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« Des conditions médicales causées par des décisions politiques »

dimanche 16 septembre 2007 - 09h:53

Rich Wiles - Information Clearing House

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La veille de Noël, en 1952, un prêtre suisse du nom de Père Schnydrig était en route pour la messe à l’église de la Nativité. Il était venu en Palestine pour célébrer le lieu de naissance du Christ. Il marchait dans une grande zone remplie de tentes et il vit un homme qui essayait d’enterrer un enfant. C’était le camp de réfugiés Dehaishah. L’homme creusait dans la boue pour donner une tombe de fortune pour son fils. Son fils était littéralement mort de froid. Le Père Schnydrig se mit à questionner sa propre présence à Bethléem et se demanda comment il pouvait se trouver dans la ville pour célébrer le lieu de naissance de Jésus tandis que des enfants souffraient tellement à un kilomètre de l’église. En rentrant en Europe, il se mit à collecter des fonds et bientôt s’ouvrit l’Hôpital des enfants de Caritas à Bethléem.

En 1978, Caritas ouvrait un nouveau bâtiment qui est maintenant bien équipé. Les conditions à l’hôpital se sont considérablement améliorées, partant de 14 lits au milieu des années 50 pour être capable de traiter 34.000 bébés et enfants en 2006. Au cours du temps, la vie à Bethléem a fortement changé elle aussi. Les réfugiés de Dehaishah vivent à présent dans des maisons au lieu de tentes. Bethléem même est à présent une ville occupée.

Plus tôt cette année, un homme d’un camp de réfugiés est entré dans l’hôpital Caritas portant un petit bébé dans les bras. Les pieds de l’enfant étaient bleus, ils étaient gelés : cette fois-ci, la vie de l’enfant a été sauvée.

La Palestine de 2007 est géographiquement difficilement reconnaissable de la Palestine de 1952. Retournez en arrière de cinq ans et la « Palestine historique » existait encore. A présent, plus ou moins 12% de la Palestine historique est encore accessible aux Palestiniens. Caritas ne peut même pas satisfaire tout le monde dans ces 12%. Les enfants de Jenine, de Naplouse et d’autres villes de la partie nord de la Cisjordanie ne parviennent pas à atteindre l’hôpital à cause des restrictions sur les déplacements, les checkpoints et les séries de bantoustans par lesquels l’occupation divise le pays. A cause de cela, Caritas ne peut soigner que les enfants et les bébés du sud de la Cisjordanie et des régions autour de Bethléem et Al Khalil (Hébron). Malgré cette réduction massive de sa zone d’influence, on a vu l’an dernier le plus grand nombre de patients jamais traités à l’hôpital.

Les effets de l’occupation sont variés et répandus. Des enfants blessés par les FOI (Forces d’occupation israéliennes) ne sont pas amenés à Caritas parce qu’il n’a pas d’ unité d’urgences ; on les amène dans les hôpitaux de l’état à Bethléem. Cela étant, un très grand pourcentage de tous les enfants à l’hôpital connaissent des conditions qui dans une certaine mesure découlent de la situation politique.

En parcourant l’hôpital, il est difficile de ne pas être impressionné par l’équipement et la qualité des soins, mais une autre chose très saisissante est la taille de la plupart des enfants. On amène régulièrement à l’hôpital des enfants qui souffrent de malnutrition. Comme on me conduit auprès de certains membres d’un personnel nombreux très motivés, ceux-ci commencent à m’expliquer le F.T.T. (Failure to Thrive - Echec à se développer). La majorité des enfants à Caritas ne viennent pas des villes de Bethléem ou Al Khalil, mais de camps de réfugiés et de villages des environs. Les conditions écologiques et sociales de ces zones sont de loin inférieures à celles des villes. Le niveau de pauvreté y est plus élevé, et le régime alimentaire en souffre, le chauffage est insuffisant en hiver et l’accès à de l’eau potable est un problème majeur. Un tout petit enfant attire mon attention car ses grands yeux bruns me regardent interrogativement. Après m’être couvert le visage d’un masque, avoir mis une blouse et des gants pour éviter de répandre l’infection, un médecin m’amène à elle pour la rencontrer : « Lama vient du village d’Al Khadr. Elle a dix mois mais possède les paramètres de croissance d’un bébé de moins de quatre mois. Sa mère n’a pas de lait pour la nourrir, donc elle n’a pas pu grandir. Voilà un mois maintenant que ses parents ne sont pas venus. »

Beaucoup d’enfants souffrent de problèmes gastro-intestinaux - qui peuvent se manifester par de la diarrhée, par exemple. De tels problèmes sont communs chez les enfants du monde entier, mais en Palestine, comme dans beaucoup de parties du monde défavorisé, les enfants meurent dans de telles conditions. Les parents ne disposent pas de l’argent pour payer les soins à l’hôpital, et dès lors remettent souvent à plus tard le moment d’aller à l’hôpital - jusqu’à ce que ce soit presque trop tard. Un autre médecin a expliqué que, dans certains cas, il est déjà trop tard quand les enfants arrivent à l’hôpital : « Il y a quelques mois, un homme a amené son fils. Il n’avait pas d’argent du tout et se sentait honteux de supplier pour être aidé. Les parents de l’enfant ont remis à plus tard la recherche d’un traitement, en espérant que la santé de l’enfant s’améliorerait avec le temps. Finalement, ils se sont sentis très désespérés car l’état de l’enfant se détériorait et ils l’ont apporté à l’hôpital gouvernemental. Quand ils y sont parvenus, l’hôpital n’a pas pu le soigner parce que tous les médecins étaient en grève, et ils ont été envoyés ici. L’enfant est mort quelques heures après son arrivée, il était juste trop tard. » L’enfant est mort d’une gastro-entérite aiguë, il venait d’avoir six mois. Si on l’avait amené plus tôt à l’hôpital, il aurait pu être sauvé.

Depuis que le blocus international de la Palestine a commencé l’an dernier, imposé par les dirigeants du monde soi-disant de la « liberté et de la démocratie », le personnel de Caritas a trouvé que la situation s’était fortement dégradée et à une allure inquiétante. Les docteurs des hôpitaux de l’état ne sont plus payés et finalement ont entrepris une grève pour protester, et ainsi beaucoup plus d’enfants ont été remis à Caritas. Les parents n’ont pas d’argent, de sorte que leur régime alimentaire et celui de leurs enfants en a souffert énormément. Un enfant a été amené qui souffrait d’une carence sévère en vitamine B-12, ce qui est inhabituel pour les bébés ici, d’après les médecins de Caritas : « La B-12 se retrouve dans la viande et les légumes que de tout petits bébés ne mangent pas. Son père était un agent de police qui donc n’a plus été payé depuis le début du blocus ; il n’a pas pu fournir de la nourriture à sa famille de sorte que sa femme, durant la grossesse, n’a pas subsisté avec beaucoup plus que du pain et du thé noir. Au moment de la naissance, elle souffrait elle-même d’une grave carence en vitamine B-12, et quand elle s’est mise à allaiter, ceci a été aggravé chez son nouveau-né puisque il n’y avait pas de B-12 dans son lait. Nous voyons beaucoup de cas semblables - des mères qui ne peuvent pas produire du bon lait parce qu’elles souffrent elles-mêmes de déficit alimentaire qui est ensuite transmis aux enfants. »

Beaucoup d’enfants ici souffrent d’une forme ou l’autre d’anémie, une autre condition directement reliée à une alimentation insuffisante. Un enfant que j’ai vu présentait une déficience anémique de 80% de fer. Le fer est vital dans les premiers mois de la vie, entre autres, le développement du QI, et on a constaté que l’enfant souffrait d’un développement psychologique carencé ainsi que de problèmes physiques. Voici donc certains des effets de la politique que Bush et Blair ont proposé l’an dernier parce qu’ils n’aimaient le choix démocratique du peuple palestinien.

« Nous avons constaté que les choses avaient fort empiré après le début de l’Intifada, mais de nouveau, depuis le blocus de l’an dernier les choses se sont détériorées considérablement. Les soins nutritionnels ont beaucoup souffert. Les mères ne peuvent pas produire du lait de sorte qu’on emploie du lait en poudre, mais qui est tellement dilué à cause du niveau de pauvreté des familles qu’il n’a virtuellement aucune valeur nutritive. Et de plus il est fabriqué avec de l’eau sale. »

Un autre fait très évident à Caritas est l’absence préoccupante des parents avec leurs enfants à l’hôpital. « Nous estimons que c’est un autre problème majeur, en particulier des camps et des villages environnants Al Khalil. Ce bébé, par exemple, vient de Yatta (une ville au sud de Al Khalil). Elle souffre du syndrome des intestins courts, une distorsion des intestins. Elle souffre aussi de diverses déficiences nutritionnelles, d’anémie et de FTT. Elle est avec nous depuis sa naissance et ses parents ne sont pas venus la voir depuis maintenant deux mois. Yatta est une ville très pauvre et ses parents ne peuvent simplement pas se permettre de payer le transport pour venir ici, ils ont d’autres enfants à nourrir. .. »

Parcourant l’hôpital, je vois des chambres et des chambres pleines de tout petits bébés souffrant de maux en quelque sorte reliés aux conditions sociales et de pauvreté, des enfants dont les yeux apercevant un nouveau visage s’éclairent quand je passe. Certains me sourient avec la beauté d’une vie nouvelle, d’autres ne cessent pratiquement pas de pleurer. Un bébé est si minuscule que je suis sûr qu’elle a dû naître très prématurément mais quand on regarde sa fiche, on découvre qu’en fait, elle est née à terme. Elle a maintenant quatre mois, mais ne semble pas plus grande qu’un paquet de sucre. Les médecins continuent à me raconter les cas d’autres enfants amenés dans les bras de leur père, portés comme des bébés mais qui en fait ne sont pas des bébés mais sont âgés de trois, quatre, cinq ans. Ils n’arrivent simplement pas à grandir - c’est le stade le plus grave de FTT.

En hiver, des enfants comme celui décrit plus haut avec les pieds gelés sont amenés avec une température corporelle aussi basse que 32°, particulièrement ceux des camps et des villages, parce que leurs habitations ne sont pas suffisamment chauffées, et parfois pas chauffées du tout. Tous les enfants amenés à Caritas peuvent être soignés à l’hôpital. L’hôpital a construit des liens forts avec des hôpitaux à l’intérieur d’Israël et certains enfants y sont envoyés s’ils ne peuvent être soignés à Caritas. C’est particulièrement le cas pour des opérations chirurgicales majeures. Mais cette procédure rencontre aussi nombre de problèmes. Il faut remplir un nombre infini de documents, et ensuite seulement l’enfant sera pris en cahrge par une ambulance : mais cette ambulance ne sera autorisée qu’à parcourir quelques centaines de mètres jusqu’au checkpoint de Bethléem. Elle ne pourra pas aller plus loin. Elle ne pourra pas aller plus loin parce qu’elle est palestinienne. Mêmes les ambulances en route pour un hôpital en Israël ne peuvent pas passer aux checkpoints malgré les documents. Donc à un checkpoint, l’enfant sera déchargé de l’ambulance et une ambulance israélienne attendra pour recueillir l’enfant et continuer le voyage.

Mais alors que l’enfant est en sécurité dans un hôpital en Israël, où sont ses parents ? Ils sont invariablement bloqués de l’autre côté du Mur de l’apartheid, loin de leur enfant, dans l’impossibilité d’obtenir une permission de l’occupation pour visiter et prendre soin eux-mêmes de leur enfant malade pendant son traitement à l’hôpital. Dans un cas récent de Caritas, un bébé dans un incubateur a été retenu au checkpoint de Bethléem pendant deux heures avant que les soldats ne l’autorisent finalement à être transféré dans l’ambulance israélienne qui l’attendait.

Les médecins de Caritas ont découvert aussi, depuis le début de l’Intifada, un nombre incroyablement élevé de très jeunes enfants souffrant d’une prédisposition rare de cancer derrière les yeux. Ils ont été incapables de mettre le doigt exactement sur la cause, et cela ne se rencontre pas dans les pays voisins ce qui a conduit les médecins à penser à une toxine chimique possiblement utilisée par l’occupation. Ils ont recherché si cette affection pouvait être causé par des gaz lacrymogènes mais ont été incapable jusqu’à présent de confirmer catégoriquement leur théorie. On rencontre aussi fréquemment des naissances prématurées et des fausses couches dues aux chocs causés lors d’attaques des FOI.

Le travail de tout le personnel de l’hôpital des enfants de Caritas est admirable. Les visages aux regards qui supplient d’être aidés et les petits corps faibles des patients brisent le c ?ur. La Palestine diminue jour après jour. Elle devient de plus en plus petite. Elle ne peut pas prospérer et ses enfants souffrent d’un manque de développement. La Palestine ne peut pas se développer, et ses enfants illustrent le fait par leurs maladies liées à l’augmentation continue de leur pauvreté. Ce sont des conditions médicales causées par des décisions politiques.


Richard Wiles est un photographe qui visite régulièrement la Cisjordanie occupée. Il écrit des rapports sur la situation et des souvenirs des Palestiniens dans les camps et photographie la vie de ces réfugiés pour de futures expositions. Il a écrit sous le titre « Derrière le Mur ».

Rich Wiles - Information Clearing House, le 3 septembre 2007
Diffusé par Womeninblack-bounces@listas.nodo50.org (Femmes en Noir) et traduit par Edith Rubinstein


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