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Qui donc a peur du lobby israélien ?

mercredi 10 octobre 2007 - 06h:25

Ray McGovern - Counterpunch

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Presque tout le monde : les Républicains, les Démocrates et les Libéraux. On peut dire que l’indice de la peur n’est pas une question de parti et cette peur est palpable. L’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) [La Commission des Affaires Publiques Israélo-Américaines] se vante d’être l’organisation de lobbying de Capitol Hill [Le Congrès américain] la plus influente en matière d’affaires étrangères et l’a démontré encore et toujours et pas seulement à Capitol Hill.

Le pouvoir de ce lobby a rarement été démontré aussi clairement que dans sa capacité de supprimer l’horrible vérité du 8 juin 1967, pendant la Guerre des Six Jours :

o Israël a délibérément attaqué le navire de collecte de renseignements, l’USS Liberty, en sachant parfaitement qu’il s’agissait d’un navire américain, et ils ont fait de leur mieux pour le couler et ne laisser aucun survivant :
o Les Israéliens auraient réussi s’ils n’avaient interrompu leur attaque à la suite de l’interception d’un message leur apprenant que le commandant de la 6ème Flotte américaine avait lancé des avions de chasse vers cette scène ; et
o Jusque-là, 34 membres de l’équipage du Liberty avaient été tués et plus de 170 avaient été blessés.

Quantité d’analystes et de hauts responsables des services de renseignement le savent depuis des années. Que presque tous aient gardé un silence effrayant pendant 40 ans témoigne de la peur généralisée de toucher à ce sujet brûlant ! Encore plus éloquent est le fait que la NSA (National Security Agency) [l’Agence chapeautant l’ensemble des services secrets américains] ait détruit les enregistrements vocaux et leurs transcriptions entendus et vues par un grand nombre d’analystes des renseignements - des documents qui montrent sans aucun doute possible que les Israéliens savaient ce qu’ils faisaient.

L’Affreuse Vérité
Mais la vérité allait finir par sortir. Tout ce qu’il fallait, dans cette affaire, était qu’un journaliste courageux (du type espèce en danger) écoute les survivants de l’équipage et fasse un peu de recherche basique, ne se dérobant pas à dire qu’il s’agit de crimes de guerre et ne laissant pas aux responsables américains, du président à ses subalternes, la possibilité de supprimer - voire de détruire - les preuves accablantes provenant des communications israéliennes interceptées.

A présent, la grande presse a publié un exposé qui se base en grande partie sur les interviews de ceux qui ont été le plus intimement impliqués. Un article fleuve du journaliste d’investigation et Prix Pulitzer, John Crewdson, a paru le 2 octobre dans le Chicago Tribune et le Baltimore Sun, sous le titre "Nouvelles révélations dans l’attaque du Navire espion américain". Le sous-titre remporte le prix de la litote de l’année : "Anciens combattants, des documents suggèrent que les Etats-Unis et Israël n’aient pas dit toute la vérité sur l’incident mortel de 1967".

Mieux vaut 40 ans plus tard que jamais, je suppose. Un grand nombre d’entre nous étaient au courant de cet incident et l’ont couvert pendant très longtemps. Puis, ils ont essayé de l’exposer et d’en discuter pour les leçons qu’il contient pour aujourd’hui. Pourtant, il s’avère plus facile d’obtenir la publication d’un article lorsqu’un chien méchant mord une personne qu’un article explosif et de l’importance de cette histoire sensible.

Un Marine se Lève
Dans la soirée du 26 septembre 2006, je m’exprimais devant une foule débordante de 400 personnes à la National Avenue Church, à Springfield, dans le Missouri. Une personne m’a demandé ce que je pensais de l’étude réalisée par John Mearsheimer de l’Université de Chicago et de Stephen Walt d’Harvard, intitulée "Le Lobby Israélien et la Politique Etrangère des Etats-Unis". A l’origine, cette étude avait été commandée par l’Altlantic Monthly. Cependant, lorsque l’ébauche est arrivée au magazine, c’est aux cris de "paria" qu’elle a été accueillie. L’Atlantic n’a pas mis longtemps pour dire "merci, mais on n’en veut pas" et cette étude "lépreuse" a erré à la recherche d’un éditeur, n’en trouvant aucun auprès des américains. Finalement, c’est la London Review of Books qui l’a publiée en mars 2006.

J’ai lu cet article avec la plus grande attention et j’ai trouvé qu’il était très bien documenté et qu’il relevait d’un courage inhabituel. Voilà ce que j’ai répondu à mon interlocuteur, ajoutant que cette étude me posait deux problèmes :

o D’abord, je crois que les auteurs ont commis une erreur en attribuant la quasi-totalitéé des motivations de l’attaque américaine contre l’Irak au Lobby d’Israël et à ceux que l’on nomme les "néoconservateurs", qui dirigent notre politique et nos forces armées. Israël a-t-il été un facteur important ? Assurément. Mais, de point de vue, il y a un facteur d’égale importance : le facteur pétrolier et ce que le Pentagone appelle désormais "bases militaires durables" en Irak, déterminées par la Maison-Blanche et le Pentagone, comme nécessaires pour que les Etats-Unis dominent cette partie du Moyen-Orient.
o Deuxièmement, j’ai été intrigué que Mearsheimer et Walt n’aient jamais fait mention de la preuve, peut-être pas la plus parlante, mais à mes yeux la plus spectaculaire du pouvoir que le Lobby Israélien peut exercer en connaissance de cause sur notre gouvernement et notre Congrès. Bref, en juin 1967, après avoir délibérément attaqué l’USS Liberty, pendant deux heures, avec des bombardiers et des torpilleurs, dans l’intention de le couler et d’éliminer tout son équipage, et après avoir ensuite obtenu du gouvernement américain, de la Navy et du Congrès qu’ils étouffent l’affaire, le gouvernement israélien a appris qu’il pouvait, littéralement, commettre des meurtres en toute impunité.

Je me suis retrouvé face à 400 regards hébétés. L’USS Liberty ? Alors, j’ai demandé à l’assistance combien de personnes avaient entendu parlé de l’attaque contre le Liberty, le 8 juin 1967. Trois mains se sont levées ; j’ai interrogé celui qui se trouvait le près de moi.

Il s’est dressé, raide comme un piquet :
"Sergent Bryce Lockwood, Corps des Marines des Etats-Unis, à la retraite, Monsieur. Je suis membre de l’équipage de l’USS Liberty, Monsieur".

Retenant mon souffle, je lui ai demandé s’il voulait bien nous raconter ce qui s’était passé.
"Je n’ai jamais pu en parler, Monsieur. C’est difficile. Mais cela fait presque 40 ans et je voudrais essayer de le faire ce soir, Monsieur". Lockwood nous a rendu compte en personne de ce qui lui était arrivé - à lui, à ses collègues et à son navire - dans l’après-midi du 8 juin 1967. Pendant le quart d’heure qui a suivi on aurait pu entendre une mouche voler. Lockwood était un linguiste, affecté à la collecte des communications à partir de l’USS Liberty, un des navires les plus affreux et le plus facilement identifiable de la flotte, avec des antennes dans toutes les directions.

Le sergent raconta les évènements de ce jour fatidique, en commençant par la surveillance aérienne et navale du Liberty par les forces israéliennes, le matin du 8 juin. Après les attaques aériennes - bombes de 500 kilos et napalm - trois torpilleurs de 60 tonnes se sont alignés comme une escadrille prête à faire feu, pointant leurs tubes à torpilles sur le tribord du Liberty. Lockwood avait reçu l’ordre de jeter par-dessus bord l’équipement cryptologique hautement sensible et il venait juste de passer le bastingage séparant l’unité de la NSA du reste du bateau. Soudain, se remémore-t-il, il a eu l’impression de voir un gros objet noir et a ressenti une colossale explosion et il y avait un rideau de flammes. La torpille avait frappé en plein milieu de l’espace réservé à la NSA.

L’eau froide et grasse a fait reprendre ses esprits à Lockwood. Autour de lui, 25 de ses collègues étaient morts. Mais, il a entendu des gémissements : trois d’entre eux étaient encore en vie. Un de ses camarades a tiré l’un des survivants par l’écoutille et Lockwood a réussi à porter, en deux fois, les deux autres sur ses épaules et les transporter à travers l’écoutille. Cela voulait dire frapper à l’écoutille pour qu’on lui ouvre et retourner repêcher de l’eau son camarade, de peur qu’il ne dérive vers la mer par le trou de 12 mètres qu’avait fait la torpille.

A ce moment, Lockwood s’est arrêté de parler. Cela en était assez. Difficile, très difficile, même après 40 ans.

Que Savons-Nous d’Autre ?
L’article méticuleusement documenté de John Crewdson, de même que les 57 pages que James Bamford à dédiées à cet incident dans son livre "Body of Secrets" et les récentes confessions de ceux qui ont joué un rôle dans cette opération de camouflage, dressent un tableau que les survivants de l’USS Liberty ne peuvent que trouver exaspérant. La preuve de l’intention délibérée des Israéliens, contenue tant dans les communications interceptées que dans les témoignages, n’est pas récusable, même si les Israéliens continuent de décrire cet incident comme n’étant qu’une erreur terrible.

Crewdson à fait référence au capitaine de la Navy, Ward Boston, qui était l’avocat de la Navy nommé par l’Amiral John S. McCain (le père su Sénateur McCain) comme conseiller senior auprès de l’Amiral Isaac C. Kidd, désigné pour "enquêter sur tous ces faits et ces circonstances". Le fait qu’ils ne disposassent que d’une semaine pour réunir les preuves et qu’il leur était interdit de contacter les Israéliens pue le "camouflage".

Le 8 janvier 2004, le Capitaine Boston, aujourd’hui âgé de 84 ans, a signé une déclaration officielle, dans laquelle il se dit "indigné par les efforts que font dans ce pays les apologistes d’Israël pour prétendre que cette attaque était un cas ’d’erreur sur la personne’". Voici ce que Boston ajoutait :

"La preuve était limpide. Nous avions la certitude, tant l’Amiral Kidd que moi-même, que cette attaque ... fut un effort délibéré de couler un navire américain et d’assassiner tout son équipage ... Non seulement les Israéliens ont bien attaqué ce navire avec du napalm, des tirs d’obus et des missiles, les torpilleurs israéliens ont mitraillé trois canots de sauvetage qui avaient été mis à l’eau dans une tentative de l’équipage de sauver ceux qui étaient le plus gravement blessés - c’est un crime de guerre ... Je sais, à partir de conversations personnelles que j’ai eues avec l’Amiral Kidd, que le Président Lyndon Johnson et le Secrétaire à la Défense, Robert McNamara, lui avaient ordonné de conclure que cette attaque était un cas ’d’erreur sur la personne’, malgré la preuve accablante du contraire".

La raison pour laquelle les Israéliens avaient décidé de prendre cette mesure draconienne de couler un navire de l’US Navy est ouverte aux spéculations. Un point de vue est que les Israéliens ne voulaient pas que les Etats-Unis découvrent qu’ils massaient des troupes pour s’emparer du Plateau du Golan, appartenant à la Syrie, et qu’ils voulaient priver les Etats-Unis de l’occasion d’argumenter contre une telle man ?uvre. Une autre théorie : James Bamford, dans "Body of Secrets", rapporte la preuve, y compris le compte-rendu d’un journaliste qui a été le témoin oculaire et celui d’un historien militaire israélien, du meurtre en bloc de prisonniers de guerre égyptiens dans la ville côtière d’El Arish, dans le Sinaï. Le Liberty patrouillait juste en face de la ville côtière d’El Arish, dans les eaux internationales, mais suffisamment près pour recueillir des renseignements sur ce qui se passait là-bas. Et les Israéliens en avaient pleinement conscience.

Quant au pourquoi, eh bien ! quelqu’un devrait au moins approcher les Israéliens impliqués et leur poser la question, non ? La chose importante, ici, est de ne pas mélanger ce que l’on sait (la nature délibérée de l’attaque israélienne) avec le but qui se cachait derrière (qui reste une question de spéculation)

Autres Indignités
Se pliant à l’intense pression exercée par la Navy, la Maison Blanche a accepté de récompenser le capitaine du Liberty, William McGonagle, avec la Médaille d’Honneur ... mais la remise n’eut pas lieu pas à la Maison Blanche et ne fut pas faite par le président (comme c’est la coutume). A la place, le Secrétaire de la Navy a remis cette récompense dans la Cour de la Navy à Washington sur les berges de la rivière âcre Anacostia. Un officiel de la navale, impliqué dans cette cérémonie de récompense, avait raconté à l’un des membres de l’équipage du Liberty : "Le gouvernement est plutôt nerveux vis-à-vis d’Israël ... le Département d’Etat a même demandé à l’ambassadeur israélien si son gouvernement avait des objections à ce que McGonagle reçoive cette décoration".

Et pour comble d’insulte, ceux de l’équipage du Liberty qui avaient suffisamment bien survécu pour demander une enquête indépendante furent frappé par des accusations de ... devinez quoi ! ... d’antisémitisme.

A présent qu’une partie de la vérité émerge, d’autres suivent et montrent plus de courage pour s’exprimer. Dans un courriel récent, un de mes associés qui a suivi les affaires aux Proche-Orient pendant près de 60 ans, m’a fait part de ce qui suit :

Le chef des analystes du renseignement, qui étudiaient la région arabo-israélienne à l’époque, m’a parlé des messages interceptés et il m’a dit de façon catégorique et très ferme que les pilotes avaient rapporté avoir vu le drapeau américain et réitéré leur demande de confirmation de l’ordre d’attaque. Des bataillons d’Américains ont eu connaissance de ces interceptions. Si la NSA, à présent, dit qu’ils n’existent pas, alors quelqu’un donné l’ordre de les détruire".

Que la destruction de ces preuves reste sans enquête est une invitation ouverte à ce que cela se répète à l’avenir.

Maintenant, venons-en au tableau plus large. Lors de ma visite en Israël l’été dernier, on m’a dit constamment que l’Egypte a forcé Israël à entrer en guerre en juin 1967. Cela ne colle pas avec les mots que Menahem Begin, alors Premier ministre d’Israël, a prononcés en 1982 sans réfléchir. Au contraire, il a admis publiquement :

"En juin 1967, nous avions un choix. Les concentrations de l’armée égyptienne dans les voies d’accès du Sinaï ne prouvent pas que [le président égyptien] Nasser était vraiment prêt à nous attaquer. Nous devons être honnêtes avec nous-mêmes. Nous avons décidé de l’attaquer".

En fait, Israël s’était bien préparé militairement et avait monté des provocations contre ses voisins, afin de provoquer une riposte pouvant être utilisée pour justifier une expansion de ses frontières. La guerre illégale d’Israël pour le contrôle et la confiscation de terres dans les territoires occupés et le soutien des Etats-Unis qui l’a permis (en particulier un soutien à sens unique par l’actuelle administration américaine) expliquent en grande partie pourquoi 1,3 milliards de Musulmans nous haïssent.


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Ray McGovern

Ray McGovern a été analyste de la CIA de 1963 à 1990 et le chef de la branche de Robert Gates au début des années 70. Aujourd’hui, McGovern fait partie du comité de direction des VIPS (Veteran Intelligence Professionals for Sanity) [Les anciens combattants professionnels des renseignements pour l’équilibre mental]. Il a contribué à "Imperial Crusades", édité par Alexander Cockburn et Jeffrey St. Clair.


Sur le même thème :

- Démasquer l’AIPAC
- La dé-sionisation de la mentalité américaine
- Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine

Ray McGovern - Counterpunch, le 8 octobre 2007 : So Who’s Afraid of the Israel Lobby ?
Traduit de l’anglais par Jean-François Goulon, Questions critiques


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