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Les portes closes de Gaza

samedi 4 août 2007 - 06h:32

Laila El Haddad

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Quand donc la conscience du monde finira-t-elle par se réveiller ?

Tant de choses se sont produites depuis que nous avons quitté Gaza et dans une période si courte. S’il est mentalement épuisant d’y être, il est encore plus accablant d’en être parti et d’y penser en permanence.

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Une centaine de Palestiniens, sur les quelques milliers immobilisés devant Rafah, ont pu entrer dans Gaza en passant par le passage de Kerem sous contrôle exclusivement israélien - Photo : Wissam Nassar/MaanImages)

J’étais à Gaza pendant le mois de mai et une partie de juin, produisant un film (oui, deux...) avec mon ami et collègue — un film traitant des tunnels le long de la frontière de Rafah, l’autre sur l’histoire remarquable de Fida Qishta et de sa tentative d’établir le seul véritable centre récréatif de Rafah parmi tout ce qui s’y produit comme évènement. C’était un travail épuisant, mais qui nous donnait une grande satisfaction. Nous voyagions à Rafah depuis la ville de Gaza presque quotidiennement, pour toute la journée, au milieu des affrontements internes qui ont saisi la ville où nous étions.

Nous avions projeté de quitter Gaza vers début de juin, avec des billets réservés pour quitter le Caire le 7 juin. Mes parents étaient venus nous rendre visite. Comme c’est souvent le cas dans Gaza, les choses ne vont pas toujours dans le sens de ce qui est prévu.

Rafah était ouvert de façon irrégulière durant le mois de mai, et entièrement bouclé la semaine avant notre départ. Nous avons reçu une information selon laquelle le passage ouvrirait vers minuit le 6 juin. Merveilleux, avons-nous pensé — au moins nous pourrons prendre notre vol, avec un peu de chance.

Nous avons passé 14 heures épuisantes au poste-frontière, avec des milliers d’autres Palestiniens, désespérés soit de quitter soit d’entrer dans Gaza. Bus après bus, des familles entières s’accrochaient aux toits, s’entassaient à l’intérieur, ou montaient sur les bagages. Certains se sont évanouis. D’autres devenaient hystériques. Chacun avait une raison d’être là. Il y avait des mères séparées de leurs conjoints, des étudiants devant retourner à l’université, des personnes malades, des personnes âgées. Et ceux qui n’avaient rien de particulièrement remarquable pour justifier leur déplacement — c’était simplement leur droit, après tout.

Dans les premières heures, il faisait froid, et nous nous sommes réchauffés avec du thé sucré et du café amer. Mais vers midi, le soleil au-dessus de nos têtes était féroce, et nous étions sans endroit pour nous mettre à l’ombre. Et nous avons ainsi attendu et attendu. Et chaque fois qu’un autobus avançait de quelques mètres, nos espoirs avançaient de la même façon un peu ; chacun voulait espérer.

À un moment, des centaines de passagers impatients, chacun suivant le conseil donné par ceux qui avaient précédemment réussi à faire la traversée, commencèrent à passer le mur pour aller dans la partie palestinienne du terminal, jetant d’abord leurs bagages puis grimpant ensuite eux-mêmes — « C’est le seul moyen pour traverser aujourd’hui ... Dans un lieu où il n’y a ni raison ni logique qui commande si ce fichu endroit va ouvrir ou non, vous devez trouver vous-mêmes le moyen de passer. »

J’ai pensé aux tunnels que nous avions filmés, comment quelqu’un nous avait dit que certains lui versaient 5000 dollars juste pour entrer dans Gaza par l’intermédiaire d’un tunnel quand la frontière est fermée.

Les observateurs européens à la frontière « avaient suspendu » leurs activités en raison du « chaos » pendant plusieurs heures. Ils devaient ensuite revenir, mais la frontière a été fermée vers 14h30, nous avons été abandonnés du côté palestinien de la frontière, juste à quelques mètres du côté égyptien.

Il est difficile de traduire en mots ce que cela signifie quand un territoire habité par 1,4 million de personnes ne dispose que d’un seul point de passage vers le monde extérieur, fermé l’essentiel du temps puis ne s’ouvrant sans raison que quelques heures, celles-ci devenant alors furieuses.

Nous sommes revenus chez nous dans Gaza, épuisés, démoralisés, déshumanisés. Nous avons eu une information selon laquelle la frontière s’ouvrirait à nouveau le jour suivant. Nous avons alors discuté pour savoir si nous essayerions de passer ou non après les évènements de la journée. Nous avions déjà manqué notre vol à partir du Caire, et essayer d’expliquer à distance ce qu’était Rafah aux représentants de la compagnie aérienne n’était jamais une tâche facile.

Quelques heures plus tard, nous étions à nouveau sur la route. Nous nous sommes accrochés à l’espoir qu’il y aurait moins de monde le jour suivant à la frontière. Nous avons été douloureusement détrompés. Il y avait peut-être le double de personnes que le jour qui précédait. Cette fois, les autobus chargés ont été au-delà du passage. Nous avons attendu jusqu’à l’après-midi. C’était seulement alors que nous a commencé à apprendre par les chauffeurs de taxi qu’un affrontement armé avait éclaté entre le Fateh et le Hamas dans Rafah, et que le bâtiment des forces de sécurité préventive du Fateh était encerclé. Mais nous n’y avons accordé aucune attention.

Nous n’aurions jamais pu imaginer ce qui devait se produire les jours suivants.

Nous avons attendu jusqu’à l’après-midi. La perspective de notre passage est devenue plus éloignée après chaque minute supplémentaire d’attente et chaque autobus qui ne pouvait passer. Nous nous sommes sentis comme nous si nous reculions, sans un pas ver l’avant. Démoralisé, mon père a voulu retourner à nouveau dans la ville de Gaza — « Attendons juste jusqu’à la semaine prochaine, peut-être y aura-t-il moins de monde. Nous avons déjà manqué notre vol. » « Non, attends, laisse-moi encore tenter quelque chose, » ais-je suggéré, me rappelant le conseil d’un passager les jours qui précédaient — « Vous devez trouver votre propre voie de traverse. »

J’avais refusé la veille de tomber dans la loi de la jungle. Mais aujourd’hui, je me suis rendu compte que si je ne faisais pas quelque chose rapidement, nous ne sortirions jamais.

Nous avons parlé à un conducteur de taxi que nous avions rencontré le jour précédant — un gars astucieux et avec du caractère avec qui vous ne voudriez pas entamer une polémique, de la famille Abu Eid de Rafah. Il possédait une voiture Peugot qui avait vu des jours meilleurs. Il nous a dit connaître une façon de contourner le poste-frontière, un chemin réservé aux véhicules appartenant aux forces de sécurité. Désespérée, j’ai demandé s’il y avait n’importe quelle chance qu’il puisse nous faire passer de cette façon.

Il n’y avait aucune garantie qu’on nous le permette, mais il pouvait essayer. Et ainsi dans un dernier effort, il nous a conduits à une porte de sécurité. Nous avons eu droit à des refus désolés, et des « Vous êtes fous - que vont-ils nous faire si nous vous laissons passer ! » Nous les avons implorés, nous leur avons dit comment nous avions attendu 14 heures la veille. Mais il n’y avait rien à faire.

Puis, un autobus vide est arrivé, de retour de la frontière. Notre conducteur a commencé à discuter avec le chauffeur du bus. Il a lui aussi refusé, jusqu’à ce qu’il ait entendu notre histoire, vu mon jeune fils Yousuf, et ait finalement répondu, « Au diable, venez, je verrai ce que je peux faire. » Et ainsi nous sommes passés, de façon détournée. Nous avons été amenés au côté palestinien de la frontière, les passeports déjà tamponnés le jour d’avant. Un officier nous a vus, s’est rappelés nous avoir vus la veille, et nous a laissés passer rapidement. Alors que nous étions prêts à partir, un moniteur européen m’a saluée. « Bonjour, comment s’est passé votre journée ? » Comment s’est passé ma journée ? Ce type a-t-il les pieds sur terre ?

« Difficile. Le passage est très difficile. »

« Oh mais au moins, il est meilleur qu’hier, au moins les gens passent. » C’était alors que j’ai compris que ces moniteurs ont été complètement détachés de la réalité au delà des quelques mètres carrés qu’ils surveillent depuis des endroits aseptisés de la frontière et du kilomètre qui les séparent de leurs hébergements et bureaux dans Kerem Shalom.

Et ainsi le soir nous étions au Caire. Et peu à peu, les jours suivants, les nouvelles ont commencé à filtrer sur ce qui se produisait dans Gaza que nous venions juste de laisser derrière nous, Gaza dont les portes ont été fermées juste aprés que nous soyons partis et dont les portes demeurent fermées pour plus de 6000 personnes dont 19 sont déjà mortes.

Peut-être pouvez-vous commencer à comprendre ce que je veux dire en parlant d’épuisement mental, étant partie d’un endroit où je désire ardemment et désespérément être, même dans les plus mauvaises circonstances, mais où j’aurais été bloquée contre ma volonté, loin de mon mari Yassine.

Mes parents sont avec moi. Mais c’est une bénédiction pleine de contradictions. Ma grand-mère est décédée la semaine passée et ma mère ne pourra aller pleurer avec sa famille. Quelques Palestiniens avec des passeports étrangers ont été autorisés à entrer dans Gaza par Erez, mais pour ceux ne disposant que de passeports de l’Autorité palestinienne (ce que nous avons et qu’Abbas a décrétés nuls à moins que nous élisions domicile en Cisjordanie) il n’y a aucune alternative autre que Rafah.

J’ai tellement pensé à ce qui se produit. Mais tout est si accablant, tellement incoyable ; qu’il puisse y avoir une telle collusion, régionale et mondiale, tellement de connerie [bullshit], avec si peu de protestation.

Et naturellement la cerise sur le gâteau est l’information récente parue dans Haaretz disant d’après des sources palestiniennes que le président Mahmoud Abbas a demandé à Israël (et à l’Egypte) de maintenir le passage frontalier fermé pour empêcher les mouvement de personnes de l’Egypte vers la bande de Gaza dans la crainte que des « milliers de personnes sans contrôle » ne puissent entrer dans Gaza et renforcer le Hamas. Une information que sans surprise Saeb Erekat et Cie nient.

La frontière à Rafah est bouclée depuis maintenant six semaines. Il y a des coupures dans les approvisionnements de produits alimentaires. Il y a des coupures d’électricité. Pourtant la situation intérieure demeure calme, d’après nos amis et notre famille.

Quand donc la conscience du monde finira-t-elle par se réveiller ?



* Laila El-Haddad est une journaliste free-lance qui vit dans la ville de Gaza. Elle a appelé son blog Raising Yousuf en reprenant le prénom de son fils âgé de deux ans.



De la même auteure :

- Voix de Gaza : où allons-nous ?
- Gaza : rues désertes et ciel de cauchemar
- Israël projette de construire 20 000 nouveaux logements dans Jérusalem-Est

31 juillet 2007 - The Elcetronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
[Traduction : APR - Info-Palestine.net]


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