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Palestine : le nettoyage ethnique avance

mardi 18 septembre 2007 - 04h:17

Victoria Buch - Occupation Magazine

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Je crois que l’objectif final est de mettre en place le cadre pour une seconde Nakba.
Autrement, à quoi servirait de pousser sans arrêt les Palestiniens à la violence ?

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La politique israélienne peut se résumer en ces quelques mots :
« Causez leur tous les dommages que vous pouvez afin qu’ils s’en aillent ». (PCHR)




Le cadre pour le nettoyage ethnique des Palestiniens a été fixé dans les Territoires occupés, et le nettoyage ethnique avance. C’est le projet majeur du moment pour l’Etat d’Israël. Pour quelqu’un d’impartial, d’intelligence moyenne, un tour dans les Territoires occupés suffit pour se rendre compte de cette réalité.

Le premier outil pour procéder au nettoyage ethnique est et sera toujours la saisie de la terre palestinienne, associée à l’expansion des colonies. Les différentes étapes du processus d’annexion sont très visibles dans les secteurs autrefois ruraux de la Cisjordanie, lesquels représentent 60 % de son territoire. A ce jour, 9 % du territoire cisjordanien sont passés sous le contrôle direct des colonies (1) et une récente enquête de la Paix Maintenant révèle que seuls 12 % de ces terres sont vraiment utilisés. « L’Etat affecte d’immenses étendues aux colonies dans des proportions qui n’ont rien à voir avec leur taille afin d’y empêcher les constructions palestiniennes. Et une fois qu’un secteur est fermé aux Palestiniens, les colons commencent à se saisir des terres palestiniennes environnantes - souvent des propriétés privées - qui s’étendent hors de leur zone de compétence » (1, 2). Selon B’Tselem, une organisation israélienne pour les droits de l’homme, déjà en 2002, 41,9 % de la Cisjordanie avaient été attribués aux conseils régionaux israéliens (3). Et pendant des années, la zone C rurale a tout entière été mise sous le contrôle administratif de ce qu’on appelle « l’administration civile », laquelle, en collaboration étroite avec des secteurs de l’armée israélienne et les colons, se donne beaucoup de mal pour y rendre la vie des Palestiniens aussi difficile que possible ; l’objectif manifeste étant de les en faire partir (4, 5).

Dans le reste de la Cisjordanie, les Palestiniens sont quasiment emprisonnés dans leur propre ville ou village. Chaque domaine de la vie courante des Palestiniens, économie, santé, éducation... est laminé par une machine militaro-bureaucratique bien organisée et bien pensée que l’on fait passer pour une institution chargée de la sécurité (5). De temps en temps, le n ?ud coulant autour de l’existence palestinienne se resserre, inexorablement, d’un cran supplémentaire. Le nettoyage ethnique - démolition des maisons et le saccage des champs - est poursuivi aussi avec diligence par l’Etat d’Israël à l’encontre des citoyens bédouins qui vivent dans le désert du Néguev (6).

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Destruction sous la garde de l’armée d’occupation.

Tout ce qui précède retient à peine l’attention de mes compatriotes israéliens. Pas étonnant étant donné que tout est camouflé derrière une parodie monumentale, mais auquel ils croient vivement (7), de « négociations avec Abu Mazen », d’efforts diplomatiques et de promesses pour des gestes de bonne volonté envers les Palestiniens (toujours reportés ou appliqués très parcimonieusement pendant de courtes périodes). Pour des raisons qui sont les leurs, certains hommes politiques palestiniens, dont le président Abbas, ont choisi de participer à cette farce.

Le Juif israélien moyen ne voit pas - ou ne veut pas voir - le nettoyage ethnique auquel procède son Etat : il, ou elle, préfère croire qu’il s’agit de « la guerre contre le terrorisme ». Les citoyens juifs israéliens vivent dans une réalité virtuelle qui leur est fournie avec soin par leurs dirigeants, leurs médias et leur système éducatif. Dans cette réalité, les Israéliens figurent comme des types bien luttant pour leur existence, et non comme des colonisateurs et des occupants. Dans ce monde virtuel, on pense que notre gouvernement a beaucoup fait pour obtenir un accord de paix avec les Palestiniens ; et si l’objectif n’a pas été atteint, c’est à cause de l’intransigeance des Palestiniens. On admet bien que les colons font entrave aux négociations, mais (en dépit du rapport Sasson (8)) ces colons sont vus comme des extrémistes gênants, pas comme la résultante d’une politique annexionniste délibérée et systématique par le gouvernement israélien (9).

Mais les politiciens israéliens au plus haut niveau, eux, SAVENT, autrement le nettoyage ethnique ne pourrait probablement pas se poursuivre. Je me suis demandé si, quand un nouveau ministre rentre au gouvernement, il ne recevait pas un manuel lui disant les choses telles qu’elles sont, telles qu’elles ont été écrites dans le passé par des gens comme Golda Meir ou Arik Sharon. Autrement, comment expliquer cette remarquable continuité dans la politique israélienne dans les territoires occupés toutes ces longues années d’occupation ? Comment se ferait-il que les cartes actuelles des colonies juives et les enclaves palestiniens correspondent à celles des projets de Drobles et de Sharon pour la colonisation de la Cisjordanie, projets préparés il y a des dizaines d’années (10) ? Néanmoins, je pense qu’il n’y a pas de manuel de ce genre, on attend plutôt de chaque ministre qu’il comprenne par lui-même (ou par elle-même). Yitzhak Rabin a payé de sa vie ce qui apparaissait alors comme un effort sincère pour sortir du programme de nettoyage ethnique - bien que Rabin n’aie rien tenté pour retirer les colonies et que ce soit lui qui ait eu l’idée de ces « routes de contournement », trisement célèbres, pour les colons ; finalement, les années Oslo se sont avérées une opportunité en or pour l’expansion coloniale sous la couverture d’un « processus de paix » bidon (5c). Barak, promoteur des projets de colonisation sur une grande échelle en Cisjordanie, semble avoir fait le dernier effort, raté, pour mettre en place une forme (très mince) de coexistence avec les Palestiniens. Mais il a dû penser en fin de compte que « si on ne peut le combattre, il faut l’adopter », comme on peut le voir dans ses activités actuelles comme nouveau ministre de la Défense (11).

C’est Sharon, brillant homme politique, qui, sous le couvert du « désengagement de Gaza », a transformé le programme du nettoyage ethnique en « rien qu’un jeu dans la ville », dans la politique israélienne. A ce jour, tout l’establishment sioniste est mobilisé, depuis les colons de Hébron jusqu’aux gens de Shomer Hatzair, mouvement des jeunes socialistes lesquels, en tant qu’appelés dans l’armée, ont fourni à ces mêmes colons le prétexte de la sécurité (12). La politique actuelle de l’Etat d’Israël est déterminée par la connivence de « l’appétit insatiable des colons pour la terre avec l’appétit insatiable des généraux pour l’action ». Parmi les dirigeants élus qui mettent en ?uvre cette politique, on voit ses partisans inconditionnels jusqu’à des complices plus ou moins consentants, soucieux surtout de leur carrière. Actuellement, aucun des dirigeants ne s’oppose sérieusement au programme de nettoyage ethnique. Dans l’ombre, il y a ce bruit de fond qui s’amplifie toujours d’une propagande qui désigne les Palestiniens - d’Israël ou d’ailleurs - comme UN DANGER DEMOGRAPHIQUE QU’IL FAUT REGLER (13).

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Destruction de maisons de Bédouins dans le Néguev (Israël). (Dukium)




La politique israélienne à l’encontre des Palestiniens peut être résumée en ces quelques mots : « Causez leur tous les dommages que vous pouvez afin qu’ils s’en aillent ». Mais comment les dirigeants israéliens voient-ils donc la fin de cette partie ? Pour le noyau dur des nationalistes, elle se finit par le « transfert », c’est-à-dire l’expulsion des Palestiniens. Mais qu’en pensent les principaux dirigeants - ceux qui en fait sont en train d’exécuter les expulsions (actuellement en interne, vers les ghettos et les enclaves palestiniennes) ? L’opération est trop bien organisée pour que que l’on puisse croire que la fin de la partie n’a jamais été considérée.

Je crois que l’objectif final de nos décideurs est de mettre en place le cadre pour une seconde Nakba.

Autrement, à quoi servirait de pousser sans arrêt les Palestiniens à la violence ? Quiconque un peu attentif comprend bien que la politique israélienne dans les territoires occupés conduit à terme au paroxysme de la violence. Ne me dites pas que nos dirigeants n’y ont pas pensé ! C’est vrai, parmi eux, il y a les opportunistes acharnés qui ne se soucient que de rester au pouvoir. Mais il y en a qui poussent pour le nettoyage ethnique - Sharon a été le premier d’entre eux mais à en juger par la bonne organisation de la poursuite de l’opération, ses associés sont pleinement opérationnels et bien dans le coup. Je pense en fait que ces gens sont impatients de voir arriver la violence. Ils ont les yeux sur les prix de l’immobilier (pour la Cisjordanie). La violence à son paroxysme permettrait à l’Etat d’Israël d’annexer la Cisjordanie, toute la Cisjordanie, c’est-à-dire en se débarrassant de la plus grande partie de ses habitants palestiniens. Tout comme en 1948. C’est cela, à mon avis, la fin de la partie telle qu’elle est envisagée. Où se proposent-ils d’expulser les Palestiniens ? en Jordanie ? dans la bande de Gaza ? Ca, je ne sais pas.

Le nettoyage ethnique réussira-t-il ? Les auteurs de cette politique y compte bien, évidemment. Les conditions sont remplies, avec l’administration US actuelle soutenant Israël quoiqu’il fasse et l’Union européenne comme les pays arabes incapables de s’opposer aux Etats-Unis, ou peu enclins à le faire. Il est probable que le prochain accès de violence sera l’ ?uvre de Palestiniens désespérés et dans la misère ; alors, pour la énième fois, notre machine de propagande saura montrer au monde que c’est nous les victimes, et les Palestiniens les agresseurs. Les réactions israéliennes seront des actions de légitime défense. Plus tard, l’histoire pourra en juger autrement mais pour le moment (si l’aréopage politique actuel perdure encore un moment), qui se soucie des Palestiniens ?

Mais à la longue, la catastrophe menace Israël. Car nous sommes une petite nation, les Palestiniens sont une nation de même taille mais en plus, ils font partie du vaste monde musulman. L’expérience de l’Afrique du Sud nous indique que le système de type apartheid qu’on impose aux Palestiniens n’est pas viable à long terme, même s’il parait invulnérable au début. Comme l’a illustré l’invasion du Liban l’année dernière, l’efficacité de l’armée israélienne décline, altérée par des années d’opérations en tant que milice coloniale. Dans le même temps, nos généraux deviennent de plus en plus déchaînés et imprudents (14). L’économie israélienne compte sur le soutien tout aussi imprudent de l’establishment politique et du monde des affaires US, mais ce soutien très coûteux n’est probablement pas éternel. La capacité des USA à diriger le monde est également susceptible de décroître car la Russie et la Chine prennent du poids. Et peut-être le plus important : le dôme du Rocher est en jeu - c’est le troisième lieu saint de l’Islam (après La Mecque et Médine).

A mon avis, mon pays, Israël, s’est embarqué dans une politique suicidaire. Quelque chose comme ça s’est déjà produit dans l’histoire juive, il y a quelque 1 940 années (voir « La Guerre juive » de Josephus Flavius [soulèvement de la Judée et prise de Jérusalem par les Romains, paru en l’an 75]). Et tout comme en ces années-là, la plupart des Israéliens n’ont pas conscience d’être entraînés à la catastrophe par leurs propres dirigeants.


Victoria Buch est Israélienne, universitaire, militante anticolonialiste et membre du conseil de rédaction d’Occupation Magazine.

Son site : http://www.fh.huji.ac.il/~viki/
Ses adresses mel : vvbb54@yahoo.com, viki@fh.huji.ac.il.
Tél : 972-2-6584223 - fax : 972-2-6513742

Department of Physical Chemistry
Hebrew University
Jerusalem 91904
Israel


Notes :

  • 4) Pour des aperçus récents sur les mécanismes de l’oppression et de la saisie de la terre palestinienne, et sur la vie des Palestiniens sous l’occupation, voir notamment les articles récents de militants anticolonialistes :
    • Citation du rapport Sasson : « Mme Sasson dit que l’administration civile d’Israël, en Cisjordanie, qui était un moyen de se soucier des Palestiniens et avait été instituée en respect du droit international, s’était en réalité transformée en un organisme puissant qui manipule toutes les questions liées à l’activité coloniale israélienne ».

  • 5) Une information détaillée sur les mécanismes de l’oppression et de la saisie de la terre palestinienne, ainsi que sur la vie sous l’occupation, est disponible notamment sur les sites suivants :
    • a) Occupation Magazine : compilation de rapports, nouveaux articles et commentaires de sources différentes (presses israéliennes, palestiniennes et internationales et organisations pour les droits humains et anticolonialistes) avec mise à jour quotidienne.
      • Voir aussi la rubrique PCHR sur le site Info-Palestine.net, avec les rapports en français.
    • d) Presse palestinienne anglophone, notamment IMEMC.
    • e) B’Tselem, Centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés.
    • g) MahsanMilim : articles sur la Cisjordanie (site en hébreu tenu par des militants anticolonialistes avec traduction en anglais en fin d’article dans beaucoup de cas).
    • h) UN/OCHA (Bureau de la coordination des Affaires humanitaires dans les territoires palestiniens occupés - Nations unies).
    • f) L’organisation des femmes pour les droits humains, MachsomWatch (observation sur les check-points).

  • 6) Film de l’association Adalah, « Non reconnu », (centre juridique pour les droits de la minorité arabe).
    • Voir aussi les articles récents sur la démolition des maisons bédouines dans le Néguev sur :
    • Voir, sur le site Info.Palestine.net, notamment les articles en français :
  • 7) « L’escroquerie du processus de paix au Moyen-Orient », d’Henry Siegman, (London Review of books) - 16 août 2007. H. Siegman, directeur du projet US/Moyen-Orient, a été membre du conseil des relations étrangères de 1994 à 2006, et responsable du Congrès juif américain de 1978 à 1994.
  • 9) A l’appui de ces convictions, participe la psychologie en plus de la propagande. La plupart des gens sont aveuglés par le besoin irrésistible de croire en leur vertu collective. Comme le professeur de civisme de ma fille au lycée a l’habitude de le prôner : « Quoiqu’il arrive, les enfants, rappelez-vous, NOUS AVONS RAISON ».
    • « Simultanément à sa prise de pouvoir totale sur la bande de Gaza, la direction du Hamas a appliqué un cessez-le-feu avec Israël. Pendant toute une semaine, pas une seule Qassam n’a été tirée sur Sderot et tout son district. C’est alors que le lendemain de sa prise de fonction comme ministre de la Défense, Ehud Barak a autorisé une nouvelle opération pour procéder à l’arrestation de personnes sur la liste des recherchés, dans la région de Khan Younis. 5 Palestiniens ont été tués, d’autres furent blessés. Comme par magie, les lancements de Qassam sur Sderot ont repris dès le lendemain. Actuellement, entretenir à petite dose la violence semble nécessaire à la politique israélienne pour présenter les Palestiniens comme des terroristes et les plans israéliens de colonisation et les opérations militaires visant à écraser les Palestiniens (en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza) comme un « combat contre le terrorisme ».

  • 12) Petite anecdote : au déjeuner préélectoral largement médiatisé de Yossi Beilin - dirigeant du parti sioniste le plus à gauche - avec Lieberman, membre de l’extrême droite et promoteur du « transfert » des Palestiniens, Beilin déclarait « J’aimerais aussi rejoindre le club dirigeant, je suis quelqu’un de souple, et, oh, de si décoratif. » Mais la place de « décoratif » était déjà prise par l’imbattable Shimon Peres, Prix Nobel de la Paix. Aussi, Beilin a été coincé et a dû rester dans une opposition dont il ne voulait plus.
  • 13) Voir notamment :
    • Voir aussi le film de l’association Adalah « Non reconnu » (note 6) sur la politique à l’égard des citoyens bédouins d’Israël.
  • 14) La possibilité existe que l’Etat d’Israël utilise l’arme nucléaire mais il est douteux qu’un tel usage aboutisse à un avenir géopolitique stable pour la région.

Septembre 2007 - Occupation Magazine - traduction : JPP


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