Ce n’est pas le cancer qui a tué ma mère, c’est l’occupation
mercredi 13 décembre 2006 - 20h:12
Raed M. Sharif
" Syracuse, USA. Tôt ce matin, j’ai reçu une triste nouvelle, ma mère (âge de 54 ans,) venait de décéder après de graves complications hier soir."
Je vous envoie ce message, à vous et à beaucoup d’autres personnes dans le monde, car j’ai promis à ma mère, avant qu’elle ne meure, de faire savoir à tout le monde que ce qui l’avait tuée, ce n’était pas le cancer, c’était l’occupation.
Oui, l’occupation a tué ma mère, mais cette fois, pas en tirant des missiles ou des obus, mais par une punition collective et par l’humiliation. La plupart des malades du cancer (et ceux qui souffrent d’autres maladies graves) doivent se rendre de Gaza en Egypte pour les soins car nous n’avons pas les infrastructures de santé et les dernières technologies nécessaires à Gaza. C’est la conséquence d’un siège permanent et d’un contrôle imposés par les Israéliens sur les villes palestiniennes, surtout Gaza. Ma mère était l’un de ces malades, on avait diagnostiqué à un stade précoce un cancer des os et elle était censée se rendre en Egypte pour des traitements en juin 2006.
A cause de la politique de punition collective imposée par Israël, depuis 3 mois, personne à Gaza ne peut traverser (dans un sens ou dans l’autre) pour aller n’importe où dans le monde car les Israéliens contrôlent les frontières. Ce n’est que le 25 août que ma mère a pu aller en Egypte. Pendant ces trois mois, moi et d’autres, en Palestine et à l’extérieur, avons essayé de discuter avec des organisations des droits de l’homme et du droit international leur demandant d’intervenir et d’aider face à ces nécessités humanitaires. Malheureusement, nos appels n’ont rien changé à la situation ou n’ont pas permis de l’aménager spécialement. Toutes les requêtes ont été refoulées par l’occupant. Quand ma mère a réussi à aller en Egypte, c’était malheureusement un peu tard, le cancer avait fait de rapides progrès dans son corps et à ce stade, les médecins ne pouvaient faire beaucoup, ils ont tenté la chimiothérapie pour voir si cela pouvait aider. Malheureusement, ce ne fut pas le cas et ma mère est morte paisiblement hier soir. Ma mère n’est pas un cas isolé ; elle est juste l’un des cas dont on peut parler. En plus de la dizaine de personnes tuées par les Israéliens, chaque jour, avec leurs armes traditionnelles, des dizaines, si ce n’est des centaines, d’autres meurent chaque jour à cause du manque d’accès aux services de soins, à cause des restrictions de déplacements imposées par les Israéliens, le manque d’approvisionnement en médicaments et matériel médical à Gaza et dans les autres villes palestiniennes.
Le siège et les contraintes de déplacements ne coupent pas seulement des patients des services et des établissements de soins (ou même des hôpitaux locaux : beaucoup de femmes accouchent sur les check-points et d’autres, des enfants et des anciens meurent avant d’avoir pu arriver à l’hôpital le plus proche). Ils coupent aussi les élèves de leurs écoles ou de leurs universités, les croyants et les fidèles de leurs mosquées et de leurs églises, ils empêchent les familles de se rencontrer depuis de nombreuses années.
Il y a actuellement plus de 500 obstacles aux déplacements en Cisjordanie. 500 barrages dans une région probablement plus petite que la plupart des villes des Etats-Unis. La Cisjordanie recouvre environ 2 000 miles carré d’une terre encerclée par un nouveau mur, le mur de l’Apartheid. Ces check-points séparent des villages, des cités, des camps de réfugiés et quelquefois, des quartiers d’une même ville. Ce sont ces mêmes barrages qui m’ont empêché de voir ma famille à Gaza (lorsque j’habitais en Cisjordanie) pendant plus de 5 ans. Même en étant ici, aux USA, alors que je voulais rentrer et voir ma mère pendant ses deux derniers mois, je n’ai pas pu parce que les frontières étaient toujours fermées (le poste frontière de Rafah avec l’Egypte, qui est la seule porte pour les Gazans pour sortir vers le monde, a été ouvert seulement six jours pendant les 6 derniers mois).
Ce qui me brise le c ?ur, ce n’est pas le fait que ma mère soit morte, car c’est quelque chose que chacun devra éprouver un jour et j’ai vraiment une grande foi en Dieu pour que cela ait été le mieux pour elle. Ce qui me rend si triste, c’est que encore à cause de l’occupant, je n’ai pu la voir pendant plus de 6 ans et que je n’ai même pas pu la voir une dernière fois pour lui dire au revoir. Ce qui me rend si triste encore, c’est que l’une des principales motivations qui me faisaient préparer mon doctorat était cette mère formidable. J’avais 6 ans quand mon cousin a obtenu son doctorat et alors que nous venions de lui rendre visite, ma mère m’a posé cette question (elle plaisantait probablement à l’époque car j’étais un petit enfant et je ne savais même pas ce qu’était un doctorat, mais je sais que c’est ce qu’elle a voulu dire). Elle m’a demandé : « Le feras-tu pour moi, un jour, d’avoir ton doctorat ? ». J’ai gardé ça dans mon esprit et dans mon c ?ur tout le temps, j’ai toujours été encouragé par elle et son esprit élevé, pour y arriver, pour faire l’université de Syracuse et obtenir mon doctorat. Malheureusement, elle ne verra pas ce jour-là, elle ne verra pas que, oui, je l’ai fait pour elle.
Au revoir ma mère si formidable, tu as toujours été la source de mon inspiration et le seras toujours, même si tu n’es pas physiquement là. Puisse Dieu avoir pitié de toi et bénir ton âme, mère.
Amis et collègues, malheureusement, notre monde est rempli de cas similaires, tristes et injustifiables, d’injustice et d’humiliations, mais toujours rappelez-vous que nous pouvons toujours faire que cela soit différent si nous le voulons. Pensez à cela et voyez ce que vous pouvez faire pour avoir d’autres vies, pour vous et vos enfants. Même un petit changement peut faire une différence.
- De jeunes palestiniens tiennent des bougies pendant une manifestation pacifique dans la ville de Gaza contre l’agression israélienne le 3 juillet 2006. Gaza est sous le siège et coupé du reste du monde depuis plusieurs mois. .(MaanImages/Thaeer al-Hassany)
Raed M. Sharif à Syracuse, Etats-Unis - 11 décembre 2006
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Trad.:JPP