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« Les Israéliens n’ont pas conscience d’être des racistes »

jeudi 13 septembre 2007 - 06h:10

Nurit Peled-Elhanan/Caroline Stevan - Le Temps

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Entretien avec la militante pour la paix Nurit Peled-Elhanan.

L’engagement, chez les Peled-Elhanan, est une tradition familiale. Le père, Matitiahu, fut une gloire militaire de Tsahal avant de devenir un ennemi acharné de la colonisation pratiquée par l’Etat hébreu. La fille, Nurit, milite depuis des années pour bâtir des ponts entre Israéliens et Palestiniens. Les petits-fils sont des « refuzniks », ces soldats s’opposant au service dans les territoires occupés. Nurit, qui a perdu une enfant dans un attentat-suicide, a reçu le Prix Sakharov en 2001. Samedi, à Genève, la Fondation Paul K. Feyerabend lui a remis la récompense « Un monde solidaire est possible. »


Le Temps : Professeur à l’Université de Jérusalem, vous vous intéressez au contenu des manuels scolaires israéliens. Que constatez-vous ?

Nurit Peled-Elhanan : L’éducation, en Israël, est extrêmement raciste. Et pas seulement à l’école ; l’ethnocentrisme passe aussi par la musique, le théâtre ou les médias. Il y a toujours une distinction entre ce qui est juif et ce qui ne l’est pas. Dans les livres, les cartes d’Israël n’ont pas de frontières. La ligne verte, le mur de sécurité et les villes palestiniennes n’existent tout simplement pas. Les illustrations ne comprennent aucun visage arabe : les Palestiniens sont représentés de loin, de dos, et toujours de manière caricaturale, paysans avec des vieilles charrues ou terroristes cagoulés. On ne parle d’ailleurs jamais de « Palestiniens », mais seulement d’« Arabes ». Récemment, un manuel a évoqué le « conflit sioniste palestinien » au lieu de « judéo-arabe », il a été interdit. Le problème est que les Israéliens n’ont pas conscience d’être racistes, ils pensent même être tolérants. Pour preuve, le cimetière musulman le plus ancien du Moyen-Orient va être rasé pour bâtir la Maison de la tolérance ! L’indulgence existe sûrement, mais elle s’arrête aux juifs.

- Toute votre famille appartient au « Forum des familles endeuillées », mais pas vous. Pour quelle raison ?

- Parce que l’impact de ces organisations est limité. Chaque réunion commence par « Pensons à nos frères palestiniens qui n’ont pas pu venir à cause des check points »... Et après ? Qui va effectivement gueuler devant les check points ? La seule association dont je fasse encore partie est le Comité international sur l’éducation et l’occupation, un groupement d’enseignants israéliens et palestiniens que j’ai cofondé. L’industrie de la paix est un énorme business en Israël. Il y a des fondations qui reçoivent des millions, mais à quoi bon ? On fait des « recherches », on organise un camp de 15 jours avec des petits Israéliens et des petits Palestiniens. On leur demande à la fin s’ils se détestent toujours, ils répondent oui et on exige encore quelques millions, parce que visiblement ça n’a pas suffi ! Cela me dégoûte. Ces organisations restent en surface, n’abordent jamais les questions essentielles comme le droit au retour des réfugiés ou la construction du mur de sécurité.

- N’êtes-vous jamais découragée ?

- Bien sûr, car les autorités seront toujours plus fortes que nous. Nous avons de l’espoir, mais pas la prétention de changer les choses. Nous sommes arrivés à créer un petit monde avec nos amis palestiniens qui surpasse le racisme et les frontières, c’est déjà quelque chose. La preuve que l’on peut vivre ensemble. Et puis c’est important d’apprendre à nos enfants qu’il y a des lois qu’il faut transgresser, que le pouvoir n’est pas divin.

- Vous avez dit : « Il est temps pour nous de redevenir des mères juives. » Qu’entendiez-vous par là ?

- La mère, normalement, protège ses enfants par tous les moyens et en toutes circonstances. Ici, nous les élevons pour les sacrifier ensuite à l’armée et au gouvernement. Ce n’est pas juif du tout ! Le sionisme nous laisse croire que notre utérus est un trésor national, que nous sommes des machines à fabriquer des soldats israéliens. J’ai été extrêmement choquée quand mon fils aîné a été appelé à l’armée ; c’est comme si on me le prenait. C’est cette voix-là qui doit aujourd’hui s’élever, la voix des mères. Beaucoup, hélas, sont fières d’avoir éduqué un combattant, y compris parmi les électrices de gauche. Décider de ne pas vouloir être la mère d’un cadavre ou d’un assassin n’est pas si évident, surtout quand il y a aussi un père.

- On dit que les négociations pourraient reprendre. Les émissaires européens et américains se pressent au chevet du Proche-Orient. Avez-vous un quelconque espoir ?

- Aucun, tous ces gens appartiennent à la même mafia. Je ne crois pas en une solution couchée sur un papier coûteux par des gens en costume, que l’on ne voit jamais dans la rue.


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Propos recueillis par Caroline Stevan - 12 septembre 2007 - Le Temps


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