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Maria

dimanche 18 juin 2006 - 14h:50

Gideon Lévy - Ha’aretz

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Maria Aman, la fillette qui a perdu sa mère, son frère et sa grand-mère à cause d’un missile israélien, a été transférée, paralysée et sous assistance respiratoire, vers un centre de réhabilitation à Jérusalem, après avoir failli être renvoyée mourir lentement à Gaza.

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Maria et son père

Tout est bien qui finit bien ? Ce n’est ni la fin ni bien. Maria, une fillette paralysée et sous assistance respiratoire, a été transférée cette semaine à l’hôpital des enfants « Alyn » à Jérusalem, alors qu’Israël avait déjà annoncé son retour à Gaza. Maintenant la fillette, qui a perdu il y a environ un mois sa mère, son frère et sa grand-mère, va devoir suivre un programme de revalidation qui durera de longs mois et au terme duquel, peut-être, peut-être pourra-t-elle au moins respirer par ses propres moyens, parler et même se lever de son lit. Les médecins estiment à environ six mois le temps de son hospitalisation dans cet hôpital réputé. Son père sera à ses côtés, emprisonné dans l’hôpital, pendant que l’attendra chez lui, à Gaza, Mouaman, son petit garçon de six ans, orphelin de mère.

Les deux enfants, Maria et Mouaman, sont des rescapés de " l’assassinat ciblé " sorti de la production de la force aérienne et qui visait Mohamed Dahdouh du Jihad islamique, mais avec qui quasiment toute une famille a été fauchée, de façon ciblée. N’avait été l’intervention de l’Association des Médecins pour les Droits de l’Homme et la réponse du ministre de la Défense, Amir Peretz, qui a ?uvré au financement du programme de réhabilitation de la fillette, celle-ci aurait été envoyée à Gaza où il n’existe pas le moindre hôpital de réhabilitation, pour y mourir lentement. Cette semaine, une solution semblable a encore été recherchée pour son oncle Nahed, lui aussi paralysé et mis sous assistance respiratoire à la suite de l’assassinat, et père de deux petites filles en bas âge.

Le général Dan Halutz était tout particulièrement fier de l’action de sa force aérienne : au terme de l’investigation menée par l’armée israélienne, le chef d’état-major a indiqué que l’attaque avait été opérée avec « un grand professionnalisme » et une grande « précision de jugement ». Voici alors une proposition pour ce sensible chef d’état-major, ancien commandant de la force aérienne, à qui nulle souffrance humaine n’est étrangère : qu’il veuille bien se donner la peine de se rendre à l’hôpital Alyn de Jérusalem pour voir de ses propres yeux le « grand professionnalisme » et la « précision de jugement » de ses pilotes. Peut-être faudrait-il aussi y envoyer tous les élèves pilotes, peu avant qu’ils ne sortent pour leurs missions de mort, afin qu’ils voient de leurs yeux le résultat qui n’apparaît jamais sur les écrans de leurs ordinateurs sophistiqués : une jolie petite fille, dont tout le petit monde est dévasté, et les membres d’une joyeuse famille qui étrennaient la voiture qu’ils venaient d’acheter, brisés, secoués par le deuil, rendus orphelins, infirmes.

Le vernis rouge qui avait été appliqué avec soin sur les petits ongles s’écaille déjà. La peau des mains se ratatine. Seuls les cheveux et les yeux ont gardé leur beauté, comme sur les photos. Vendredi passé, pour la première fois depuis qu’elle a été blessée, Maria a vu son papa et sur ses lèvres s’est dessiné un premier faible sourire. Trois semaines sans maman ni papa, avec la seule présence du frère du grand-père : paralysée et sous assistance respiratoire, placée dans une attelle, incapable de bouger quoi que ce soit sauf les lèvres, et ignorant que sa mère, son frère et sa grand-mère ne sont plus.

Elle n’est pas la dernière : après elle il y a eu, vendredi soir, les enfants de la famille Ghalia, blessés et tués sur la plage, non loin de la maison de Maria, à Gaza. Elle n’était pas la première non plus : ces derniers mois, nous avons parlé ici d’Omar Abou Ouarda, qui cultivait des agrumes, de Moussa Al-Swarka, qui gardait des chameaux, de Hassan Al-Shafay, qui cultivait des pastèques, et de ces cultivateurs de fraises, les enfants de la famille Raban tués le premier jour de leurs vacances d’été par un tir de nos forces armées. Maryam Raban qui a perdu quatre fils, un petit-fils et deux neveux dans le champ de fraises, est venue cette semaine rendre visite à la famille Ghalia pour partager sa douleur. Redoublement de l’horreur : il apparaît que Maryam est la s ?ur d’Ali Ghalia tué vendredi soir sur la plage, sous les yeux de sa fille hurlant, et qu’elle est la tante des cinq enfants qui y ont été tués. Tels sont les liens du sang à Gaza.

Lorsque nous avions rencontré Maryam Raban après sa tragédie, elle avait seulement demandé que les soldats du char qui avaient tiré l’obus meurtrier sur ses enfants comparaissent en justice. De la bouche du père de Maria, Hamdi Aman, est sortie une demande semblable lors de notre visite chez lui dans le quartier de Tel Al-Hawa, quelques jours après la tragédie : amener le pilote qui a tiré le missile à comparaître devant un tribunal.

Dimanche, Hamdi et son oncle Nabil, le regard brouillé, étaient assis dans la pièce réservée aux familles, à côté du département des soins intensifs de l’hôpital des enfants à Tel Hashomer. Maria était alitée dans la chambre toute proche. Les efforts des intercesseurs avaient abouti et ce jour-là, Maria était sur le point d’être transférée à « Alyn », au lieu de Gaza. Quelques jours plus tôt, quand je m’étais rendu dans ce département, Nabil était seul au chevet de Maria, ne bougeant pas de là, de jour comme de nuit, trois semaines entières, et l’hôpital avait annoncé qu’elle était sur le point d’être renvoyée à Gaza. Le père, Hamdi, ayant appris la nouvelle chez lui par téléphone, a poussé des cris de désespoir. Dimanche, à côté du lit de Maria, un moment avant son transfert à l’hôpital « Alyn », Hamdi était déjà plus paisible.

Le numéro de téléphone de Ezer Mizion [organisation d’assistance aux malades - NdT] et Observe le jour du shabbat pour le sanctifier sont affichés dans la pièce réservée aux familles, où séjournent des membres de familles palestiniennes : un grand-père de Rafah qui est depuis déjà 40 jours d’affilée au chevet de son tout jeune petit-fils qui a subi une opération au c ?ur, un père de Tulkarem au chevet de son bébé et un oncle de Gaza venu auprès d’un être aimé. Il leur est interdit, à chacun d’eux, de sortir de cet hôpital, aux termes du précieux permis de séjour qu’ils ont réussi à obtenir, et leurs cartes d’identité ont été déposées chez l’officier de sécurité qui contrôle leur présence en permanence. Personne ne se soucie de leur donner à manger. Les nuits, ils les passent sur des lits superposés dans la pièce voisine. Certains d’entre eux se trouvent ici pendant des mois.

Voici Ramzi Hashash, originaire du camp de réfugiés de Balata mais habitant Jisr al-Zarqa en Israël, qui a perdu deux de ses enfants dans une mystérieuse explosion qui s’est produite dans la maison de son père dans le camp de réfugiés de Balata et dont les deux enfants qui lui restent sont hospitalisés ici avec de très graves brûlures. Nous l’avions rencontré tout de suite après la tragédie, en février. Cela fait quatre mois qu’il n’a pas bougé d’ici, même un instant. Ses enfants, Amir et Roni, brûlés sur tout le corps, circulent déjà dans les couloirs et sur son téléphone portable, leur père peut montrer des photos d’eux avant la tragédie et aussi après, le visage couvert d’un masque effrayant. L’épouse israélienne de Ramzi est elle aussi ici, après avoir été hospitalisée il y a quelques semaines dans un état mental grave, et maintenant Ramzi ne la laisse pas un instant seule avec leurs deux enfants brûlés.

Hamdi Aman a lui aussi arrangé une modeste présentation de sa tragédie sur l’écran de son téléphone portable. Au son d’une musique arabe de deuil, apparaissent ses victimes : voici la photo de Naima, son épouse, 27 ans, voici leur fils Mouhand, six ans, et voici Hanan, sa mère de 46 ans. Et puis voici la photo de Maria, avant et après. Hamdi regarde et pleure, regarde et sanglote. « Voyez : une jolie petite fille. Qu’avait-elle fait ? »

Hier, il voulait se rendre à l’hôpital Ikhilov [à Tel Aviv] pour voir son oncle blessé, mais il lui est interdit de sortir des portes de l’hôpital de Tel Hashomer. Sa s ?ur a accouché hier à Gaza d’une petite fille appelée En Palestine Hanan, à la mémoire de sa grand-mère. Son frère Mohamed lui a déjà promis que s’il avait un fils, il perpétuerait le souvenir du petit Mouhand.

Un coup de téléphone pour Hamdi depuis le barrage d’Erez : Yankele dit que Hamdi doit venir immédiatement au barrage, pour modifier son permis de séjour en fonction du nouveau lieu : l’hôpital Alyn. Hamdi écoute, le visage penché, ne parvenant pas à se décider. Aller maintenant à Erez ? Comment s’y rendre ? Comment en revenir ? Yankele se ravise et dit que Hamdi peut « entre-temps » se rendre à Jérusalem « et après on verra ». Le conseiller en communication du ministre de la Défense, Ilan Ostfeld, téléphone pour expliquer que dès que le ministre a été mis au courant du projet d’envoyer Maria à Gaza, il a ordonné de s’occuper du financement de la poursuite du traitement en Israël, quelle qu’en soit la durée. Il serait intéressant de savoir si le ministre de la Défense partage le sentiment de son chef d’état-major pour qui l’attaque a été exécutée avec « un grand professionnalisme » et une grande « précision de jugement ».

Ils attendent maintenant l’ambulance qui viendra chercher Maria. Ils préparent deux énormes sacs contenant des jouets et des jeux que de braves Israéliens ont envoyés ou apportés. La fillette gît, immobile, dans son lit, regardant fixement ce qui se passe avec des yeux tristes. Un petit mouton blanc tout laineux est posé sur son épaule.

L’ambulance de réanimation du Magen David Adom fait la route jusque Jérusalem. Tout le monde s’y est serré : Hamdi, Nabil et Maria et avec eux l’équipe médicale. Le tube de respiration est fixé au cou de Maria, relié directement à la trachée. A côté de ce tube-là, pénètrent d’autres tubes. Les yeux de l’enfant sont fermés. « Nous ferons tout pour la faire progresser mais cela prendra beaucoup de temps », explique à Hamdi, avec un accent américain, un médecin portant kippa, le Dr Eliezer Be’eri, directeur du département de revalidation respiratoire, à son arrivée à l’hôpital Alyn.

Hamdi et Nabil semblent un peu ébahis par ce nouvel endroit. Hamdi est plein de gratitude, Nabil s’inquiète de savoir où ils pourront passer la nuit et s’il sera possible de mettre une chaise près du lit. La directrice de l’hôpital, le Dr Shirley Meyer, s’occupe de Maria, prenant soin d’elle avec dévouement. Un enfant juif orthodoxe, paralysé, est alité près de Maria, dans sa nouvelle chambre. Hamdi dit : « Le malheureux ». Maria observe ce qui se passe autour d’elle.

« L’infirmière en chef s’appelle Inga et elle répondra à toutes vos questions », explique la directrice, Shirley Meyer, avec un fort accent australien. L’hôpital est impressionnant. Des enfants et des adolescents, arabes et juifs, frappés du sort, paralysés et difformes, circulent en fauteuil roulant dans les couloirs spacieux et étincelants. La fenêtre de la chambre de Maria donne sur un paysage de pinède comme elle n’en a encore jamais vu. Le docteur Be’eri poursuit ses explications à l’adresse de Hamdi et Nabil : « Cela peut prendre des mois. Nous verrons comment elle progresse, mais il faut de la patience. Ce n’est pas comme une maladie où l’état du patient s’améliore en quelques jours. Nous avons d’autres enfants avec un problème comparable et je suis sûr que vous parlerez avec eux et que vous entendrez. Cela prendra beaucoup de temps et l’amélioration sera progressive. Cela prendra beaucoup de temps avant qu’elle puisse s’asseoir et cela prendra beaucoup de temps avant qu’elle puisse se tenir debout pour la première fois. Pour le moment, elle est incapable de parler, incapable de faire sortir un son, mais elle parlera. Nous travaillerons à ce que vous puissiez communiquer avec elle. Vous verrez qu’il y a beaucoup d’enfants ici, mais chacun a une histoire différente. Cela ne veut pas dire qu’elle sera comme eux ».

Hamdi raconte au docteur Meyer que Maria lui a demandé, vendredi, juste avec ses lèvres, où était maman. Alors le docteur Meyer lui explique : « Nous ne savons pas ce que l’enfant sait. Demain, nous organiserons un entretien avec l’assistante sociale et elle vous expliquera comment lui dire et quand. Il n’est pas bon de lui mentir mais on vous expliquera quoi lui dire au juste, en fonction de son âge, de sa compréhension et de la personne qui le lui dit. Il vaudrait mieux que ce soit son papa qui lui dise.

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Gideon Lévy

Apparemment, elle ne pose pas de questions sur son frère et sa grand-mère. En général, l’enfant cherche d’abord sa maman. En général, nous disons que maman est très très fort blessée et qu’elle se trouve quelque part loin, et quand l’enfant devient plus fort, on lui dit la vérité ».

Gideon Lévy - Ha’aretz, le 15 juin 2006
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys


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