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Gaza cadenassée

samedi 27 octobre 2007 - 06h:39

Michel Bôle-Richard - Le Monde

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"Quand les Européens comprendront-ils qu’ils ne font que cautionner les pratiques de l’Etat d’Israël, qu’ils financent l’occupation ?"

Dans le paysage dévasté de la bande de Gaza, un nouvel élément a fait son apparition. D’énormes buttes de sable coupent partiellement les rues, obligeant les voitures à zigzaguer. Ces obstacles sont censés empêcher l’avancée des blindés israéliens en cas d’incursion profonde. Les Palestiniens mettraient alors des explosifs à l’intérieur de ces remparts qui font aujourd’hui partie du décor.

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Un Palestinien portant un enfant marche vers le point de passage d’Erez (nord de Gaza), le 21 juin 2007 - Ph. AP/A. Hana

Depuis que les autorités israéliennes ont décrété la bande de Gaza "entité hostile", le 19 septembre, les Gazaouis s’attendent au pire. Ehoud Barak, le ministre de la défense, n’a pas caché qu’il envisageait sérieusement une intervention massive pour mettre au pas le Hamas, qui a pris le contrôle du territoire le 15 juin. Depuis, c’est la peur, peur de Tsahal, peur des islamistes, peur du lendemain.

Tout le monde attend sans savoir ce que l’avenir réserve à ce confetti rectangulaire de 360 km2 peuplé de 1,5 million d’habitants. Une des plus fortes densités au monde, 1,5 million de personnes qui depuis plus de quatre mois sont littéralement séquestrées dans ce réduit. Sauf pour quelques chanceux qui parviennent à obtenir des autorisations israéliennes, il est impossible de s’évader de Gaza.

L’unique point de passage vers l’Egypte, celui de Rafah, est fermé ; celui de Karni, vers Israël, réservé aux marchandises, est une zone désertée. Seuls les produits alimentaires de première nécessité rentrent à Shoufa et à Kerem Shalom. Un goutte-à-goutte qui permet à la population de survivre. C’est tout. Le blocus est pratiquement total. La communauté internationale avait mis en place des sanctions après la victoire du Hamas aux élections du 25 janvier 2006, pourtant jugées démocratiques. Aujourd’hui, Israël donne le dernier tour de vis, laissant juste un filet d’air pour ne pas asphyxier tout un peuple. Le ministère de la défense a décidé le 25 octobre de réduire ses livraisons de carburant et de limiter la fourniture d’électricité en représailles aux tirs de roquettes palestiniens.

Personne ne meurt de faim, mais les premiers signes de pénurie sont apparus. Les prix se sont envolés, multipliés par trois pour la farine, par cinq pour le ciment. Il y a de plus en plus de mendiants, de moins en moins de mariages. Rien ne sort, le peu qui rentre est soumis au bon vouloir des Israéliens. Le filtre ne laisse plus passer que les produits israéliens, les autres sont interdits. "La bande de Gaza n’est plus considérée comme une identité commerciale. On a été rayé de la liste. L’occupation était mauvaise, mais maintenant c’est pire. Nous sommes écrasés, et tout le monde s’en lave les mains", s’indigne Mazen Shaquoura, représentant de l’Agence suisse pour le développement et la coopération. Les agriculteurs ne pourront pas exporter leurs fraises et leurs fleurs coupées. Quelque 670 étudiants, inscrits dans les universités en Egypte ou ailleurs, n’ont pas pu sortir, selon une ONG israélienne, Gisha, qui a intenté un recours devant la Cour suprême. La construction s’est totalement arrêtée. Plus aucun matériau ne rentre. L’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, a interrompu tous ses travaux.

"Sur les 4 000 petites entreprises, il n’y en a pas plus de 400 qui fonctionnent ; et encore, à 60 % de leur capacité, constate Mohsen Abou Ramadan, directeur de l’Arab Center for Agricultural Development. Nous allons à la catastrophe, mais personne n’a l’air de s’inquiéter. C’est un siège ? C’est une punition collective ? C’est une violation de la convention de Genève, des accords d’Oslo et des droits de l’homme. Pourquoi n’y a-t-il aucune pression sur Israël ?" Ici, 70 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (moins de 2 dollars par jour) et 43 % en dessous du seuil d’extrême pauvreté (moins de 1 dollar). "Il faut laisser les gens vivre avec dignité. Il ne faut pas les priver d’espoir, sinon le pire peut arriver", s’inquiète l’économiste Omar Shaban.

Mazen Al-Amassi est désespéré. Ce fabricant de meubles a licencié ses 150 ouvriers. Ses hangars sont pleins, mais il ne peut exporter. Un million de dollars de marchandises dorment dans ses entrepôts,bien emballées, prêtes à partir depuis quatre mois. Toutes les activités sont touchées. Même le secteur bancaire, depuis que deux banques israéliennes ont décidé de ne plus faire d’opérations avec la bande de Gaza. Début octobre, le Hamas a payé quelque 20 000 fonctionnaires en espèces. Les banques qui le faisaient auparavant risquaient de subir des pressions d’Israël, qui exige de ne pas servir le Mouvement de la résistance islamique de quelque manière que ce soit. Des rumeurs circulent sur un manque de liquidités imminent.

Plus aucun produit manufacturé, plus aucune pièce de rechange n’est importé. Chaque jour, 106 camions permettent à la population de ne pas sombrer dans une crise humanitaire. Avant le coup de force du Hamas, il y en avait en moyenne 238. Dans les hôpitaux, le matériel en panne ne peut être remplacé. Il est bloqué sur le port d’Ashdod. Le 4 octobre, le ministre de la santé, Bassem Naïm, a lancé un cri d’alarme face à "la pénurie aiguë de médicaments et d’équipements médicaux". "Les malades qui ont besoin d’être soignés en Israël ou à l’étranger ne peuvent plus sortir. Alors, ils meurent chez nous", déplore le docteur Fayez Al-Hinawi, à l’hôpital de Jabaliya. Le journal Maariv a publié le témoignage d’un malade qui n’a pu obtenir le permis d’entrer en Israël, car il refusait, en échange, de devenir un collaborateur du Shin Bet, les services de sécurité intérieure. Plusieurs autres cas de chantage de cette nature ont été évoqués.

La pression est maximale. "Les gens n’ont plus qu’une envie : partir, s’échapper. Si les frontières s’ouvraient, ce serait le raz de marée", estime Khalil Abou Shammala, de l’association de défense des droits de l’homme Al-Dameer. D’après un sondage, ils seraient 47 %, soit plus de 700 000 personnes, à vouloir fuir ce qui est devenu un enfer. La bande de Gaza s’enfonce dans la pauvreté et le chômage, et ses habitants sont pris au piège. "Nous sommes kidnappés et, pour survivre, on paye la nourriture aussi cher qu’à Tel-Aviv parce que les Israéliens en profitent. Nous sommes devenus un marché captif. Les Israéliens ne vendent que leurs produits. C’est du colonialisme moderne ! C’est pire que l’occupation !", s’exclame l’économiste Omar Shaban. Pour lui comme pour beaucoup d’autres, il est temps que la communauté internationale commence à ouvrir les yeux.

"Les Israéliens ont détruit la centrale électrique, l’aéroport, des ponts et le port, qui ont été financés par des Etats européens, et l’Union européenne continue de payer pour subvenir aux besoins élémentaires de la population. Quand les Européens comprendront-ils qu’ils ne font que cautionner les pratiques de l’Etat d’Israël, qu’ils financent l’occupation ?", fulmine Mazen Shakoura, de l’Agence suisse pour le développement et la coopération.

Pour l’organisation de défense des droits de l’homme B’Tselem, "les agences humanitaires et la communauté internationale doivent demander à Israël de prendre ses responsabilités". B’Tselem rappelle que, depuis le désengagement de l’été 2005, 2 800 roquettes sont tombées sur Israël, causant la mort de 4 personnes, et que les autorités ont répondu par "une force massive, tuant 668 Palestiniens, dont 359 totalement étrangers aux combats (du 1er septembre 2005 au 25 juillet 2007)".

Placés dans une logique de survie, les Gazaouis s’interrogent sur leur devenir. Coincés entre la pression d’Israël et les exigences des islamistes, oubliés par le gouvernement de Salam Fayyad à Ramallah, victimes de jeux politiques et diplomatiques qui les dépassent, les habitants ont perdu tout espoir. D’autant qu’ils subissent la mise au pas imposée par les islamistes. Selon l’organisation Al-Dameer, plus de 2 000 membres du Fatah ont été arrêtés depuis le 15 juin. "Il n’y a pas de justice, pas de respect des règles, pas de garantie des droits fondamentaux. C’est la loi de la jungle. Le Hamas fait ce qu’il veut", explique Khalil Abou Shammala, de l’association Al-Dameer. Les procédures d’interrogatoire sont plutôt musclées. Certains ressortent le crâne totalement rasé, en signe d’opprobre aux yeux du public, et après paiement, par la famille, d’une caution de 1 000 shekels (174 euros).

La population se retrouve prise en étau. D’un côté, les islamistes, qui ont pris le contrôle de toutes les institutions et abusent de leur nouveau pouvoir - ceux qui ne font pas acte d’allégeance aux nouveaux maîtres sont considérés comme des ennemis, "des collaborateurs de l’entité sioniste". De l’autre, les Israéliens, qui, après s’être retirés de la bande de Gaza, ont totalement cadenassé ce territoire, qu’ils considèrent comme un furoncle. "Dans quinze ans, nous serons 3 millions. C’est pourquoi ils nous étranglent, nous ruinent. Ils veulent nous faire partir. C’est leur objectif, fait remarquer Khalil Abou Shammala. Mais la plupart d’entre nous sommes déjà des réfugiés venus d’Israël. Nous n’avons nulle part où aller."


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Michel Bôle-Richard, envoyé spécial à Gaza - Le Monde, le 26 octobre 2007


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