Sans aucun scrupule
jeudi 6 septembre 2007 - 06h:58
Osamah Khalil - The Electronic Intifada
Le résultat de cette stratégie bourrée d’illusions sera d’obtenir une cage déguisée en pays.
Au cours des deux mois derniers une coalition s’est formée autour du président palestinien Mahmoud Abbas afin d’essayer de renforcer son gouvernement. Désespéré de pouvoir maintenir son pouvoir, Abbas a choisi de renoncer à l’unité nationale et de s’appuyer sur les États-Unis et Israël afin de resserrer sa prise sur la Cisjordanie et pouvoir frapper Gaza.
- Abbas (à d.) recevant le chancelier autrichien à Ramallah le 4 septembre devant une garde d’honneur d’apparat - Photo : AP/Nasser Shiyoukhi
Abbas et ses bienfaiteurs ont expliqué aux habitants de Gaza que c’est uniquement s’ils lâchaient le Hamas que le siège serait levé. En attendant, les décès ou la famine, bien que regrettables, sont le prix à payer pour garder en place la présidence d’Abbas et sauver les postes de ses acolytes. Dans ce but, lui-même et son premier ministre Salam Fayyad ont lié leur destin aux responsables américains et israéliens en croyant de façon tout à fait erronée obtenir en retour un état palestinien indépendant. Ce faisant, Abbas et Fayyad ignorent les rapports personnels, professionnels et idéologiques qui unissent ces responsables, lesquels, contrairement à leurs déclarations publiques ont pour unique objectif de saper les aspirations palestiniennes.
Le résultat de cette stratégie bourrée d’illusions sera une cage déguisée en pays.
Il y a cinq ans, alors que la deuxième Intifada se développait hors de tout contrôle au printemps 2002, le Président Bush a demandé à Condoleeza Rice, alors sa conseillière en sécurité nationale quel était « le problème fondamental » empêchant la résolution du conflit Israélo-Palestinien. Selon le New York Times sa réponse avait été « Yasser Arafat. » Rice expliquait, « Quand vous pensez à la manière dont les gens avaient réfléchi au Moyen-Orient, c’était juste sur la question de la terre. » Sa décision a conduit à la mise à l’écart d’Arafat, à la mise en avant d’Abbas par l’administration Bush et au placement de leur confiance dans le premier ministre israélien Ariel Sharon pour terminer le conflit par la force plutôt que par les négociations. Ces politiques ont eu un impact dévastateur sur la société palestinienne, avec un coût incommensurable en vies, propriétés et infrastructure humaines.
Durant la campagne électorale de l’année 2000, Rice a été dépeinte par l’état-major de campagne de Bush et les médias dominants américains comme l’inspiratrice et la conseillère de la politique étrangère de Bush. Cependant, elle est une ancienne spécialiste de l’Union Soviétique et elle a reconnu elle-même avoir peu de connaissances (ou même d’intérêt) concernant l’histoire ou la politique au Moyen-Orient . Quelle était alors la source de son analyse intime du conflit ? Le conseiller principal de Rice pour des affaires du Moyen-Orient au Conseil de sécurité nationale était l’américain Likudnik [appartenant au Likhud, le parti d’Ariel Sharon] et néo-conservateur Elliot Abrams. Un adversaire avéré « de la formule de la terre pour la paix » qui serait au centre de n’importe quelle négociation entre l’Israel et les Palestiniens, Abrams est une figure infâme de Washington pour son rôle dans le scandale de l’Irangate [fourniture d’armes par l’intermédiaire de l’Iran aux contre-révolutionnaires nicaraguayens à l’époque de Reagan]. Comme Kathleen Christison récemment présentée dans Counterpunch, Abrams a activement travaillé pour renverser le gouvernement national d’unité palestinien et a préconisé « de frapper un coup dur » contre le Hamas. Ceci impliquait la coordination avec ses alter ego dans le département d’état afin de pervertir le droit international et les droits de l’homme en faisant pression sur les Nations Unies pour imposer des sanctions à l’occupé, et à pas l’occupant à la suite de la victoire électorale du Hamas.
La plus récente confidente de Rice est la ministre israélienne des affaires étrangères Tzipi Livni. Dans une présentation faire-valoir de Livni le mois dernier à la première page du New York Times Magazine, Rice l’a présentée en tant qu’ « amie » et « femme de paix. » Avocate qualifiée et ancienne agent du Mossad, l’ascension météorique de Livni dans la politique israélienne est dûe à Sharon. Selon le Times, Rice et Livni partagent « la même éthique dans le travail, la même discipline dans la pensée pour aller au delà d’une doctrine une fois qu’elle a été formée, la même intelligence disciplinée qui semble parfois manquer de la subtilité de la sagesse et le même penchant pour parler ?de valeurs’ et ce qui est ?juste’ » — puis faisant alors naturellement exactement l’opposé. Un exemple de cette approche était la vantardise de Livni selon laquelle dans une réunion avec Rice elle avait directement influencé le rapport du 14 avril 2004 de Bush écartant le droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Elle a claironné « j’ai fait la chose qu’il fallait — et ainsi a fait Bush. »
Espérant laisser une trace de son passage comme secrétaire d’état, Rice s’était publiquement préparée à un nouvel effort pour la paix pour une certaine période. En mars, le Washington Post a signalé qu’elle a finalement décidé de passer en revue les efforts des administrations précédentes sur le même sujet. Selon le Time Magazine, ceci comprend la récupération des notes des diplomates jordaniens ayant suivi le sommet infructueux de Camp David que l’administration de Bush avait précédemment déprécié. Les efforts tardifs de Rice sont supposés coïncider avec une initiative ressuscitée de la Ligue Arabe dont la proposition est basée sur les résolutions existantes de l’ONU et qui a été à nouveau rejetée par Israël pour la seconde fois en cinq ans.
Essayant d’épauler Abbas, le Président Bush a d’abord appelé à un sommet régional en novembre. Pour mobiliser le soutien à cette initiative, Rice a encore fait une autre visite de haut niveau dans la région, accompagnée du secrétaire à la défense Robert Gates. De plus, Washington a annoncé une augmentation de l’aide militaire à Israël dans les dix années à venir. Cependant, malgré cette attention et les diverses sollicitations, le sommet de Bush a été ramené au niveau d’une « réunion, » et on prévoit que bientôt il sera encore rétrogradé au niveau d’une simple « discussion. » En attendant, parmi les ineptes « mesures pour construire la confiance » préconisées par Rice, reprenant un procédé emprunté à la période d’Oslo, le premier ministre israélien Ehud Olmert et Abbas se réunissent régulièrement, pour soit-disant aboutir à une autre « déclaration des principes. » Mais les démentis cinglants du bureau d’Olmert suivent inévitablement chaque fuite haut placée au sujet du contenu des négociations.
En revanche, des signes sinistres sont apparus dans la presse arabe et israélienne et qui sont restés sans démentis. Depuis plusieurs semaines la direction de l’Autorité Palestinienne (AP) a crié sur les toits que des élections anticipées seraient nécessaires pour débloquer la situation entre le Fatah et le Hamas, ce dernier rejetant ce projet comme inconstitutionnel. Mais Fayyad a récemment indiqué à des journalistes que les nouvelles élections étaient « impraticables » actuellement. Lui-même et d’autres responsables ont proposé que le Hamas exclu de toute nouvelle élection à moins qu’il accepte les accords existants. Abbas a même brièvement envisagé de rétablir le Conseil National de la Palestine (CNP), naturellement sans y inclure le Hamas, et a cherché l’appui de gauchistes moribonds. Il est désepérant de relever que plusieurs d’entre eux, comme Nayef Hawatmeh du Front Démocratique pour la Libération de la Palestine, (FDLP) étaient désireux de faire allégeance. Comme on pouvait s’y attendre, ce projet a échoué.
Pendant ce temps, le journal israélien Haaretz a signalé qu’Abbas demandait des armes américaines, dont de nouveaux véhicules blindés pour la « disperser les foules » remplaçant ceux détruits par les israéliens pendant la phase précédente de la deuxième Intifada. Washington a accepté de son côté de former la garde présidentielle d’Abbas. En parallèle le Lieutenant-Général américain Keith Dayton poursuit la formation du personnel de sécurité fidèle à Fatah à Jéricho, et une nouvelle base de formation pourrait être créée à Bethléhem. Il apparait qu’Abbas et ceux qui l’appuient sont concentrés sur la perspective d’une épreuve de force avec le Hamas et non pas sur la perspective de négociations.
Afin de préparer le terrain pour cette confrontation, la direction de l’AP a décidé de renforcer le siège de Gaza. Cette stratégie a atteint un nouveau sommet lorsque Riyad Mansour représentant la mission palestinienne d’observation au Nations Unies a récemment bloqué une tentative venant du Qatar et de l’Indonésie d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité exprimant des inquiétudes face à la crise humanitaire imminente dans Gaza. Mansour a expliqué dans un communiqué qu’ « il est inacceptable pour n’importe qui, y compris des amis, d’agir en notre nom sans que nous soyons au courant, sans nous consulter. » Interrogé pour savoir pourquoi les Palestiniens ne se sont pas coordonnés avec leurs « amis » pour présenter à nouveau la résolution, il a répondu qu’il n’y avait « aucun besoin spécifique » d’une telle résolution actuellement, malgré les multiples avertissements contraire venant des organisations humanitaires internationales. Les corps diplomatiques qui fonctionnent à partir des anciennes missions de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) autour du globe, représentent soi-disant les Palestiniens, mais leurs actions et leurs récentes déclarations aboutissent à la mascarade honteuse faite aux Nations Unies, et cela montre bien où vont leurs accointances.
Par ailleurs le commentaire de Mansour selon lequel il n’y a « aucun besoin spécifique » est aussi choquant et imprécis qu’il est ignoble. Gaza est l’un des endroits les plus massivement peuplés au monde, avec presque 1,5 million de Palestiniens - près de 80 pour cent d’entre eux étant des réfugiés — confinés dans à peine 360 kilomètres carrés. Avec un chômage à 40 pour cent et des taux de sous-emploi bien plus élevés, les Nations Unies estiment que plus de 60 pour cent des Palestiniens vivent au-dessous du « seuil de pauvreté » qui se situe à deux dollars par jour. Gaza n’a aucune possibilité d’utiliser la mer ou les airs et tout les échanges humains et commerciaux passent (et scellé) par des postes-frontières bouclés et sous contrôle israéliens ; le territoire est ainsi complètement isolé. En raison du bouclage des frontières, il y a de constantes pénuries en produits alimentaires et en médicaments, et les approvisionnements en carburant sont aujourd’hui également employés comme arme de pression, pouvant imposer que l’électricité soit coupée à travers la bande de Gaza pour des heures et parfois des jours. Ces actions sont des éléments supplémentaires du siège et mettent en pratique la politique préconisée par Abrams. Comme l’a expliqué Dov Weinglass, un conseiller du premier ministre israélien Ehud Olmert, le but est « de soumettre les Palestiniens à la diète, mais sans les faire mourir de faim. » En reprenant à leur compte cette stratégie, Abbas et Fayyad ont fait la preuve qu’ils sont au-delà de tout pardon.
Chaque jour qui passe révèle la profondeur de la dégénérescence de la direction de l’AP. Leur corruption et et leur inaptitude, si flagrante au cours des 13 dernières années, est maintenant enrichie par un cynisme et un sadisme s’appliquant à leur propre peuple avec l’appui et l’encouragement des Etats-Unis, d’Israêl, de l’Union Européenne, et de la communauté internationale. Cette direction palestinienne, qui a par le passé proclamé la « révolution jusqu’à la victoire, » a depuis bien longtemps abandonné ce slogan et a choisi de transformer la rébellion en argent. Ils ont sans scrupule ignoré les besoins et la volonté des Palestiniens et les ont menés au bord de la ruine.
C’est seulement en se séparant de cette équipe que les Palestiniens peuvent espérer inverser le cours des choses et s’assurer que ce sont eux qui vont déterminer leur propre avenir. Le choix n’a jamais été plus crucial.
Osamah Khalil est palestinien et américain ; il est doctorant en histoire du Moyen-Orient à l’université de Berkeley en Californie et spécialisé en politique étrangère américaine dans cette région du monde. Il peut être contacté à : okhalil@berkeley.edu
Du même auteur :
Déconstruire l’option jordanienne
La révolution commence maintenant
31 août 2007 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
[Traduction : APR - Info-Palestine.net]