, où je dînais avec des ambassadeurs, la conversation portait sur le désarmement et la question nucléaire, et l’un des invités m’a interrogé sur les intentions cachées de l’Iran.

Je lui ai demandé s’il avait un appareil pour tester la véracité des intentions. Nous sommes pour notre part tout aussi méfiants visà-vis des objectifs des Occidentaux. Et nous avons des raisons de l’être. Mais dans les questions internationales, on ne peut s’appuyer sur des rêveries ni sur des pressentiments. Nous sommes sur le point, c’est vrai, d’obtenir 3 000 centrifugeuses. Mais nous respecterons les contrôles de l’AIEA dans l’exploitation que nous ferons de nos capacités nucléaires dans les différents domaines civils. Nous n’avons pas l’intention de sortir du cadre du traité de non-prolifération.

En réalité, les inquiétudes exprimées par George Bush procèdent d’un état d’esprit propre à ceux qui s’efforcent d’attiser le feu du conflit. Car les Américains eux-mêmes savent que nous ne cherchons pas l’arme nucléaire. Comme Vladimir Poutine, qui lors de sa dernière visite à Téhéran a déclaré au président Ahmadinejad qu’il était persuadé que l’Iran ne voulait pas la bombe. En fait, les Américains cherchent à neutraliser les efforts diplomatiques et à gagner du temps.

Au cours de ma dernière visite à New York, le ministre des Affaires étrangères d’un pays occidental m’a dit qu’il possédait des documents qui montraient que l’Iran aidait les talibans en Afghanistan. Je lui ai demandé si ces documents étaient aussi authentiques que ceux dont Colin Powell avait fait état devant l’ONU à la veille de la guerre d’Irak et qui avaient motivé le soutien du pays de mon interlocuteur à l’intervention américaine. Il m’a dit qu’il avait compris mon argument. Il est clair que le précédent irakien rendra plus difficile pour les Américains la tâche de convaincre la communauté internationale du bien-fondé d’une guerre contre l’Iran.

Le Nouvel Observateur - Votre conviction, c’est donc que George Bush veut la guerre et qu’il choisit n’importe quel prétexte, comme le nucléaire ou l’aide de l’Iran aux talibans ou aux terroristes irakiens, pour la déclencher ?

M. Mottaki - C’est exact. J’ajoute que George Bush ne mesure pas les conséquences de cette guerre aventureuse qu’il appelle de ses voeux.

Le Nouvel Observateur - La démission du négociateur iranien pour la question nucléaire, Ali Larijani, remplacé par un proche du président Ahmadinejad, signifie-t-elle que les partisans de la guerre ont gagné en Iran ?

M. Mottaki - Ali Larijani a toujours défendu non seulement la position du président Ahmadinejad, mais celle de tout le peuple iranien. Larijani lui-même, le Guide suprême, l’Assemblée et tous les organes de décision défendent le droit inaliénable de l’Iran à la technologie nucléaire. Droit que tous les Etats devront reconnaître.

Alors si vous me demandez si c’est le président qui est désormais en charge de tout le dossier nucléaire, je vous réponds que c’est le peuple iranien dans son ensemble qui s’occupe de défendre ses droits. Mais si votre question est de savoir qui s’occupe de quoi au sein de la république islamique, alors je vais vous répondre clairement. L’Iran n’est pas un pays où un individu gouverne seul. Nous nous efforçons de nous éloigner de la dictature que nous avons connue sous le chah.

Le Nouvel Observateur - Y a-t-ïl des divergences entre le président et le Guide suprême sur la façon dont doivent être menées les négociations nucléaires, et qui décide en dernier recours ?

M. Mottaki - Il y a des consultations entre les instances de décision au plus haut niveau. Tout le monde est d’accord sur le but. Mais pour l’atteindre, il y a plusieurs tactiques. L’une consiste à restaurer la confiance de nos interlocuteurs. C’est pour cela, par exemple, que nous avons suspendu totalement pendant deux ans l’enrichissement de notre uranium. Mais cette restauration de la confiance ne doit pas être à sens unique. Nos adversaires doivent aussi nous rassurer.

Le Nouvel Observateur - Quels gages de votre bonne foi êtes vous prêt à donner aujourd’hui à la communauté internationale ?

M. Mottaki - Ce qui est nouveau, c’est que nous sommes prêts à coopérer avec tout pays qui ne conteste pas nos droits à l’acquisition de la compétence nucléaire, et cela dans le cadre légal du TNP Nous voulons nous acquitter de nos devoirs vis-à-vis de l’AIEA si l’on respecte nos droits. Si je voulais qualifier ce moment de l’histoire, je vous dirais que la situation m’évoque 1815, lorsque la démesure des ambitions de Napoléon a donné lieu à un consensus des nations européennes contre lui.

La guerre qui avait embrasé l’Europe et provoqué des catastrophes, comme la destruction de Moscou, s’était achevée par la déroute de Waterloo. Napoléon, comme les Américains en Irak, a causé la mort de milliers de soldats dans sa débâcle. Les impôts payés par les Américains financent aujourd’hui le déclin de l’empire américain. Il faut impérativement que le concert des nations remplace l’unilatéralisme américain.

Note :

(1)Rédigé en 2006 par un groupe d’experts américains, ce rapport dressait un tableau accablant de la situation en Irak et conseillait notamment à l’administration Bush d’entamer des discussions avec l’Iran et la Syrie.



Manouchehr Mottaki, 54 ans, a été nommé tête de la diplomatie iranienne par le président Ahmadinejad en 2005. Auparavant, il a été notamment ambassadeur en Turquie et au Japon, puis conseiller du ministre des Affaires étrangères.


Manouchehr Mottaki :

- Mottaki : l’Iran n’a aucune intention de nier l’Holocauste
- « L’Iran est une partie de la solution »
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Manouchehr Mottaki & Sara Daniel - Le Nouvel Observateur, n° 2244, semaine du jeudi 8 novembre 2007


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