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Attaquez l’Iran et vous attaquez la Russie

mardi 30 octobre 2007 - 06h:11

Pepe Escobar - Asia Times Online

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Le point fort, dont les médias ont peu parlé, de la visite du Président russe Vladimir Poutine à Téhéran à l’occasion du sommet de la Mer Caspienne, la semaine dernière, a été la rencontre clé en tête-à-tête avec le dirigeant suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei.

Une source diplomatique à haut niveau à Téhéran a dit à Asia Times Online que, pour l’essentiel, Poutine et le Dirigeant Suprême s’étaient mis d’accord sur un plan pour invalider la campagne sans relâche de l’administration Bush en vue de lancer une attaque préventive, peut-être une frappe nucléaire tactique, contre l’Iran. Une attaque américaine contre l’Iran serait perçue par Moscou comme une attaque contre la Russie.

Mais ensuite, comme si cette bombe politique ne suffisait pas, est arrivée la démission brutale d’Ali Larijani, en tant que négociateur en chef iranien. En début de semaine à Rome, Larijani a déclaré à l’agence de presse IRNA que "la politique nucléaire de l’Iran est stable et ne changera pas avec le remplacement du secrétaire du Conseil Suprême de Sécurité Nationale [CSSN]". Larijani continuera à assister aux réunions du CSSN, désormais en tant que représentant du Dirigeant Suprême. Il a même pris le temps de rappeler à l’Occident que dans la République Islamique toutes les décisions-clés concernant le programme nucléaire civil sont prises par le Dirigeant Suprême. Larijani s’est vraiment rendu à Rome pour rencontrer Javier Solana, de l’Union Européenne, en compagnie du nouveau négociateur iranien, Saïd Jalili, un ancien membre du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique [CGRI], comme Mahmoud Ahmadinejad.

En elle-même, la rencontre entre Poutine et Khamenei a été extraordinaire, parce que le Dirigeant Suprême reçoit rarement des chefs d’Etats étrangers, même aussi cruciaux que Poutine, pour des discussions à huis clos. Selon notre source diplomatique, le président russe a déclaré au Dirigeant Suprême qu’il pourrait détenir la solution ultime sur le dossier nucléaire iranien qui n’en finit pas d’être controversé. Selon l’IRNA, le Dirigeant Suprême, après avoir souligné que le programme nucléaire civil iranien se poursuivra avec la même vigueur, a dit : "Nous allons réfléchir à ce que vous avez dit et considérer votre proposition".

Larijani a déclaré en personne à la presse iranienne que Poutine avait un "plan spécial" et que le Dirigeant Suprême avait fait remarquer que ce plan était "appréciable". Le problème est qu’Ahmadinejad a réfuté publiquement que les Russes avaient offert un nouveau plan.

Les faucons iraniens proches d’Ahmadinejad racontent que la proposition de Poutine implique que l’Iran suspende temporairement l’enrichissement d’uranium en échange de la fin des sanctions onusiennes. C’est essentiellement ce sur quoi le chef de l’Agence Internationale à l’Energie Atomique, Mohammed el-Baradei, a travaillé tout ce temps. La question-clé est de savoir ce que l’Iran obtiendra en retour - en termes pratiques. Il est évident que ce n’est pas l’Européen Solana qui aura la réponse. Mais, là où la Russie est concernée, stratégiquement rien ne l’apaisera, sauf une solution politique et diplomatique au dossier nucléaire iranien.

Le Vice-Président étasunien Dick Cheney - que même la Sénatrice Hillary Clinton compare à Darth Vader - doit en baver de rage ; mais le fait est qu’après le sommet de la Caspienne, l’Iran et la Russie sont officiellement liés dans un partenariat stratégique. Pour eux, la Troisième Guerre Mondiale n’est certainement pas d’actualité.

Faisons une autre lecture à partir du même script !

Derrière la controverse interne visible, à savoir jusqu’où exactement Poutine et le Dirigeant Suprême sont sur la même longueur d’onde, se cache un désaccord sérieux dans les hautes sphères de la République Islamique. Le remplacement d’Ali Larijani, un faucon réaliste, par Jalili, une inconnue aux origines bellicistes plus marquées, pourrait annoncer une victoire d’Ahmadinejad. Cela n’est pas si simple.

Le puissant Ali Akbar Velayati, le conseiller diplomatique du Dirigeant Suprême, a dit qu’il n’approuvait pas du tout ce remplacement. Encore pire : concernant la présidence épouvantable d’Ahmadinejad en matière d’économie, une critique en règle est à présent la norme. Un autre ancien négociateur nucléaire, Hassan Rowhani, a déclaré au quotidien Etemad-e Melli : "Les effets des sanctions [de l’ONU] sont visibles. Notre situation empire de jour en jour."

Ces deux derniers mois, Ahmadinejad a placé ses anciens frères d’armes du CGRI aux postes-clés, comme la présidence de la banque centrale et les ministères du Pétrole, de l’Industrie et de l’Intérieur. La répression intérieure va bon train. Dimanche dernier, des centaines d’étudiants ont protesté à l’Université Amir-Kabir de Téhéran, scandant "Mort au Dictateur !"

Le rusé et suprême pragmatiste, Hashemi Rafsandjani, aujourd’hui chef du Conseil des Experts et en pratique une personnalité beaucoup plus puissante qu’Ahmadinejad, n’a pas mis longtemps à dire publiquement : "nous ne pouvons pas faire plier les pensées des gens avec des régimes dictatoriaux".

Cette semaine, le Dirigeant Suprême en personne est intervenu, déclarant : "J’approuve ce gouvernement, mais cela ne veut pas dire que j’approuve tout ce qu’ils font." Sous les circonstances actuelles explosives, cela aussi équivaut à une bombe politique.

Comme si tout le monde avait besoin qu’on lui rappelle, c’est le Dirigeant Suprême qui hérite de la responsabilité, dont le dernier souhait sur terre est de fournir un prétexte à l’administration Bush pour lancer la Troisième Guerre Mondiale. Si Ahmadinejad dévie à présent d’un script stratégique soigneusement élaboré, le Dirigeant Suprême pourrait tout simplement s’en débarrasser.


Pepe Escobar est l’auteur de "Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War" [Globalistan : Comment le Monde Globalisé se Dissout dans la Guerre Liquide] (Nimble Books, 2007).


Du même auteur :

- "French kiss" de guerre pour l’Iran
- Bienvenue dans l’été de la haine
- Le nouveau Saladin
- Le bus de nuit au départ de Bagdad

Pepe Escobar : Asia Time Online, le 25 octobre 2007 :
Attack Iran and you attack Russia
Traduit de l’anglais par Jean-François Goulon, Questions critiques


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