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Le droit d’exister. De l’Etat ou du peuple ?

jeudi 4 octobre 2007 - 19h:45

Sonja Karkar - CounterPunch

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Aussi longtemps que les Palestiniens existeront, Israël les verra comme un obstacle à sa quête finale d’un « Etat exclusivement juif », dans un Grand Israël.

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La situation pour les Palestiniens est actuellement très dangereuse.




Curieuse expression que ce « droit d’exister ». Israël veut que le monde admette son « droit d’exister » en tant qu’Etat, mais il refuse de reconnaître aux Palestiniens indigènes leur droit d’exister en tant que peuple, sur leur propre terre. Dans les relations internationales, on ne reconnaît que les droits des peuples, pas ceux des Etats. (1) Si un Etat existe, c’est par la reconnaissance officielle qu’il a pu obtenir de la part des autres Etats, et maintenant qu’Israël est reconnu en tant qu’Etat, il existe, de fait. Exiger qu’un parti politique reconnaisse le « droit d’exister » d’Israël n’a pas de sens, bien moins que de punir 4 millions de Palestiniens parce qu’une majorité d’entre eux ont voté pour que le Hamas soit au gouvernement. Et pourtant, c’est avec ces mots-là qu’on veut faire payer aux Palestiniens, et particulièrement à ceux de Gaza, une rançon impossible.

Pour le monde extérieur, l’exigence d’Israël pour son « droit d’exister » semble une requête assez normale, et facile à dire en deux mots. Cependant, la plupart des gens n’ont aucune idée de l’importance véritable qu’ont ces mots pour les Palestiniens. Pour eux, admettre ce « droit d’exister » signifie en réalité accepter leur propre expropriation. Une expropriation qui se poursuit toujours après 60 ans, et il y a maintenant 6 millions de réfugiés palestiniens à qui on refuse d’user de leur droit à rentrer chez eux, ou même à un minimum d’indemnités. Et, ceci n’inclut pas les 4 millions de Palestiniens sous occupation israélienne et qui, quotidiennement, voient qu’on leur prend toujours plus de leur terre alors qu’ils sont tassés et maintenus dans ce qui reste, ni le million et demi de citoyens palestiniens en Israël dont les droits sont de plus en plus exposés et déniés. Aussi longtemps que les Palestiniens existeront, Israël les verra comme un obstacle à sa quête finale d’un « Etat exclusivement juif », dans un Grand Israël.

L’exigence d’Israël pour la reconnaissance de son « droit d’exister » reste très vague. Israël refuse de fixer ses frontières, et certainement pas sur la Ligne verte de 1967 internationalement reconnue, c’est la seule nation au monde qui n’a pas de frontières matérialisées. (2) Dès 1948, Israël a établi que son territoire devait représenter plus que les 55 % que lui attribuait la partition par les Nations unies et n’a pas perdu un instant pour exproprier impitoyablement les Palestiniens de leur terre, les chassant ou simplement les contraignant à vivre sous son occupation. Les 78 % de la terre palestinienne qu’il s’est accaparés sont maintenant reconnus comme étant Israël, et c’est sur ce territoire qu’a été reconnu douloureusement par le président palestinien Arafat en 1988 « le droit de l’Etat d’Israël à exister en paix et dans la sécurité ». Son erreur cruciale a été de ne rien demander en échange. Il aurait dû exiger qu’Israël reconnaisse le droit des Palestiniens à exister en tant que peuple libre sur les 22 % restants. Israël, naturellement, n’a pas accordé un tel droit aux Palestiniens, lesquels ont continué à vivre - et continuent encore aujourd’hui - sans paix ni sécurité, et sous l’occupation des Israéliens. Cette grave injustice de l’expropriation des Palestiniens n’a jamais été réparée.

Quand Arafat a brandi le rameau d’olivier et a clamé « Ne laissez pas la branche d’olivier tomber de ma main », c’était le moment pour Israël pour libérer les Palestiniens de son occupation à Gaza et en Cisjordanie et laisser un Etat palestinien exister à côté de celui d’Israël. Edward Saïd l’a dit clairement : « Seuls, les Palestiniens ont reconnu explicitement l’idée d’une partition. Israël, jamais. » (3) Au lieu de cela, Israël a intensifié sa colonisation illégale et poursuivi son programme massif d’immigration pour que les Juifs du monde entier s’installent à l’intérieur des territoires occupés palestiniens. Avant que le Premier ministre israélien Ehud Barak ne fasse, fallacieusement, ses « offres généreuses » de territoires aux Palestiniens, à Camp David en 2000 (4), il restait aux Palestiniens à peine 12 % de leur patrie historique, et sept années plus tard, ces 12 % se sont réduits à environ 7%. Alors, il est tout à fait légitime pour les Palestiniens de demander : « Sur quel territoire Israël veut-il exister ? ».

Chacune des politiques et des actions entreprises par Israël est centrée sur la création d’un Etat exclusivement juif sur l’ensemble de la Palestine. Depuis le début, les dirigeants sionistes se sont assurés que toute la terre saisie se transmettrait comme bien du « peuple juif, à perpétuité ». (5) A travers un système de confiscations et de transferts - appelé « le rachat de la terre » - les Juifs du monde entier ont à leur disposition la terre pour s’installer en Israël. Il s’agit d’une discrimination indigne à l’encontre du million et demi de citoyens palestiniens vivant à l’intérieur d’Israël auxquels on n’accorde pas les mêmes droits qu’aux immigrants juifs et qui ne sont autorisés à vivre que sur 3 % seulement du territoire, pendant que le reste est disponible pour les seuls citoyens juifs d’Israël. Ces Palestiniens sont de plus en plus isolés du reste de la société israélienne, sans privilèges, alors qu’Israël utilise des moyens machiavéliques pour maîtriser son problème démographique. Le problème est qu’Israël veut un Etat « juif », pas un « Etat pour tous ses citoyens » ; une démocratie pour les « seuls Juifs », pas une démocratie pour tous ses citoyens. Ceci devrait faire taire tous ceux qui brandissent le « drapeau de la démocratie » d’Israël comme quelque chose d’admirable.

De plus, quand Israël insiste pour que les Palestiniens reconnaissent son « droit d’exister », il ne cherche qu’à faire entériner l’expropriation des Palestiniens par les Palestiniens eux-mêmes et cela n’a rien à voir avec la peur d’Israël devant une menace existentielle. La survie d’Israël est assurée par sa force militaire écrasante et non par la reconnaissance des Palestiniens de son « droit d’exister ». Israël est la quatrième puissance militaire au monde (6) et il n’y a pas une nation arabe aujourd’hui qui défierait la machine de guerre israélienne. Si Israël autorisait un Etat palestinien à exister, il sait très bien que cet Etat n’aurait jamais la capacité militaire de menacer son existence. Cependant, il orchestre une propagande intense vers un monde qui reste dominé par l’illusion du David qui se bat contre Goliath.

La semaine passée a connu un développement inquiétant pour les Palestiniens avec cet article selon lequel le président palestinien Abbas se serait déjà engagé auprès du Premier ministre israélien Olmert à reconnaître Israël comme un « Etat pour les Juifs ». Si cela est exact, ce serait laisser libre cours à la politique et aux pratiques déjà racistes d’Israël. Les Palestiniens qui vivent en Israël se retrouveraient brusquement, non plus seulement comme des citoyens discriminés mais très probablement en danger de subir un nettoyage ethnique de la part de l’Etat juif. Cela irait totalement à l’encontre du droit inaliénable des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, et tous les droits des Palestiniens issus de la loi internationale deviendraient dès lors inopérants.

Inutile de dire que de tels articles (s’ils sont avérés) amènent les Palestiniens à se demander ce qu’il va leur rester après tant d’années de sacrifices et de combats. En dépit des 67 résolutions des Nations unies votées qui reconnaissent leurs droits, en dépit des violations flagrantes par Israël de la loi internationale et de sa continuelle violation des personnes mêmes et des propriétés palestiniennes, en dépit des preuves méticuleusement étayées que des Palestiniens ont bien été massacrés et victimes de terrorisme pour les faire fuir et qu’Israël puisse s’approprier leur pays, en dépit des voix de personnalités dignes de foi dans le monde rapportant les pratiques d’apartheid d’Israël, en dépit des voix juives de plus en plus fortes qui protestent contre la politique raciste d’Israël, en dépit des Internationaux qui risquent et donnent leur propre vie pour aider les Palestiniens par des actions non violentes de résistance, les Palestiniens ont devant eux un avenir qui leur refuse la reconnaissance de l’injustice révoltante qui leur a été faite, un avenir protégeant encore bien moins leur existence : c’est-à-dire, un avenir comme le veut Israël.

Aucune nation au monde ne demande le « droit d’exister ». Cette notion est apparue dans les relations internationales quand l’ancien secrétaire d’Etat US, Henry Kissinger, a déclaré en 1975 que les Etats-Unis « ne reconnaîtraient pas et ne négocieraient pas avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) tant que celle-ci ne reconnaîtrait par le droit d’exister d’Israël et n’accepterait pas les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité ». (7) La communauté internationale l’a reprise ensuite et continue à poser la question « Qu’en est-il du droit d’exister d’Israël ? », sans penser un seul instant aux droits des Palestiniens et spécialement à leurs droits d’exister.

Avec chaque exigence, nous voyons Israël se rapprocher toujours plus de son objectif final. Ehud Olmert nous l’a fait savoir, oh combien !, l’année dernière devant le Congrès US en se déclarant convaincu que le peuple juif avait « un droit éternel et historique sur l’ensemble de cette terre ». (8) Cela ne pouvait être plus clair : Israël exige le droit d’exister en tant qu’Etat exclusivement juif sur toute la Palestine. Pas étonnant que les négociations de paix passées aient échoué, et il n’y a aucune raison de penser qu’il en sera différemment pour la conférence de novembre. Aussi longtemps qu’Israël refuse de reconnaître les droits des Palestiniens, et aussi longtemps que les interlocuteurs internationaux insistent à propos du « droit d’exister » d’Israël au lieu des droits du peuple, alors toutes les tentatives de négociations pour la paix sont condamnées à l’échec.

La situation pour les Palestiniens est actuellement très dangereuse. L’entreprise coloniale israélienne est en grande partie réalisée : 40 % de la Cisjordanie sont interdits aux Palestiniens et le reste est pratiquement réduit en cantons avec des liaisons limitées entre eux. Gaza est totalement isolée. Il n’y a pas une frontière ou une place, dans ou autour de la terre palestinienne, qui ne soit contrôlée par Israël. Israël se crée toujours une réalité sur le terrain, laquelle rend déjà impossible pour les Palestiniens leur Etat à l’intérieur de la Ligne verte de 1967. Ce qui reste sert à semer délibérément la confusion et au mythe de l’offre « généreuse ». Les 92 % qu’Israël offre encore aux Palestiniens, ce sont les 92 % des 22 % de la terre derrière la Ligne verte, pas les 92 % de tout ce que possédaient les Palestiniens à l’origine. Une telle offre est franchement insultante, comme le sont les ajustements frontaliers qu’Israël avait ajouté alors que sa proposition était sur la table. Cela montre jusqu’à quels atermoiements aventureux peut aller Israël pour exister comme Etat juif, que c’est aux dépens du droit des Palestiniens à exister sur leur propre terre, que c’est illégal et immoral. Ce serait un suicide pour la direction palestinienne de dire oui à quoi que ce soit sans réciprocité, particulièrement à une reconnaissance inconditionnelle de l’Etat juif et à l’exigence de son « droit d’exister ».



Sonja Karkar est la fondatrice et la présidente de « Des Femmes pour la Palestine » à Melbourne, Australie.
Voir son site Women for Palestine.





Notes :

  • 1) Dr Scott Burchill : « Le droit d’exister d’Israël existe-t-il vraiment ? » crikey.com, 10 octobre 2006. « Selon quelques théoriciens dans la tradition "réaliste" des relations internationales, les Etats n’ont aucun "droit" d’exister car un tel droit ne peut être imposé par une autorité supérieure à l’Etat... Reconnaître le droit d’un Etat d’exister, ou exiger un tel engagement de la part d’autres Etats, est par conséquent un acte dépourvu de sens - ou pire, une tactique politicienne. »
  • 2) Edward Saïd : « Ce qu’a donné Israël », La Nation, 18 avril 2002 - publiée le 6 mai 2002.
  • 3) Ibidem.
  • 4) Fondation pour la Paix au Moyen-Orient (FMEP) : « Comment le généreux est-il généreux ? - Carrefours du conflit : les relations israélo-palestiniennes devant un avenir incertain » - numéro spécial - été 2000. Une analyse des propositions israéliennes par la FMEP arrive à la conclusion qu’Israël :
    • a) a seulement proposé de renoncer à son contrôle sur un territoire compris entre 77,5 et 81 % de la Cisjordanie, hors Jérusalem-Est mais incluant plus probablement le maintien de la vallée du Jourdain sous le contrôle israélien.
    • b) voulait la souveraineté sur plus d’un tiers de Jérusalem-Est sous occupation et tout Jérusalem-Ouest.
    • c) voulait le contrôle du troisième lieu le plus saint pour l’Islam, al-Haram al-Sharif (qu’Israël appelle le « mont du Temple »), où « Israël, de façon incroyable, exige que les Palestiniens donnent leur accord pour la construction d’une synagogue ».
  • 5) Société de la Terre palestinienne - « Financement du racisme et de l’apartheid - violation par le Fonds national juif des lois nationales et internationales » - août 2005, p. 4.
  • 7) Israël/Etats-Unis - Note pour une bonne compréhension, 1er septembre 1975 : « Accord - Genève 2. Les Etats-Unis continuent d’adopter leur politique actuelle à l’égard de l’Organisation de libération de la Palestine, par laquelle ils ne reconnaîtront ni négocieront avec l’Organisation de libération de la Palestine tant que l’Organisation de libération de la Palestine ne reconnaîtra pas le droit d’exister d’Israël et n’acceptera pas les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité. »
  • 8) Intervention du Premier ministre Ehud Olmert en séance plénière du Congrès US, le 24 mai 2006.

Du même auteur :

- Palestine : un héritage déraciné,
The Electronic Intifada, 13 septembre 2007.

- Blackout sur Gaza : l’Union Européenne complice d’Israël,
L’Australie pour la Palestine, 24 août 2007.

2 octobre 2007 - CounterPunch, traduction : JPP


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