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Que reste-t-il de la génération Yitzhak Rabin ?

samedi 27 octobre 2007 - 06h:25

Lily Galili - Ha’aretz

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A l’heure de la célébration du 10e anniversaire de l’assassinat du Premier ministre israélien, Ha’Aretz a voulu savoir ce que sont devenus ces jeunes qui manifestaient pour la paix. Reportage

En novembre 2005, deux images s’étaient imprimées dans notre mémoire collective. Celle d’Eitan Haber [chef de cabinet de Rabin] annonçant au nom du gouvernement le décès de Yitzhak Rabin. Et celle des yildei ha’nerot [enfants aux bougies] réunis sur la place des Rois d’Israël [rebaptisée depuis place Yitzhak Rabin].

L’expression “Lo nishka’h ve lo nisla’h” [“Nous n’oublierons ni ne pardonnerons”] était à ce point entrée dans la conscience israélienne que même les colons évacués du Goush Katif [en août 2005] ont fini par la reprendre à leur compte. Peut-être que nul n’a oublié ni pardonné, mais dix ans après, que reste-t-il de ces promesses ? Que reste-t-il du mouvement “Dor shalem doresh shalom” [Une génération entière exige la paix] ? Que reste-t-il de ces jeunes qui se trouvaient si beaux et qui s’étaient convaincus que ces trois balles allaient changer leurs vies ? Rien. Ou si peu.

Dans le livre qu’il vient de publier sur l’assassinat de Yitzhak Rabin, Yad Ish be A’heiv [Frères d’armes], Yoram Peri, professeur de communication à l’université de Tel-Aviv et ancien directeur du quotidien travailliste Davar, révèle que “sur une échelle amour-haine de un à dix, la jeune génération place Rabin bien plus bas que les autres groupes d’âge... Les rassemblements sur la place Rabin n’ont eu aucun effet cumulatif à long terme.” Si les adolescents d’aujourd’hui se rappellent à peine la date de l’assassinat de Rabin, ils ne risquent par contre pas d’oublier son meurtrier, Yigal Amir, lequel voit sa vie affective étalée chaque jour dans la presse.
En une décennie, les yildei ha’nerot ont changé : ils ont grandi et accompli leur service militaire. Certains ont été blessés ou tués dans des attentats, d’autres ont perdu des amis, d’autres encore font des affaires, d’autres enfin sont devenus haredim, [extrémistes religieux], etc. Certains des “Enfants aux bougies” ont voté pour Ariel Sharon, d’autres sont devenus tout simplement cyniques ou désenchantés. Bref, en dix ans, ils ont vécu des choses qui ont davantage forgé leurs vies que l’assassinat de Rabin.

Il y a neuf ans, lors du premier anniversaire de l’assassinat de Rabin, plusieurs ados d’un lycée de Holon [une banlieue défavorisée du sud de Tel-Aviv] avaient laissé des graffitis sur les murs de la place des Rois. Neuf ans plus tard, Ephraïm Menashé, l’auteur des graffitis, refuse d’en parler. Après s’être essayé à la politique puis au football, il est devenu haredi.
Oren Tabibian, un de ses anciens copains, a aujourd’hui autre chose à penser. Comme la plupart des jeunes adultes holonim [habitants de Holon], il vit encore chez ses parents. Le meurtre l’avait choqué, mais il avoue s’être toujours tenu à distance de la “jeunesse des bougies”. Il se moquait de ces Telavivim [des beaux quartiers] quand ils criaient “nous avons perdu un grand-père.” “Qui peut croire que trois balles peuvent changer ce pays ? On a digéré l’affaire avec notre cynisme habituel. Je ne suis pas un rêveur, moi.” En 1996, il a protesté à sa façon, tout simplement, en ne votant pas. Avec le recul, même cette infime manifestation de désaccord lui semble puérile et exagérée.

S’il ne participe pas aux rassemblements en mémoire de Rabin, ce n’est pas parce qu’il est devenu de droite, certainement pas. Il se rappelle très bien et trop bien les incitations au meurtre auxquelles avaient cédé les dirigeants du parti de droite Likoud. Mais il n’apprécie pas la façon dont ils se sont ensuite mués en pleureuses. S’il ne se joint pas aux cérémonies, c’est parce qu’elles lui semblent le comble de l’hypocrisie. Surtout, il ne parvient pas à ôter de son esprit que l’assassinat de Rabin est le fruit d’un complot. De qui ? Pour qui ? Il ne le sait pas, mais ça suffit pour qu’il se méfie des pleureuses.

Roman Kogan a l’âge de Tabibian mais, en novembre 1995, cela ne faisait que quatre ans qu’il avait émigré d’Estonie (République ex-soviétique). Au moment de l’assassinat, il était chez lui. Pendant qu’il regardait à la télévision Crocodile Dundee, ses parents regardaient dans une autre pièce la télévision russe. “Si je n’avais pas couru les prévenir, ils n’auraient appris la nouvelle que le lendemain.” Adolescent sans aucune culture politique, Roman Kogan s’était toujours efforcé de se fondre dans la société israélienne. Il avait rompu avec ce “groupe russe” dont la plupart des membres, aliénés et pétris de haine anti-israélienne, s’étaient fait un point d’honneur de manifester l’indifférence la plus ostentatoire envers le meurtre de Rabin. Pour lui, au contraire, l’assassinat fut un choc culturel. “J’avais jusqu’alors cru que j’allais m’intégrer dans une démocratie normale.”

Contrairement à la plupart des russophones, chez qui les rassemblements place Rabin rappelaient le culte de Staline ou de Brejnev, il était jaloux des “jeunes aux bougies”. “Pour je ne sais quelle raison, je trouvais qu’ils avaient plus de maturité et de lucidité que moi. Ils étaient issus de mouvements de jeunesse. Moi, je venais de la ?périphérie’ et j’étais déchiré entre cette envie et la méfiance envers tout collectif héritée de l’ère soviétique.” C’est cet assassinat qui semble lui avoir tout appris quant au type de société dans laquelle il était en train de s’intégrer. Cette société qu’il percevait comme uniforme, secrète et fermée, il la voyait soudain divisée en deux blocs, dont l’un avait accouché de Yigal Amir. Et le meurtre le fit adhérer sans réticence à l’autre de ces deux blocs, celui qui pleurait Rabin. Il milite désormais aux côtés du député Roman Bronfman [dissident des nationalistes de Nathan Charansky et membre du petit Parti social-démocrate de Yossi Beilin].

Adolescent, Udi Gilad avait quitté le mouvement de jeunesse travailliste Mahanot Ha’Olim bien avant l’assassinat de Rabin. Mais il participa tout de même aux convois affrétés par le Parti travailliste pour aller manifester place des Rois d’Israël. “Je sais, ça fait très cliché, mais je me suis vraiment senti orphelin d’un grand-père. Ce sentiment ne m’a jamais quitté depuis.” Gilead a passé de longues nuits à veiller avec la “jeunesse des bougies”, ce qui lui a longtemps donné le sentiment d’appartenir intensément à un collectif clairement opposé à “ceux d’en face”.

“Je n’ai jamais cessé d’en vouloir aux nationalistes religieux. Ces gens devraient être rongés par le remord et se voir renvoyer sans cesse leur culpabilité à la figure. Mais c’est comme si rien ne s’était passé. C’est la faute aux dirigeants [Pérès et Barak] de notre mouvement, qui ont agi comme s’il était vital de courir après l’électorat qui avait assassiné Rabin, comme s’il fallait à tout prix réduire, au risque de le nier, le fossé qui nous séparait. Or ce fossé existera toujours.”

Aujourd’hui âgé de 27 ans et armé d’un diplôme en sciences de l’environnement de l’université de Tel-Aviv, Udi Gilead s’était d’abord persuadé que l’éducation est la clé de tout changement et avait décidé de réintégrer son mouvement de jeunesse. “L’avenir d’une gauche nouvelle semblait a priori prometteur. Mais les militants ont disparu aussi vite qu’ils étaient apparus. Certains ont même voté pour Sharon ! Moi, cette régression m’a tellement radicalisé que je n’ai plus de famille politique.”

Qu’est devenu le jeune adolescent qui voulait changer l’Etat ? “J’ai grandi et j’ai mûri. La confrontation avec la réalité quotidienne a éteint la flamme. Si on m’avait dit, en novembre 1995, que notre pays ressemblerait à ça dix ans plus tard, je ne l’aurais jamais cru. Je crois qu’il n’est pas possible de changer Israël. Mais ce n’est pas une raison de ne pas continuer à essayer.”



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Lily Galili - Ha’aretz, via le Courrier international, supplément au n° 784 - 10 novembre 2005


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