Ali Samoudi ou comment vivre et mourir pour le journalisme
mercredi 1er août 2007 - 15h:32
Norah et Daniel - Jerusalem Online/PNN
Alli Samoudi est journaliste dans le district de Jénine depuis plus de vingt ans, cet homme chaleureux n’a qu’une vocation : informer.
- Ali Samoudi, reporter de guerre.
Ali Samoudi est caméraman de l’agence Reuters, reporter de guerre pour les chaînes arabes Al Jazira, Al Quds et de l’agence de presse PNN (Palestine News Network).
A l’âge de douze ans, ce Palestinien né dans le camp de réfugiés de Jénine en 1967 décide de consacrer sa vie au journalisme. Il ne cessera plus d’écrire un seul jour. Ayant grandi dans un lieu ravagé par la violence et la haine, le conflit israélo-palestinien sera pour lui une source inépuisable d’inspiration et le moteur de sa passion.
Arrêté deux ans en 1988 lors de la première Intifada pour sa sympathie envers les idées du FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine), il passe cette période à lire et à écrire. Privé d’instruction supérieure par un contexte politique agité, il se dit content d’avoir mis ce temps à disposition pour apprendre : « La prison a été mon université. »
A sa sortie, Ali Samoudi crée un bureau de presse à Jénine avec quelques amis passionnés. Il apprend ainsi à manier une caméra, travaille son style et commence enfin à enquêter sur un terrain ouvert : c’est la guerre et la population a besoin de s’exprimer. Sa soif d’expériences l’empêche de dormir et effraye ses amis. « Je voulais tout faire : presse écrite, la télévision et la radio. J’ai tout appris en deux ou trois ans. Je travaillais vingt heures par jour. »
Le bureau n’a plus de quoi faire vivre ses journalistes ? Qu’importe : rencontrer les gens, être dans l’action, voila ce qui le fait vivre.
Sa ténacité finit par payer : en 1994 lors des accords d’Oslo, le quotidien Al Quds le contacte, et il collabore à plusieurs magazines. Il fonde Farra, une télévision locale et travaille bénévolement dans plusieurs publications.
Durant cette période, il rencontre de nombreuses personnalités du monde arabe et musulman, ce qui le met dans une situation difficile par rapport aux Israéliens. « J’ai dû prendre un avocat pour défendre mon droit à sortir des territoires palestiniens. Je connais tout le monde à Jénine, dont des hommes recherchés activement par Israël et menacés de mort. Cela pose évidemment problème aux autorités israéliennes. »
Ali Samoudi, reporter de guerre
Cette passion qui le fait vivre est aussi celle qui l’amène aux portes de la mort. Blessé plusieurs fois lors d’opérations israéliennes, Ali sent sa fin arriver par deux fois. « La première fois c’était le jour même du crash du World Trade Center. L’armée a entamé simultanément une opération de démantèlement de la résistance armée dans le camp de Jénine. » Ali Samoudi y est, deux caméras sur les épaules. Vêtu d’un gilet pare-balles indiquant clairement sa fonction, il est pris pour cible par un char d’assaut.
« Le char a tiré un mortier en ma direction, et je me suis littéralement envolé sous la violence de la déflagration. Je dois ma vie au fait que le mortier a atterri derrière moi. »
Grièvement blessé aux jambes, sa première réaction est de vérifier si ses caméras sont en bon état. « Je ne voulais surtout pas perdre ce que j’avais filmé ! » Baignant dans son sang, il est obligé de ramper sur une quinzaine de mètres pour trouver une ambulance. « Personne ne voulait venir me chercher, la zone était trop dangereuse : un second tir de mortier, quelques secondes plus tard, a fait deux morts et une vingtaine de blessés. »
A l’hôpital, il évite l’amputation de peu et écrit tous les jours. « J’ai reçu des dizaines de visites. Comprendre combien la population appréciait mon travail m’a renforcé dans ma lutte. »
Lors de l’opération israélienne de 2002 dans le camp de Jénine, qui a fait des dizaines de morts, ce sont les leaders des différentes brigades qui sauvent sa vie. « Les chefs de la résistance m’ont forcé à partir en me disant qu’une fois mort, personne ne pourrait raconter ce qui se passait. La situation était abominable, il fallait que quelqu’un puisse l’écrire. » Il traverse le camp envahi par les chars d’assaut, les jeeps et les bulldozers. Ali est privé de téléphone portable quelques jours et incapable de communiquer, l’électricité ayant été coupée. Lorsqu’il peut enfin sortir du camp et appelle le rédacteur en chef de Reuters, celui-ci pleure. « La nouvelle selon laquelle j avais été tué circulait déjà, les gens portaient mon deuil. »
En 2002, il commence à travailler pour la chaîne arabe Al Jazira, convaincue par son engagement et les succès remportés lors de ses précédents reportages.
Il joue encore sa vie en avril 2004, et ne doit son salut qu’à un collègue. « Nous étions dans une rue envahi par l’armée qui recherchait des combattants. Un adolescent de quatorze ans a été tué par une balle dans la tête sous nos yeux. Nous nous sommes dissimulés derrière des jeeps pour nous protéger puis nous avons décidé de reculer pour nous mettre à l’abri. » Tout d’un coup, son collègue l’appelle : il tourne la tête. Ce geste lui sauve la vie : la balle qui lui était destinée transperce son nez au lieu de le toucher en pleine tête. « J’ai couru une vingtaine de mètres pour trouver une ambulance, l’endroit où nous étions était si dangereux que personne n’osait nous porter secours. »
Dans l’ambulance il appelle Al Jazira pour annoncer sa mort proche. « J’étais paniqué. J’ai vu tant de gens mourir de blessures comme celles-ci ! Je n’oublierai jamais l’angoisse abominable que j’ai subie jusqu’au moment où l’on m a dit que j étais hors de danger, après plusieurs heures de soins. »
Voir la mort a un prix. Ali Samoudi le paye quotidiennement : « Psychologiquement, je suis exténué. J ai vu trop de morts, trop de violences, trop de haine. Je ne peux plus me réjouir ou être véritablement heureux, je ne peux jamais me reposer totalement, j’oublie tout. Je souffre en permanence d’insomnies - je dors maximum quatre heures par nuit - et surtout, je suis un fanatique de l’information.
Depuis que j’ai commencé à écrire, il n’y a pas eu un seul jour où je n’aie pas pris mon stylo pour raconter ce qui se passe. Je n’ai pris aucun congé depuis dix ans, et ma famille ne comprend plus mon obsession. Le reportage est ma vie. Le reportage m’a pris la vie. »
25 juillet 2007 - Jerusalem Online